La France (Gall) des Yéyés

Alors que, pour des raisons personnelles, France Gall vit désormais loin du show-biz, Universal sort un coffret de quelques 74 titres remasterisés datant des années 1963 à 68. Retour sur une période pas si légère que cela.

Réédition de chansons de France Gall des années 60

Alors que, pour des raisons personnelles, France Gall vit désormais loin du show-biz, Universal sort un coffret de quelques 74 titres remasterisés datant des années 1963 à 68. Retour sur une période pas si légère que cela.

A quinze ans, alors qu'elle va encore à l'école, la jeune fille blonde qui ne s'appelle pas encore France, débarque dans les hit-parades français avec des chansons pour ados. Son père Robert Gall, auteur entre autres de la Mamma de Charles Aznavour a eu la bonne idée de lui faire pousser la chansonnette et de l'enregistrer sur cassette pendant les vacances de Pâques 1963. C'est ainsi que France plonge allègrement dans la vague yéyé en interprétant des "covers", versions françaises de tubes américains, comme la plupart de ses collègues d'alors, Sylvie, Johnny ou Sheila. Son premier 45 tours signé chez Philips s'intitule Ne sois pas si bête, adapté par le parolier Pierre Delanoë de Stand a little closer. Et la voilà lancée sur la rampe de la notoriété et du succès.

La poupée yéyé

Dans sa toute jeune carrière, les titres se suivent et se ressemblent : Ça va je t'aime, J'entends cette musique ou Pense à moi. Il y est essentiellement question d'amours adolescentes, de quoi accrocher un public insouciant, tout juste sorti de l'enfance. Une grande partie de ce public écoute avidement les émissions de Daniel Filipacchi sur la radio Europe 1, dévore les numéros de Salut les copains et suit avec grand intérêt, la vie artistique mais aussi privée de ses idoles.

Serge Gainsbourg, auteur novateur s'il en est, n'évolue pas dans cet univers-là. Pourtant, il accepte de travailler pour France Gall. Il lui écrit N'écoute pas les idoles dès 63, titre qui entre immédiatement au classement de Salut les Copains. En 64, c'est Laisse tomber les filles. Puis l'année suivante, la jeune chanteuse se présente au concours de l'Eurovision sous les couleurs du Luxembourg (!) avec Poupée de cire poupée de son composé une fois encore par "l'Homme à la tête de choux". Gagnant ce concours, elle accède au rang de chanteuse internationale avec des ouvertures notamment sur l'Allemagne et le Japon.

Superficielle et légère ?

Les choses se gâtent sérieusement quand le grand Serge lui écrit les Sucettes dont les paroles sont quelques peu équivoques. Les mauvaises langues disent que la jeune fille n'a su comprendre le deuxième degré… De nombreuses années plus tard, son compagnon et Pygmalion, Michel Berger, dira dans une interview accordée au magazine Elle (26/10/81) : "J'ai été révolté par la légende qui la dépeignait légère, superficielle. Bien sûr, elle a chanté des textes de Gainsbourg qui ne l'ont pas arrangée. Mais elle n'est pas stupide. France est simple. Elle a les pieds sur terre." Cette mise au point rend compte de l'image qu'a laissée cet épisode dans la carrière de la chanteuse. Mais les souvenirs amers ne se cantonnent pas à cela. Début 65, son père Robert lui écrit Sacré Charlemagne qu'elle dira par la suite, avoir détesté. Malgré ça, elle en vend plus de deux millions d'exemplaires et le titre est traduit en seize langues. Il reste ainsi ancré dans toutes les mémoires.

Managée par un père heureux de son succès, France, encore très jeune, subit les contraintes du métier avec mauvaise grâce. En 95, elle déclare à Joëlle Lehrer, du magazine belge Le Soir Illustré : "Quand j'ai accepté à seize ans de faire ce métier, c'est parce que je ne voulais pas redoubler ma troisième. J'ai donc sauté sur l'occasion d'enregistrer un disque. Je ne me rendais pas compte que ça allait foutre en l'air dix années de ma vie. Ne pas vivre son adolescence, c'est comme ne pas vivre son enfance. Ça détraque. Alors, bon, je suis quelqu'un d'assez équilibré, c'est pour ça que je suis toujours là."

Has been à 20 ans

En 67, Gainsbourg lui écrit encore deux chansons Néfertiti et Teenie Weenie Boppie (sur les effets du LSD !) mais c'est avec le succès de Bébé requin (dont Joe Dassin est l'auteur) qu'elle clôt bien malgré elle, la première partie de sa carrière. A peine 20 ans, et voila déjà la blondinette passée de mode. Entre 1970 et 1974, elle partage la vie de Julien Clerc qui aurait dit d'elle qu'elle n'était pas faite pour ce métier. Ce ne fut sans doute pas l'avis de Michel Berger qui en fit une des figures de la variété française les plus populaires, pendant presque vingt ans.

Longtemps, France Gall ne voulut pas entendre parler de sa période yéyé. Aujourd'hui, avec la sortie du coffret, on plonge ou replonge dans un répertoire dont on ne voulait ou pouvait se rappeler que la partie émergée de l'iceberg, Sacré Charlemagne, les Sucettes ou Bébé requin, le reste étant purement et simplement gelé dans la mémoire de l'artiste comme dans celle du public. Il faut admettre qu'un bon nombre de chansons dans ce coffret ne sont pas des chefs-d'œuvre. La voix nasale est celle d'une femme-enfant qui même si elle a un certain talent, manque d'expérience. L'écoute de tous les titres enchaînés finit par devenir un peu crispant. Mais ils évoquent une certaine insouciance, surtout sans doute avec une pointe de nostalgie pour la génération qui avait 15/20 ans dans les années 60. Quant aux fans de France Gall version Si Maman si ou Résiste, ils découvriront un aspect méconnu de sa carrière.

France Gall Intégrale Philips 1963-1968 Polydor/Universal 2001