Jean Guidoni ose le "je"

Textes d’une rare intimité, collaborations inédites avec Dominique A, Mathias Malzieu, Jeanne Cherhal et Philippe Katerine, nouveau réalisateur… Jean Guidoni a pris des risques pour engendrer La Pointe Rouge, son nouvel album. Il a bien fait. L’ensemble - où se marient rock, folk, pop et chanson - est d’une minutie musicale étonnante.

La Pointe Rouge

Textes d’une rare intimité, collaborations inédites avec Dominique A, Mathias Malzieu, Jeanne Cherhal et Philippe Katerine, nouveau réalisateur… Jean Guidoni a pris des risques pour engendrer La Pointe Rouge, son nouvel album. Il a bien fait. L’ensemble - où se marient rock, folk, pop et chanson - est d’une minutie musicale étonnante.

Sur son précédent album, Trapèze (2004), Jean Guidoni s’était entouré d’Edith Fambuena (l’ex-guitariste des Valentins) pour mettre au point son projet. Pour celui-ci, il a œuvré aux côtés du jeune multi-instrumentiste Nicolas Deutsch, qui l’avait accompagné sur la tournée de Trapèze. Il lui a confié les yeux fermés les arrangements et la réalisation de La Pointe Rouge. Lui transmettant les textes au goutte à goutte pour qu’il les habille à sa guise. "Je l’ai laissé créer. Je ne suis pas musicien, j’avais besoin d’une oreille extérieure pour composer et réaliser."

Sur la jacket de promo de La Pointe Rouge, Nicolas Deutsch affiche le credo qui l’a guidé pendant tout ce travail : "Cet album, je ne le voulais pas en crépit avec un teint blafard. J’avais envie d’un truc puissant et énergique". Il s’est tenu à ce qu’il voulait avec une précision d’horloger. Distillant guitares, piano, cordes, batterie et divers effets avec parcimonie. Piquant ici ou là la curiosité de l’auditeur avec une flûte, une guimbarde ou une porte qui grince… Résultat : de jolies chansons ciselées comme de la dentelle et gonflées de sensations. Un coup rock, un coup chanson. Un autre pop, folk ou tango. Bref, une réalisation dynamique qui met en valeur la voix profonde et grave de Jean Guidoni (qui fait penser à celle d’un Bernard Lavilliers ou d’un Claude Nougaro).

Pendant ce temps, Jean Guidoni s’adonnait à l’écriture de la plus curieuse des façons. Se mettant dans la peau d’un journaliste, il inventait les critiques d’un disque pas encore enfanté pour se donner de l’inspiration. "Je citais des passages de chansons au milieu de la chronique d’album. J’enlevais ensuite la partie journalistique et il ne me restait que les paroles !" Grâce à cette méthode, le chanteur n’a pas eu de panne d’écriture. Au contraire : il a dû réduire la plupart de ses textes ! Au final, Jean Guidoni signe neuf des treize titres qui figurent sur l’album. Un bon ratio pour quelqu’un qui ne se considère pas comme un auteur à proprement parler : "Je ne suis pas comme ses auteurs pour qui il est vital d’écrire, confie Jean Guidoni. J’ai beaucoup travaillé à mes débuts avec le parolier Pierre Philippe, plus récemment avec des écrivains sur Trapèze… J’ai plus de facilités à écrire du romancé que de la chanson."

Et pourtant, au fil des écoutes de La Pointe Rouge, on se délecte des tournures de phrases trouvées par Guidoni. De ses mots si proches des émotions, si bien choisis et associés aux mélodies. Les paroles de Fatal, calées entre des notes de synthé minimalistes et une ligne de basse somptueuse, donnent des frissons : "Je me relis en diagonal mental/ A me regarder ne rien faire / Je me philosophe à l’envers / Barbouillé de rouge et de miel / Entre le futile et l’essentiel/ Sans émotions multicolores/ Je me régresse, c’est indolore / Tout ça n’est pas aussi fatal / Que la blessure du métal". Le Guidoni qui affectionne sur scène déguisements et travestissements se montre ici sans fard. Parlant d’un mal de vivre vécu qu’il soupçonne tout le monde de traverser.

Dans Seul, il revient sur plus de trente ans de carrière. Sur ses rapports compliqués avec le métier : "Jamais vous ne croiriez en moi/ Je dansais en équilibre / Dans la marge de vos pensées / Je voulais que vous m’aimiez. Le regard est lucide. Le ton pas toujours tendre. "Je ne m’aime pas vraiment, j’ai plus tendance à me tourner en dérision quand je me regarde, dit Jean Guidoni. Mais je me suis forcé à parler de moi. Au point où j’en suis, il faut donner du vrai : mes questionnements, mes angoisses, mes espoirs…"

Ne soyez donc pas étonné que le "Je" hante tout l’album. Même les titres écrits par d’autres parlent de lui. Le folk Oh Loup de Mathias Malzieu (Dionysos) décrit l’emprise "volcanique" que la scène a toujours eu sur Jean Guidoni. L’énergique Comme un Autre de Jeanne Cherhal pointe du doigt la question de la dualité des êtres qui obnubile le chanteur. Il adopte d’ailleurs sur cette chanson le phrasé précipité de Jeanne Cherhal, ajoutant une dimension auditive à la thématique de l’ambiguïté. Quant à Dominique A et Philippe Katherine, l’un parle politique sur fond de guitares acoustiques (qu’il a lui-même jouées sur Cloaca Maxima), l’autre métaphysique de façon légère, poétique et un peu barrée (Un Arbre en Normandie).

Sans consignes aucune, les quatre invités ont chacun composé une ode qui a tout de suite collé au reste de l’album, musicalement et textuellement parlant. Jean Guidoni en est encore tout ravi : "C’est enrichissant d’avoir un autre éclairage sur soi. Chacun m’a vu à l’orée de ses propres sensibilités." Sur la scène de la Boule Noire à Paris, seul le chanteur de Dionysos est pour l’instant sûr de venir chanter avec Jean Guidoni. Comme toujours, le chanteur connu pour ses bas résilles et ses spectacles provocateurs est à la fois inquiet et impatient de monter sur les planches. Il prépare en ce moment son spectacle avec un metteur en scène et une plasticienne qui devrait fournir des éléments de décor autour du thème du voyage… Jean Guidoni n’en dit pas vraiment plus, sauf que le concert mêlera vieilles et nouvelles chansons. Lui a besoin de ce double répertoire pour se sentir à l’aise, et ses fans (qu’il consulte régulièrement sur sa page Myspace) aussi. Beaucoup lui réclament les bas résilles… Lui promet un tour de chant où cette fois, "la provocation sera avant-tout émotionnelle".

Jean Guidoni La Pointe Rouge (Wagram) 2007
En concert à la Boule noire à Paris du 24 au 29 avril et du 22 au 26 mai.