Marc Ducret, cordes sensibles
Dans le cadre du festival Jazz à la Villette, qui se tient à Paris du 30 août au 10 septembre, le guitariste Marc Ducret bénéficie d’une carte blanche qui va lui donner l’occasion de se produire en solo, en duo et en trio. L’occasion de présenter ce musicien français, expert hors-pair et franc-tireur militant.
Exercice en trois temps
Dans le cadre du festival Jazz à la Villette, qui se tient à Paris du 30 août au 10 septembre, le guitariste Marc Ducret bénéficie d’une carte blanche qui va lui donner l’occasion de se produire en solo, en duo et en trio. L’occasion de présenter ce musicien français, expert hors-pair et franc-tireur militant.
“Je t’arrête tout de suite. Je ne parle pas de jazz. Je ne parle pas de genres, mais des gens. C’est un principe : nous souffrons trop de cette classification.” Marc Ducret n’est pas du type facile. Non, il est juste un type épatant qui déjoue les tics de la guitare, avec style. “Oui, la musique, j’en ai écouté très tôt. Les Beatles, Hendrix, Emerson, Lake & Palmer... J’avais treize ans au moment de Woodstock. Mes grandes claques ? Ravel, Bill Evans, Led Zeppelin, Joni Mitchell, Bartok, Schubert... Que du banal.” Ça, c’est lui qui le dit. Lui, natif de Paris en 1957, grandi alentours, autodidacte sevré de Wes Montgomery, affranchi depuis des vertiges virtuoses de la guitare bop. Passé pro en 1974. “Le nez dans la guitare entre 1975 et 1980.” Il tâte du oud, de la basse, des cordes où ses doigts se font agiles, s’agitent, cogitent. C’est lui, timide désormais sans complexe, que l’on retrouve au cours des années 80 avec tous ceux qui comptent dans le paysage du jazz en versions françaises, “du pur swing aux figures dites contemporaines”. Le Onztet de Caratini, le premier ONJ de Jeanneau, Michel Portal aussi, et ainsi de suite. C’est encore lui que l’on gratifie de prix : Django Reinhardt en 1987, Meilleur guitariste Jazz Hot en 1988, étoile Sacem en 1989. Il est grand temps de montrer une autre facette pour celui qui s’impose alors comme le prodige d’une génération d’un certain jazz. Louis Sclavis, Yves Robert et tant d’autres le citent en exergue. Tim Berne, l’aventureux saxophoniste outre-Atlantique, l’invite pour une série d’albums. De plus jeunes surdoués, Julien Lourau, Benoît Delbecq... le rejoignent. Tout s’enchaîne, il se déchaîne. Il va transpercer les années 90, enregistrant des albums qui affolent les musiciens à défaut de bouleverser le grand public. Le Kodo, News From The Front, (Détail), In The Grass et puis en 2003 Qui Parle ?, un inventaire pour l’avenir. Tous parus sur des labels de qualité, des références dans le monde des musiques improvisées.
Dynamiter la forme jouée
Oui, mais voilà : “L’improvisation ne m’intéresse pas plus qu’autre chose. Moi, je voulais chanter et c’est ainsi que j’ai appris la guitare : pour m’accompagner.” Il a repris plus d’un standard de la chanson : du Julien Clerc, du Barbara, et surtout son délicieux projet baptisé Seven Songs From Sixties... Tout un programme. Et de citer, outre le Bitches Brew de Miles, Facing You comme un phare. “Dans ce disque, Keith Jarrett pose la question primordiale, en essayant de traduire à sa manière ce que propose Bob Dylan. Tu n’es pas chanteur, mais tu sais que c’est ça le truc : une chanson. Dès lors, tu vas vers un partage et non vers un truc pour instrumentistes.” Cette interrogation, “non résolue”, n’a cessé de le hanter. “Les grands moments en musique interpellent sur l’instant. Ce n’est qu’a posteriori qu’ils imposent une réponse... non définitive.” Alors, Marc Ducret continue de gratter en toute fidélité, ne cesse de dynamiter la forme proprement jouée, tout en sachant bien s’en tenir à la mélodie comme un fil conducteur invisible, tout en retenant l’attention jusqu’au dernier souffle. Avec lui, on ne sait jamais ce qui tient de l’improvisation écrite ou de l’interrogation impromptue. Il cherche des questions plus qu’il ne trouve des réponses. Dans ce questionnement, il découvre peu à peu matière à élaborer un discours singulier qui suggère, qui laisse à chacun le plaisir de s’y projeter. “Etre un rebelle, il faut que cela s’entende en musique. Le son porte un tas d’informations détachées de leur émetteur, mais disponibles pour ceux qui écoutent.”
Le prix de la liberté
Voilà sans doute pourquoi ce diable d’amateur de belles lettres est un sacré compositeur qui entremêle poésie et phrasés dramatiques, non sans plusieurs notes d’humour. Entre les lignes pour cet homme en colère, qui a manifesté pour défendre le statut des intermittents du spectacle, quitte à annuler des concerts et payer de sa poche. En 2005, il voit dans le nord de l’Europe, la Scandinavie en tête, des modèles. “En France, le tissu culturel vivant y a été éradiqué. On est en train de glisser vers un consensus de pouvoir fort, comme annoncé par Courbet en 1871. Il s’agit en fait de la normalisation de la dialectique marchande. De telle sorte que les artistes qui créent sont repoussés à la marge.” Pour le coût, il s’autoproduit depuis trois disques. “Je tiens à la liberté et cela a un prix.” Cet été, il n’a été programmé qu’une fois dans le grand raout festivalier qui encombre la France de produits calibrés. À Rouffiac, au fin fond du Sud-Ouest. Et le voilà à Paris, au festival Jazz à La Villette. Pour un exercice en trois temps, sur la minuscule scène de l’Atelier du plateau, qu’il a souvent pratiquée. “Le solo, c’est sans filet. Le duo, c’est l’occasion de jouer avec un musicien que j’admire, le percussionniste Jean-Pierre Drouet. J’ai d’ailleurs un projet avec lui autour de l’adaptation d’Artaud du Moine, un bouquin d’HG Lewis. Et enfin le trio, ce sera une version de poche sur le répertoire que je bosse actuellement, Sang d’encre, des choses qui piquent.” Alors le jazz dans tout ça...
En concert au festival Jazz à La Villette les 4 (solo), 5 (duo) et 6 (trio) septembre 2005 à L’Atelier du Plateau (5, rue du plateau, 75019 Paris).