Le Paradis de Bob Sinclar

Avec "Gym tonic", le dénommé Bob Sinclar est devenu la nouvelle attraction des pistes de danse. A l'occasion de la parution en CD de son album "Paradise", l'agent secret de pacotille révèle sa véritable identité.

La house a multiples facettes

Avec "Gym tonic", le dénommé Bob Sinclar est devenu la nouvelle attraction des pistes de danse. A l'occasion de la parution en CD de son album "Paradise", l'agent secret de pacotille révèle sa véritable identité.



Un personnage mystérieux hante depuis quelques mois déjà les dancefloors du monde entier. A la scène, son nom est Sinclar, Bob Sinclar, comme le personnage campé par Jean-Paul Belmondo dans "Le magnifique", le film de Philippe de Broca. Mais, moins athlétique que Bébel, notre homme, avec sa fine moustache, évoque davantage un croisement gaguesque de James Bond et de Simon Templar, encadré de playmates de salles de gymnastique, l'humour et le second degré en bandoulière.

Nom de code : Bob Sinclar

L'été dernier, pour sa première mission, le sieur Sinclar a su trouver la solution efficace, en l'occurrence un morceau house bodybuildé et frétillant créé en collaboration avec Thomas Bangalter (Daft Punk, Stardust), "Gym tonic", qui ressuscite Jane Fonda période "Work out" ("two, three, four, five, six, seven, eight and back"). Tandis que "Gym tonic" se répandait comme une traînée de poudre sur les pistes des discothèques et à la radio, sorti uniquement en vinyle, l'album "Paradise" - une rutilante machine à danser produite par le label parisien Yellow Productions - cumulait quelques 36.000 exemplaires vendus sur les territoires où il était disponible, un très bon score pour un vinyle.

L'agent Bob Sinclar n'ayant pas démérité, la version CD de "Paradise" sortait au début de l'automne, distribuée par East West. Introduit par une courte incantation du Général de Gaulle plus vraie que nature, l'album, qui renferme treize morceaux pour une heure d'enregistrement, prolonge l'esprit "Gym tonic" jusque dans le visuel de la pochette, qui multiplie les fautes de goût et les clins d'œil au kitsch 70's (publicités pour après-rasage et crème miracle, pin up lascives, grosse cylindrée, et tout le toutim). Dans "Trax", le mensuel des musiques électroniques, celui que l'on nomme Bob Sinclar expliquait le fondement d'un tel concept : "Le projet Bob Sinclar est essentiellement voué aux clubs, pour faire danser les filles. Il s'agit de créer une sorte de gimmick qui va faire que les gens ne vont pas s'ennuyer sur une seule boucle pendant six minutes. Il faut rester le plus minimal possible, en essayant de garder un côté groovy et une musicalité importante". En ce sens là, l'objectif est pleinement atteint.

Groove & Disco

Certes pas franchement novatrice, la house de Bob Sinclar fait pourtant mouche, ce dangereux mixeur sachant dénicher des gimmicks particulièrement accrocheurs. De plus, loin de la froideur techno, son inspiration s'imprègne plutôt de l'héritage de la musique black, avec un penchant caractérisé pour le bon vieux disco (comme c'est le cas sur "Disco 2000 selector" ou "Vision of paradise") et la funk music ("Ultimate funk"). Avec ses rythmes latins, "The Ghetto" surprend mais, à l'instar des autres titres, finit par séduire. Dans cette entreprise, Bob Sinclar s'est entouré de seconds couteaux, qui viennent assurer les featuring sur quelques titres (Lee A. Genesis sur "My only love" et Karl sur "The Ghetto").

Trois mois après sa sortie en CD, "Paradise", commercialement parlant, réalise des débuts honorables en France, en Grande-Bretagne, en Nouvelle-Zélande, au Canada et aux Etats-Unis. En dépit d'une aussi réjouissante carte de visite, Bob Sinclar avançait toujours masqué. Pourtant, on ne mit pas très longtemps à identifier ce curieux personnage.

Les autres visages de Bob Sinclar

Mais qui se dissimule donc derrière ce masque ? En réalité, à la ville, ledit Bob Sinclar n'est autre que Christophe "Da French Kiss" Le Friant, l'une des chevilles ouvrières du mouvement house en France. En 1987, alors âgé de 18 ans, il commence une carrière de DJ dans les clubs parisiens. Depuis dix ans, que ce soit à l'époque de The Mighty Bop ou aujourd'hui avec le projet Bob Sinclar, sa réputation grandit sans cesse, de Londres à New York, en passant par Hong Kong, Ibiza, Vienne, Hyères, Le Fou-du-Roy. Entre-temps, Christophe Le Friant s'est également beaucoup investi dans la production, en devenant patron de label. Courant 1993, avec l'aide d'Alain Ho, il fonde Yellow Productions qui, sentant mûrir la désormais fameuse french touch, signe notamment Kid Loco et Dimitri from Paris, deux des DJs phares de cette nouvelle vague électronique.

Très tôt, dès le temps des pionniers comme Laurent Garnier, ils ont su flairer le fort potentiel international de cette musique, avant l'explosion commerciale de ces deux dernières années qui a vu Daft Punk, Air ou encore Stardust faire des ravages dans les classements de ventes de disques de nombreux pays. Tout comme F Communication et les labels de cette foisonnante mouvance électronique, Yellow Productions réalise près de 90% de ses ventes à l'exportation. Ainsi, sur les 90.000 premiers exemplaires écoulés de l'album de Bob Sinclar, 35.000 seulement l'ont été en France. Nul n'étant prophète en son pays, il en va de même pour Dimitri from Paris (10.000 "Sacrebleu" en France, 90.000 à l'étranger) ou Kid Loco (35.000 "Grand love story" à l'export sur les 55.000 vendus). D'autre part, Yellow Productions refuse la ghettoïsationqui menace certains labels indépendants de techno, comme Fairway Records qui a dû récemment déposer son bilan. Le catalogue Yellow offre ainsi un panorama éclectique des musiques électroniques (house, rap, acid jazz, trip hop, jungle.) et d'artistes (EJM, La Funk Mob, Kid Loco, Louise Vertigo, Remininscence Quartet, The Mighty Bop, Dimitri from Paris ou encore Bang Bang).

Avec une sacrée bonne dose d'humour mais non sans intelligence et lucidité, Christophe Le Friant, alias Bob Sinclar le magnifique, réussit pour l'heure à parfaitement concilier ses deux identités, DJ ludique et globe-trotter, et patron de label avisé.

Gilles Rio.