Pigalle revient

Treize ans après son dernier album sous le nom de Pigalle, François Hadji-Lazaro sort Des Espoirs. Une résurrection en même temps qu’une continuité, assure-t-il. Rencontre.

François Hadji-Lazaro chante Des espoirs

Treize ans après son dernier album sous le nom de Pigalle, François Hadji-Lazaro sort Des Espoirs. Une résurrection en même temps qu’une continuité, assure-t-il. Rencontre.

Pigalle est de retour. Depuis Alors en 1997, on n’avait pas vu de nouvel album du groupe de François Hadji-Lazaro. Mais le colosse au crâne rasé, figure majeure du rock français, n’avait pas été silencieux pour autant. "J’ai fait trois disques sous le nom de François Hadji-Lazaro et, comme d’habitude, j’ai eu envie de changer. Changer d’étiquette ne m’a jamais gêné, même si ça m’a coûté pas mal, me dit-on souvent. C’est l’enfer pour les médias, pour les marchands de disques, peut-être même pour le public. Donc j’ai déjà quatre identités, Les Garçons Bouchers, Los Carayos, Pigalle et François Hadji-Lazaro. Pourquoi en créer une cinquième ? Les Garçons Bouchers sont morts depuis longtemps ; pour Los Carayos, Manu Chao est sur les routes du monde entier ; Pigalle permet le plus de diversité, le plus de déviance."

Et Des espoirs croise – on pourrait dire "comme d’habitude" – la chanson du pavé parisien, le cajun et le bluegrass, le punk-rock, des échos de la Méditerranée. François Hadji-Lazaro a tout joué : guitares, accordéons, vièle à roue, instruments à vent… "Ça apporte une cohésion que je ne trouve pas forcément en travaillant avec d’autres musiciens. C’est un peu comme en cuisine: il arrive que l’on apporte de nouvelles épices pour rehausser le goût mais que, finalement, ces épices se neutralisent et enlèvent de la saveur au plat. En jouant de tous les instruments et avec mes arrangements un peu contre-nature, j’arrive à conserver une certaine pâte, une certaine couleur dans laquelle je me reconnais."

Une exception toutefois à sa compétence encyclopédique : "Je ne sais pas jouer de batterie. Alors les parties de batterie sont faites à la voix ou au sampler, mais elles sont tellement traitées que ça ne s’entend pas." De disque en disque, sa palette s’élargit : "Comme je m’ennuie très vite, j’apprends toujours de nouveaux instruments. Ici, c’est le luth pipa chinois qui, dans la tradition, est en général joué par des femmes. Je change aussi très souvent d’outils pour enregistrer et réaliser les disques. Depuis qu’elle est apparue, je suis passionné d’informatique musicale et je réalise tous mes disques moi-même. J’enregistre partout, chez moi ou en déplacement, de jour ou de nuit, sans avoir à gérer un groupe, un planning, des horaires de studio. Chez moi à Paris, il y a quatre-vingt-dix instruments au mur. A la campagne, j’enregistre au-dessus de la cave, ce qui permet d’aller casser la croûte rapidement. Pour cet album, j’ai mis à peu près un an et demi, par périodes. Je n’ai pas de méthode d’écriture. Parfois, c’est le texte d’abord, ou la musique, comme beaucoup de gens. Mais il arrive aussi que j’écrive une ambiance musicale sans mélodie ni texte, ce qui me permet des essais dans tous les sens. Mais souvent ces nappes disparaissent au mix. J’aime cet aspect technologique et bricolo à la fois."

Chanson réaliste

Sur Des espoirs, on croise un jeune ouvrier qui s’improvise braqueur (Chez Mme Eulalie), une femme victime de la violence ordinaire (Il tape), un couple adultérin (Ils se voyaient deux, trois fois par mois), une destinée anonyme (Qui voudrait parler d’elle ?), un douanier qui se pose des questions (La Frontière)… Des histoires vécues ? "J’ai toujours été fan de la chanson réaliste – de la vraie chanson réaliste. Mais ce que j’écris est imaginé. Personne ne veut me croire quand je dis qu’il n’existait pas de bar-tabac dans la rue des Martyrs quand j’ai écrit la chanson. En revanche, je suis très observateur et, dans la rue, au bistrot ou chez des copains, je vois souvent des personnes qui m’inspirent. Mais la chanson que je vais écrire ensuite n’a rien à voir avec elles – comme ça, je ne me lasse pas. "

On remarque aussi une reprise assez punk du célébrissime Il faut que je m’en aille de Graeme Allwright : "Je n’aimais pas forcément beaucoup ses chansons, à l’époque. Mais j’apprenais la guitare et j’étais moniteur de colonie de vacances et j’étais obligé de les connaître. Il a eu un impact énorme sur tout le monde jusqu’à la génération qui a trente ans aujourd’hui. J’ai toujours aimé faire des reprises et c’est à la campagne, en réécoutant ses disques parmi mes tonnes de vinyls que j’ai pensé à lui."

A l’automne dernier, François Hadji-Lazaro avait déjà publié une compilation de Pigalle en 2008, Neuf et occasion. Des Espoirs paraît sur le nouveau label Saucissong Records, dont le nom rappelle le légendaire label Boucherie créé par le leader des Garçons Bouchers et disparu en 1998 après avoir sorti 140 albums. "Je n’étais plus chez Universal et j’avais sorti la compile de Pigalle chez un petit label de Lille. Mon tourneur insistait pour que je fasse un nouvel album, alors j’ai fait le tour des labels indépendants. Le nom de Pigalle intéressait tout le monde. Mais si tout le monde voulait bien signer Pigalle, personne ne parlait de vraiment s’investir sur ce projet. Le marché du disque va si mal que l’on ne signe plus qu’en espérant que l’on va juste s’en sortir. On investit le moins possible pour ne pas risquer de tout perdre. Alors, pour ne pas avoir à me soucier tout le temps de savoir si le label bouge son cul, j’ai préféré en créer un moi-même."

Son prochain projet, en fin d’année, sera un livre-disque pour enfants, avec notamment de nouvelles versions des chansons faites pour eux à l’époque par les Garçons Bouchers, Los Carayos et Pigalle.

Pigalle Des Espoirs (Saucissong Records/L'Autre distribution) 2010

En tournée à partir du mois de mars. En concert à la Cigale le 14 avril 2010.