FESTIVAL COULEUR CAFÉ
Bruxelles, le 1er juillet 2002 - Sur d’anciens docks industriels en briques rouges retapés, en bordure du canal, le Festival Couleur Café, 13ème du nom, persiste dans une diversité musicale de bon aloi et dans son ambiance bon enfant qui permet une belle ballade familiale du week-end. A l’affiche, ce dernier week-end de juin, une trentaine d’artistes aux tonalités séduisantes.
Sous le signe du métissage
Bruxelles, le 1er juillet 2002 - Sur d’anciens docks industriels en briques rouges retapés, en bordure du canal, le Festival Couleur Café, 13ème du nom, persiste dans une diversité musicale de bon aloi et dans son ambiance bon enfant qui permet une belle ballade familiale du week-end. A l’affiche, ce dernier week-end de juin, une trentaine d’artistes aux tonalités séduisantes.
A tout seigneur, tout honneur, c’est par Geoffrey Oryema que nous avons choisi d’ouvrir les festivités. Tout de blanc vêtu, du pantalon aux cheveux, en passant par le petit bouc, le chanteur ougandais, exilé en France, produit un instant de magie quand il paraît. Tâche qui n’est pas facile dans un festival à ciel ouvert, d’autant que la scène qui lui est dévolue est située près de l’entrée du site, donc en plein passage. S’exprimant tantôt en anglais, tantôt en français, voire en acoli, sa langue natale, celui qu’on a surnommé le «Leonard Cohen africain» sait comment enjôler son public. Mêlant les instruments traditionnels à la guitare électrique et au synthétiseur, ce qui n’est pourtant plus vraiment original aujourd’hui, Oryema sait aussi parfois s’en détacher pour utiliser ce qu’il a de plus beau, sa gorge. Puissante et douce, pouvant passer d’un grave à vous faire vibrer les tripes à un perceptible souffle, sa voix décolle quand il revisite ses vieux standards comme Ye ye ye.
Autre genre, autre ambiance, avec les Wawadadakwa boys, un groupe d’Anvers (Belgique). Cet orchestre de rue créé en 1997, n’installe pas la monotonie. Alors que sur les deux autres scènes du festival, se produisent deux pointures - le raï-rockeur Rachid Taha et le raggaman national Tonton David - ils réussissent à capter leur public. Leur leitmotiv est simple : "Polka, samba, house, jazz... toute musique à danser est bonne à jouer." Démarrant sur un tempo jazz lent, ils peuvent finir sur une rythmique brésilienne endiablée. Mais ils sont tout aussi capables d’entonner au milieu d’une base latino, une petite tonalité de fanfare basée sur l’Hymne à la joie de Beethoven, assumée au saxo et repris en coeur et à tue-tête par le public, ravi. Leur nom est tout un programme : Wawa (prononcez ouah ouah) comme le chien, dada comme le bébé, kwa comme le canard ! Les textes sont dès lors plutôt secondaires. "Nous cherchons plutôt la sonorité des mots" avoue un des musiciens. Capables aussi de s’interchanger les instruments "c’est un jeu entre nous, cela permet de garder le rythme" ou d’inverser les rôles "les cinq hommes sur scène sont au même niveau. Il n’y a pas de leader. Chacun peut chanter ou entamer un solo, quand on le sent. L’improvisation est collective plus qu’individuelle". ( www.wawadadakwa.com)
Le lendemain est placé sous le signe de «Ritmo Caliente». Il aurait mieux valu dire Brésil. Tant chacun avait à l’esprit, la finale de la Coupe du monde de football, et que cette nation était représentée par deux charmantes ambassadrices. La très sexy Daniela Mercury, trémoussante de samba, d’un côté, et Lilian Vieira, la chanteuse de Zuco 103, de l’autre, ne se sont pas fait faute de le rappeler en se ceignant durant leur prestation du mythique drapeau vert et jaune. Sur les autres scènes, même si Manu Chao n’était point là, son ombre planait. Nombreux étaient les groupes qui pouvaient revendiquer la fibre du désormais légendaire "punk latino". Que cela soit Chango, allias Luis Iglesias Alvarez, le pote liégeois de Manu Chao et ancien des Locos Mosquitos, ou P18 la formation emmenée par l’ancien clavier de la Mano Negra, Tom Darnal. Dans cet ensemble harmonieux, seul détonnait en fait Mory Kante. Toujours fidèle à son esprit griot, l’héritier des “djéli du Mandé”, a amené sa poésie mandingue à maturation. Reprenant quelques succès mais aussi les titres de son dernier album Tamala (le voyageur).
Pour le dernier jour, l’Afrique et la Jamaïque règnent en masse. Sous le grand chapiteau, après Cesaria Evora, magnifique et sans l’ombre d’un reproche, Miguels Collins, alias Sizzla, a poussé la sono. Un peu fort, sans doute pour masquer la faiblesse du reste. Si le plancher du Titan, la grande salle de Couleur Café, résonne, c’est davantage grâce à l’enthousiasme des danseurs qu’à la qualité musicale. Présenté comme le symbole d’une nouvelle génération reggae, et pur produit du ghetto, on ne peut pas dire que Sizzla renouvelle énormément le genre. Au contraire ! Sa prestation a tout du (mauvais) cliché. Couvre-chef à la Bob Marley, spots de scène poussés au maximum des vert, jaune et orange, jusqu’au type qui se jette dans la foule...Tandis que la batterie, sans âme, confond les grosses caisses avec un moteur de 2 CV qui ne voudrait démarrer qu’à coups de marteau, le chanteur peine à se dégager du tryptique “Liberté/égalité/marijuana”.
Pour le plaisir des oreilles, il vaut mieux migrer sous la tente «Marquee». Ça déménage. A 12 musiciens sur scène, dotés d’une solide partie de cuivres, The Internationals s’inscrivent dans la tradition des héros jamaïcains. Originaires de Gand et d’Anvers, ces Flamands ne dédaignent cependant pas la langue de Voltaire pour célébrer, non sans humour, le Mont-Blanc (à prononcer avec un petit accent, c’est charmant). Mixant le ska, le jazz, le R&B ils baignent le tout de rythmes enthousiastes. Leur «afrikan ska safari» est d’ailleurs un vibrant hommage aux papys du genre The Skatallites, avec qui ils étaient en concert il y a quelques jours au Botanique. Comme leurs compères de Wawadadakwa, ils produisent une musique honnête, accessible pour tout un chacun. «Surtout les femmes» assume effrontément Denis le chanteur et guitariste, chapeau de cow-boy blanc vissé sur le crâne. ( www.internationals.be
Et la fête se termine par un plaisir, «Transpercussions», le projet du musicien rwandais Ben Ngabo. Celui qui est plutôt connu en Belgique comme le batteur d’Helmut Lotti (un crooner célèbre au Plat Pays) défend un objectif : montrer l'harmonie entre différents types de musique tout en gardant une cohésion rythmique. Au vu du résultat et des onze percussionnistes de diverses nationalités africaines rassemblés sur scène, on peut dire que le but est atteint. Combinés aux chants et danses, les instruments originaires de chaque région - l'ingoma, le ngarabi, des xylophones, des djembés etc... - se décuplent. Et en quelques quarts d’heures, rondement frappés, nous accomplissons un petit périple à travers l’Angola, le Congo, le Mali, le Sénégal ou le Rwanda.
Un concert tout à l’image de Culture Café qui, davantage qu’un festival de musique, représente un état d’esprit. Petites échoppes, cours de danses, stands des ONG ou de la coopération au développement, les attractions ne manquent pas. Et pour se substanter, les quarante stands de la Rue du Bien manger, si bien nommée, rassasient le convive le plus exigeant. Pour quelques euros, on peut manger un excellent ragoût de porc à la dominicaine ou un poulet à la moambe du Congo, s’avaler un petit blinis au saumon fumé et caviar ou une feuille de vigne sauce yogourt, passer ainsi en quelques minutes des Caraïbes au continent africain, de la Russie au temps des gitans.
Pour ceux qui veulent, en plus, le plaisir des yeux, ils peuvent parcourir l’exposition "Cool Art Café", consacrée cette année à la mobilité. Des «ingénieux engins», non motorisés - produits en série ou bricolés avec génie, provenant des quatre coins du monde et qui n’ont pas qu’un but artistique. De la trottinette congolaise aux multiples cyclo-pousses du Rajasthan (Inde), de Java (Indonésie) ou du Cambodge, en passant par l’ambulance de brousse du Burkina Faso, il y en avait pour tous les goûts. «Notre volonté est de faire une grande fête pour communiquer sur les différentes cultures du sud, en mélangeant musique, gastronomie et arts plastiques» explique Patrick Wallens, son directeur. «Une manière de participer à un partage de tolérance, de favoriser la rencontre, de partir à la découverte de l’autre.»
Nicolas Gros-Verheyde à Bruxelles