ANNE BAQUET ET LULU BORGIA

Paris, le 14 mars 2002 - Deux chanteuses, deux personnalités qui émergent de la scène française. D'un côté, Anne Baquet qui clôt avec succès deux mois de représentations au Théâtre du Renard au cœur de Paris. Quand, à deux pas de là, Lulu Borgia commence en douceur un nouveau spectacle de chansons au Théâtre des Déchargeurs jusqu'au 6 avril.

Portraits croisés de deux voix méconnues

Paris, le 14 mars 2002 - Deux chanteuses, deux personnalités qui émergent de la scène française. D'un côté, Anne Baquet qui clôt avec succès deux mois de représentations au Théâtre du Renard au cœur de Paris. Quand, à deux pas de là, Lulu Borgia commence en douceur un nouveau spectacle de chansons au Théâtre des Déchargeurs jusqu'au 6 avril.

Chaque nouveau spectacle lui apporte un peu plus de galon. Le troisième du genre, toujours dans le confinement du petit Théâtre du Renard, au charme si désuet, ne fait que confirmer cette tendance.

Théâtrale, son entrée l'est assurément. Drapée dans un parachute blanc recouvrant entièrement le piano, Anne Baquet se veut diva. Vocalement, elle en a le coffre. Avec Rachmaninov pour ouverture, la belle use de son timbre de soprano avec la même élégance pour passer de l'opéra à une gouaille toute parisienne. La faute en revient à des chansons spécialement créées pour elle par une kyrielle d'auteurs talentueux. Exemple avec les mots d'humour du comédien et auteur François Morel (Les Deschiens) dont elle joue magnifiquement : "J'aime les baisers/les longs spontanés/Les uns peu salés/Intériorisés/J'aime les baisers comme du café/Sucré bien serré/Un peu rallongé…".

Des textes pleins d'humour finement interprétés par une Anne Baquet en pleine verve qui démontre ici son aisance à jouer sur plusieurs registres. Là, plus que jamais, elle est de la trempe de ces grands artistes qui savent tout faire : une ado qui ne s'aime pas dans un Nombril blues d'Anne Sylvestre, pas piqué des vers, qui ressemblerait à du Boris Vian, ou encore un Classé X sur les tribulations d'une ouvreuse de cinéma porno, signé Michel Grisolia sur une musique de Marie-Paule Belle. Avec la poésie de Jacques Prévert, Anne Baquet sait aussi admirablement prendre le contre-pied. Quant à Isabelle Mayereau, Georges Moustaki, Eric-Emmanuel Schmitt ou Topor, ils ne regretteront pas de sitôt leur collaboration.

Sur scène et sur disque, ce sont les gammes de Damien Nedonchelle qui accompagnent Anne Baquet, quand il ne fait pas aussi le pitre avec la donzelle. Une ambiance chaleureuse qui fait que l'on se sent un peu chez soi, comme dans un petit concert privé. D'ailleurs chez les Baquet, on travaille en famille. Maurice, le père, est un grand violoncelliste, Stéphane le frère est aux lumières tandis que c'est le compositeur François Rauber, son époux, qui signe la direction musicale du spectacle. Un conseil, ne la ratez pas la prochaine fois.

Une Guidoni au féminin

Si les deux chanteuses excellent dans le rôle de la jeune femme mutine qui en aurait beaucoup à raconter, Lulu Borgia verse abondamment dans la chanson réaliste. Celle qui fait mal. Bien que pour ce nouveau spectacle au Théâtre des Déchargeurs, elle ait visiblement mis de côté sa panoplie de maîtresse-femme prête à en découdre. La faute ici encore aux textes, très beaux, de Jean-Pierre Joblin, par ailleurs auteur de bande-dessinée, et dont l'univers se calque fidèlement sur celui de Lulu Borgia.

Moins dominatrice donc, mais toujours provocatrice avec ce goût pour les univers sombres, à la lisière de la marginalité. Sur le grincement d'un violon, Lulu fait rimer ludique avec lubrique et crime cathodique. Au premier rang, le chanteur Jean Guidoni apprécie l'élève. Bercée par les polyphonies basques de son Sud-Ouest natal et par Mozart, elle étudie le violon au conservatoire pendant une dizaine d'années avant de triturer de la basse dans un groupe de rock, souvent le passage obligé... Une chanteuse à la présence scénique indéniable, qui ne s'en laisse pas conter et entend bien le faire savoir. Belle voix qui sait gueuler quand il faut, derrière un voile de fumée, Lulu prend sa guitare, se racle la gorge comme on fait dans les pires bastringues et entame une ballade irlandaise balayée par le vent du large. Avant de reprendre La Mort des amants de Charles Beaudelaire comme une invitation à la sublimation du mal. Et de clore par une saynète en chansons de Giulieta et Federico nous invitant au cinématographe italien.

Pascale Hamon

Anne Baquet / Anne Baquet (Mélodie)
Lulu Borgia / Turbulences et dépressions (Mélodie)
Lulu Borgia / Bordel et voluptés (Moby Dick)