Jacques Schwarz-Bart, chercheur de perles
Une soirée cross-over
Mercredi 8 octobre dernier, la soirée Factory a permis au saxophoniste guadeloupéen Jacques Schwarz-Bart de rassembler pour la première fois sur scène tous les musiciens de son dernier album, Abyss, sorti en septembre dernier. Avec dans l’idée de restituer, "en mieux", l’atmosphère de création de l’album, aux confins du jazz, du gwo-ka, et des vertus thérapeutiques de la musique gnaoua.
Un spectre de lumière bleue inonde la Cigale. Puis, imperceptiblement, la salle parisienne glisse vers des profondeurs insondables…
Pour cette première soirée du triptyque Factory, le festival d’Ile-de-France donne carte blanche au saxophoniste Jacques Schwarz-Bart, et à Abyss, son dernier disque.
Ravi, il déboule sur scène tout sourire : c’est la première fois que les morceaux de son album seront joués sur scène avec les douze invités de l’album studio – le guitariste John Scofield en moins. Quelques surprises s’ajoutent à ce panel d’exception : le flûtiste Magic Malik et les Frères Belmondo. "De quoi rendre ce qui a été fait sur l’album, mais en mieux !", s’enthousiasme Jacques Schwarz-Bart.
Sophistiquée et directe, sa musique dessine depuis dix-huit ans un nouvel horizon entre le rythme traditionnel guadeloupéen gwo-ka et le jazz de New York où il vit depuis de nombreuses années. Avec les musiciens d’Abyss, il partage une bonne expérience du groove et surtout cette double culture commune, jazz et gwoka, qui leur permet d’explorer de nouveaux possibles… Pour Abyss, cela a été la musique gnaoua du Maroc, dont la transe possède des vertus thérapeutiques, et qui s’invite par petites touches, comme le symbole d’un processus de deuil en marche…
Lionel Belmondo au saxophone, son frère Stéphane à la trompette donnent la réplique au saxophone de "Brother Jacques" dans un morceau d’ouverture très jazzy, soutenu par le groove impeccable de la basse de l’immense Reggie Washington. Puis, sur les graves pulsations du gwoka, sa mère Simone Schwarz-Bart s’avance timidement et vient rendre hommage à son défunt mari, l'écrivain André Schwarz-Bart, dans Simone un poème traduit en français pour l’occasion. A ses côtés, son fils rappelle : "Il y a deux ans, la mort de mon père me pesait tous les jours, puis lorsque je me suis mis à composer Abyss, en son hommage, je me suis senti guérir à chaque morceau".
Sans transition, les Belmondo et Malik rappliquent. Jacques Schwarz-Bart donne le départ : ils enchaînent avec le sautillant Mendé Chraj. Et bientôt, c’est au tour des dames de monter sur scène. Avec le Sénégalais Hervé Samb qui donne à sa guitare un ton de guembri, cet instrument à la base de la musique gnaoua, la diva jazz Elizabeth Kontomanou, drapée dans une robe de satin noir, s’avance et lance le chant d’Abyss, morceau éponyme de l’album en hommage au père défunt. Au second micro, Stéphanie Mc Cay, voix montante de la soul new-yorkaise, enceinte de six mois, fraîche et spontanée, subjugue tous ceux qui ne la connaissaient pas encore … Après Abyss, elles s’enfoncent dans le Big Blue, un morceau très jazz, sur une scène inondée de lumière rouge…
Mais Guy Conquète est sans doute l’invité le plus précieux de cette soirée. Légende vivante du gwo-ka, il pose sa voix fantomatique sur le morceau An Ba Mango La. "Papa, je t’ai vu sous le manguier ce matin, est ce que tu viens m’emmener avec toi ?" dit le texte. De la scène gronde désormais une musique de veillée inédite, grave et groovy, incarnée par les voix de Stephanie McCay et Guy Conquète…C’est sublime, mais la formule du concert ne permet pas de s’appesantir. C’est déjà à Malik et à sa flûte magique de remonter sur scène.
Jacques Schwarz Bart donne au public un dernier solo de saxophone, puis les invités reviennent tous pour un dernier salut. 22h30. Il est tôt. Le groupe revient pour un dernier rappel. Dehors, après ce concert aux confins de la mer Caraïbe de l’océan Atlantique, Pigalle semble un peu moins rouge.
Jacques Schwarz-Bart Abyss (Universal jazz) 2008
Eglantine Chabasseur