Dominique Dalcan, l'obstiné
Dominique Dalcan sort un nouvel album Ostinato. Interview.
Alain Pilot : Votre nouveau CD est votre troisième album et demi, pourquoi ?
Dominique Dalcan : Parce qu'en 91, il y a mon premier album sorti qui s'appelait "Entre l'étoile et le carré", en 94 "Cannibale", en 96 "Le cheval de Troie", mini album et puis aujourd'hui "Ostinato", album plein ; donc si on fait le compte et si on veut être assez mathématique, ça fait trois et demi.
Dans cet album il y a des instrumentaux, ce qui n'est pas très courant dans les disques des chanteurs français.
Ils sont courts, je rassure tout le monde, ils sont gais et joyeux, et ils ont un rôle quand même dans cet album, il faut les considérer comme des sortes de virgule. On peut dire que cet album est une sorte d'invitation au voyage et que dans ce voyage, on se destine à aller vers l'Amérique du Sud et vers le Brésil précisément. Ces petits instrumentaux sont des sortes de résonances de la vie. Ça forme une sorte de lien, de jointure entre deux chansons.
Est-ce que c'est l'expérience avec votre groupe Snooze, axé plutôt sur la techno qui vous a donné cette envie ou cette audace de mettre des instrumentaux, ce que vous n'auriez peut-être pas fait auparavant ?
Non, c'est juste que j'avais envie de le faire. J'ai conçu cet album comme un tout, il me semblait que ces morceaux avaient vraiment leur place, il n'y a pas particulièrement d'audace, ou de références à des disques que j'ai fait avant, je trouvais juste intéressant de prendre l'auditeur par la main. A un moment donné, peut-être qu'il se laisse emporter par la musique et que la musique peut être instrumentale et à d'autres moments, la musique a un rôle mineur et c'est la voix par contre qui a le premier rôle…le texte, c'est une sorte d'équilibre...
Pour l'album précédent vous avez fait un morceau intitulé "Typical blues" qui n'était pas un blues, il y a eu aussi "le Danseur de java" qui n'était pas une java et là, vous renouvelez l'expérience avec une "Valse de l'amour" qui n'est pas une valse !...
(rires)
C'est un gimmick chez vous ?
Non, il faut que je révise mes classiques et l'histoire de la musique sans doute...
La prochaine fois, que ferez vous ? un rock qui ne soit pas un rock ?
Je ne sais pas, il y en a beaucoup qui disent que le rock'n'roll est mort, peut-être qu'il faut le ressusciter...(…)
L'album s'appelle "Ostinato", ce qui veut dire en Italien ?
Obstiné…
C'est ce qui vous qualifie parfaitement bien, Dominique ?
Oui, et puis ça a aussi un sens musical. C'est à dire que c'est pour les fins d'orchestres rythmiques, c'est l'équivalent d'Ad Lib (ndlr : Ad Libitum - au gré de l'exécutant) en fait, et comme il y a quand même pas mal de percussions sur ce disque, je trouvais que c'était justifié. Ce que j'ai essayé de faire sur pas mal de chansons dans ce disque. En fait, la musique soutient le texte et l'illustre d'une certaine manière sans que ça soit forcément redondant.
Il faut dire que cet album est très influencé par la musique brésilienne.
Oui, mais il est en deux parties, c'est ce que je disais tout à l'heure, c'est une sorte de voyage. On part d'ici (le point de départ peut être une grande ville en Europe) et petit à petit, comme ça, on prend le bateau et on arrive sur le continent sud-américain. Effectivement il y a une rupture dans la musique et dans les textes. Le disque prend une autre couleur.
Sachant que le musique électronique française s'exporte plutôt bien, vous avez envie à votre tour de sortir de nos frontières ?
Avec "Ostinato" ?..
Oui.
olontiers, mais il y a quand même un problème de barrière linguistique qui est assez important. Mes disques sortent toujours dans les pays francophones, ça s'arrête là. Alors, c'est vrai que ce serait très amusant que cet album sorte au Brésil, au Portugal, en Italie, en Espagne, je ne sais où, pourquoi pas au Japon. Enfin, ce n'est pas très très facile pour les artistes français, ou alors il faut déjà être très renommé et c'est pour ça que je fais un autre projet qui s'appelle Snooze, qui est à base de musique électronique. La plupart du temps, ce sont des morceaux instrumentaux, et là par contre, le disque est sorti dans le monde entier.
Dans les textes de cet album, il y a quelques références à la religion, il y a Dieu qui revient, Lourdes, le paradis...
Euh oui enfin…A un moment donné sur "L'air de rien", il y a un petit clin d'œil en fait à Ophélie Winter.
Je voulais justement vous le demander, mais je me suis dit, c'est pas vrai, il ne l'a pas fait !...
(rires) Ça dit "est-ce qu'à toi aussi Dieu a donné la foi ?", parce qu'elle avait fait un tube, ça me faisait vraiment trop rire !
Pourquoi ? vous êtes un fan d'Ophélie Winter ?
Non, mais ça dépend des jours à vrai dire, je ne peux pas me qualifier comme un fan d'Ophélie Winter.
Par rapport à Lourdes, c'est le premier morceau de l'album qui pointe du doigt ce qui se passe autour de nous et c'est un texte assez social. Ça parle du fait qu'il y a des gens qui font des choses et d'autres pas et qui disent "il faudrait faire ceci, il faudrait faire cela". J'aime bien ce début d'album parce que c'est un point de départ. Ça explique aussi une sorte de ras le bol. C'est une réponse individuelle en fait.
Je pense que les chanteurs aujourd'hui, n'ont pas pour rôle de brandir un étendard, et ils n'ont plus la fonction de ménestrel non plus, parce que c'est le journal de 20H qui a remplacé tout ça. Mais c'est bien de temps en temps aussi de dire il n'y a pas que les chansons d'amour, il y a aussi des choses qui ne vont pas et peut-être qu'on peut l'exprimer autrement. C'est ce que j'avais essayé de faire dans cette chanson qui s'appelle "Individualistic".
C'est vrai qu'il y a du voyage aussi :"je ne sais pas où je vais" dans "Transatlantic", il y a aussi : "on partira plus loin" dans "Plus loin mais jusqu'où", il y a beaucoup de départs dans cet album.
Il y a des arrivées quand même. L'idée c'est aussi de dire qu'on peut voyager, mais si on part comme ça, on voyage pour oublier ses problèmes, c'est un peu vain ; ce n'est pas le déplacement géographique qui va changer finalement notre fond. Et si on doit partir, c'est bien de partir léger, les poches vides et laisser ses problèmes derrière soi, de les régler avant de partir.
Et pourtant vous avez envie de partir en ce moment ? Il y a beaucoup de sons, de bruits de la ville, vous avez samplé sur place au Brésil...
J'avais un ami qui m'a rapporté des bandes qu'il avait enregistrées au Brésil avec un petit magnéto portable. Sinon j'ai mélangé. A la fin d'un des morceaux, c'est une hôtesse de l'air qui dit qu'elle espère bientôt nous revoir sur ses lignes et qu'il y a huit vols entre la France et l'Amérique Latine, c'est assez amusant. Il faut que ce soit amusant aussi de faire les morceaux, il y a un côté ludique comme ça qui est important.
Vous vous amusez beaucoup quand vous enregistrez ?
Oui oui, ça va, là c'était assez amusant, en plus, j'ai été dans différents endroits.
Où êtes-vous allé justement ?
J'ai fait une petite boucle en fait. J'ai commencé à Paris et j'ai fini à Paris ; entre temps, j'ai été à Londres, à New York, à Los Angeles et puis dans le Sud de la France. A chaque fois finalement pour aller chercher des compétences extérieures, travailler avec des musiciens. Et ça, c'était assez amusant quand je partais comme ça avec mes bandes sous le bras. A New York, j'ai rencontré tout un tas de musiciens brésiliens. A Los Angeles, c'était plutôt pour faire tout ce qui était orchestral, j'ai travaillé avec Clark Fisher qui est un vieux monsieur.
Un pianiste des années soixante...
Oui oui. Il a arrangé des morceaux de Tom Jobim, de Joao Gilberto, Prince aussi...
Comment l'avez-vous rencontré ?
Ça faisait longtemps que j'avais envie de travailler avec lui, je lui ai envoyé une cassette et il a trouvé ça assez intéressant. C'était un beau voyage...
On parlait de sons, on parle également de bruits, il y a quatre ans, vous me disiez "j'ai l'impression qu'il y a beaucoup de bruits et qu'on a du mal à se faire entendre", dans "l'Air de rien" qui est le premier extrait de cet album, il y a une phrase qui dit justement : "il y a tant de bruits autour de moi".
Oui...
Vous êtes toujours agacé par le bruit ?
Oui, enfin le bruit, c'est une image, ce n'est pas le volume en décibel, ce sont les nuisances. Juste avant sur "Le cheval de Troie", j'avais fait un album qui s'appelait "Aveugle et sourd" ; donc dans tout ça, c'est quand même une petite suite, on délaye un peu les messages. Ça parle des problèmes de communication finalement. Comment on échange des idées avec l'autre et surtout est-ce qu'on est vraiment attentif ? Est-ce qu'on écoute vraiment ? Je ne sais pas.
C'est un besoin Dominique Dalcan, de vous diversifier, de vous lancer dans la musique de film, de monter un groupe sous un autre nom ( Snooze), de sortir un album de chanteur sous le nom de Dominique Dalcan, c'est très important pour vous, c'est vital ?
Oui, ça devient de plus en plus vital parce que ça permet de compléter le panorama et surtout ça donne des opportunités, ça donne des rencontres différentes, projets après projets et c'est ce que je trouve bien. Alors bon évidemment si en tant que chanteur je pouvais avoir tous ces plaisirs, peut-être que je ne ferais pas d'autres projets ailleurs, mais il y a aussi cette curiosité, cette soif de faire des choses, d'apprendre aussi. Par rapport à la musique de film notamment, c'est quelque chose que j'avais envie de faire depuis longtemps, c'est une autre technique de travail et c'est aussi apporter ses compétences pour un projet collectif, c'est intéressant. Donc, j'espère pouvoir mener de front tous ces projets dans le futur, mais c'est très enrichissant, et ça ouvre l'esprit, comme ça on voit les choses d'une autre manière aussi.
On parlait de voyages avant, et bien il y a des gens qui restent dans leur petit village toute leur vie et d'autres qui courent le monde, je pense que d'une certaine manière, c'est bien aussi d'être curieux et de voir comment les autres personnes vivent. Cela permet peut-être de mieux se comporter et de relativiser les choses. Moi en l'occurrence, j'habite Paris. Ce n'est pas si mal, c'est quand même une très belle ville. Chaque fois que je reviens à Paris, je suis toujours content quand même...
Pourtant, j'ai lu que vous aviez envie d'habiter Toulouse !
Alors oui (rires) il y avait des projets d'habiter dans le sud de la France, ils sont retardés pour le moment.
Ce n'est pas exclu ?
Non pas exclu. Là pour l'instant il y a trop de choses.
Et pour "Ma vie rose" (ndlr : film du réalisateur Alain Berliner / 1997) dont vous avez écrit la musique, ça s'est fait de quelle manière, vous avez vu le film avant, vous aviez le synopsis avant ?
Les deux en fait, c'est à dire que quand j'ai commencé à travailler, on m'a demandé une chanson et un générique, simplement par rapport au synopsis. Après, le réalisateur a tourné son film et à la fin, il m'a montré les rushs en disant "bon voilà, j'aimerai bien que tu finisses le film, que tu fasses le reste de la musique". Là par contre, j'ai travaillé avec les images.
Vous pouvez nous dire quelques mots sur "L'air de rien", le duo avec Nancy Danino ?
Elle a travaillé avec moi sur Snooze et j'aimais bien l'idée qu'il y ait deux personnes comme ça, qui sont presque en opposition pendant les couplets et sur le refrain. Par rapport à ces problèmes de communication justement, c'est beaucoup plus fédérateur. Je n'avais pas encore abordé vraiment l'exercice du duo, donc voilà c'est fait. C'était amusant à faire aussi, l'air de rien !
Dominique Dalcan Ostinato (Polygram)