Daft Punk s'anime

Daft Punk, le duo le plus traqué de l’électronica française, est une fois de plus là où l’on ne l’attend pas. Au cinéma. Après les premiers clips animés, c’est sur les écrans qu’est propulsée leur collaboration animée avec le créateur japonais d’Albator : Interstella 5555.

L'histoire d'Interstella 5555.

Daft Punk, le duo le plus traqué de l’électronica française, est une fois de plus là où l’on ne l’attend pas. Au cinéma. Après les premiers clips animés, c’est sur les écrans qu’est propulsée leur collaboration animée avec le créateur japonais d’Albator : Interstella 5555.

Après le carton de Homework en 1997, les Daft Punk se posent des questions à l’abord du deuxième album. Du simple objet musical, il mute rapidement en projet global.«Au moment d’aborder Discovery, nous cherchions un autre fil conducteur, une nouvelle perspective. Spike Jonze (réalisateur de Dans la peau de John Malkovitch, lui-même un temps envisagé à la réalisation de leur film, avant qu’il ne devienne un manga, ndlr) avait réalisé le clip pour le titre Da Funk, et nous avions tourné la suite. D’où l’idée d’un album narratif, dont tous les clips formeraient un film. On a donc réfléchi autour d’un rock-opéra, le scénario s’écrivait en même temps que la musique. Or, celle-ci allait vers des sensations d’enfance, l’imaginaire. Ce qu’un conte permet de développer le plus», commente le couple électronique. Un vecteur déjà utilisé par d’autres groupes à l’époque comme le Yellow Submarine des Beatles, The Wall des Floyd ou encore Tommy des Who et Fantasia, dans un autre genre. Alors actuelles dans la forme, celle d’Interstella 5555 est volontairement régressive, loin de toute compétition technique avec la production nippone, mais bien ancrée dans les mémoires des générations françaises collées aux basques de la papesse des animés japonais, Dorothée*. Décriés par les parents, ils étaient, et sont encore aujourd’hui, l’objet d’un véritable culte. Fascinés par les aventures du pirate spacio-romantique, Albator (Captain Harlock, en VO), dont ils gribouillent alors le portrait sur leurs pupitres, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem Christo se prennent alors à rêver autour de Discovery, leur deuxième CD, d’une collaboration avec son créateur, le démiurge barré Leiji Matsumoto.

Rencontre avec le Maître

Après avoir couché la musique de Discovery, maquette et synopsis sous le bras, le binôme débarque à Tokyo dans l’univers rétro-futuriste du Japonais. Flatté, celui-ci est enthousiasmé par le projet, voit au travers de cette collaboration la fin d’un cycle : le tribut d’une génération à leur auteur culte, et l’opportunité d’une interaction possible avec celle qui a tant apprécié son travail. C’est aussi une boucle refermée sur son obsession de jeunesse, le personnage de Marianne Hold dans le film Marianne de ma jeunesse de Julien Duvivier. Son héroïne à 14 ans qu’il ne cessera de dessiner encore et encore, attribuant ses traits à tous ses personnages féminins.

Matsumoto y voit un signe. Il reçoit les Français, sanglés pour l’occasion dans leurs costumes de droïdes, et accepte la collaboration. C'est la première fois qu’il travaille avec des étrangers. Passionné de musique, il rêve depuis longtemps d’une confrontation avec ses images. Un rêve d’enfant à la hauteur de celui des Daft, une rencontre inespérée pour ceux qui n’en attendaient pas tant. Car s’ils pensent à lui, c’est au départ comme conseiller. Ensuite l’histoire prend la relève. Matsumoto amène avec lui la mythique société de production Toei Animation, responsable entre autres des séries Les Chevaliers du Zodiaque, Goldorak et de nombreux films dont ceux de Kurosawa. Et place Kazuhisa Takenouchi à la réalisation. S’ensuivent 28 mois de travail acharné, des allers-retours incessants, un budget de 4 millions d’euros, le duo assurant lui-même la supervision du montage ainsi que du mixage.

Concept album et Space Opéra

«House musical, un genre qui n’existait pas» argue le duo. Soit. Co-écrit avec leur ami d’enfance Cédric Hervet, le scénario raconte les aventures de quatre musiciens venus d’une autre galaxie, kidnappés par un manager maléfique décidé à faire d’eux le plus grand groupe pop de la planète. Star-system, show-biz, les artistes sont maudits, les producteurs sans scrupule. Mais le héros libérateur, fou amoureux de la bassiste, vole en Flying V…

Au total, 1 heure 7 minutes d’accord image/son symbiotique, aux couleurs criardes, référencées, décomplexées, déroulées selon l’ordre respecté des morceaux sur le disque. Quatorze titres/actes, pas ou peu d’éléments sonores extérieurs, aucun dialogue, le tout porté par la sincérité et la naïveté des Daft Punk et la maîtrise de Matsumoto. Un rêve de rencontres fortuites, de candeur pop, de premier degré assumé, dont la sincérité emporte n’importe quel doute sur la démarche commerciale ou cynique de l’entreprise.

Outre la sortie du DVD en novembre/décembre prochain, la fin de l’épisode reste à suivre. Selon certaines sources plus ou moins officielles, une adaptation cinématographique d’Albator serait en projet, avec Olivier Dahan (Déjà Mort, Le Petit Poucet) pressenti à la réalisation.

Pascal Bagot

* Idole télévisuelle des enfants dans les années 80.