Le regard noir de la Rumeur
Leur troisième album Du cœur à l’outrage est sorti au lendemain du premier tour. Et cette interview d’Hamé, un des quatre rappeurs de La Rumeur, a été faite au lendemain du second. Une occasion idéale, si l’on ose dire, pour lui demander à chaud ses réactions sur les élections et comment le groupe va se positionner pour les cinq ans à venir. Entre musique et politique, voici La Rumeur, "au regard aussi noir que méfiant".
Outrage de raison
Leur troisième album Du cœur à l’outrage est sorti au lendemain du premier tour. Et cette interview d’Hamé, un des quatre rappeurs de La Rumeur, a été faite au lendemain du second. Une occasion idéale, si l’on ose dire, pour lui demander à chaud ses réactions sur les élections et comment le groupe va se positionner pour les cinq ans à venir. Entre musique et politique, voici La Rumeur, "au regard aussi noir que méfiant".
RFI Musique : On est au lendemain du deuxième tour des élections. Est-il encore possible à La Rumeur de parler musique et son ?
Hamé : On peut toujours en parler, mais est-ce que ça va être plus facile de s’exprimer, c’est une autre histoire. Plus que jamais, tout ce qu’on a fait depuis dix ans, si ça a un sens, doit continuer. Il faut se battre même si, comme dirait Ekoué, "l’avenir ne me dit rien et c’est réciproque". Sans verser dans un nihilisme facile, on est quand même à un virage historique que la société française semble être mûre à prendre. C’est comme ça, et on va se battre.
Mais en se faisant l’avocat du diable, on pourrait dire que l’élection de Nicolas Sarkozy comme président de la république est bonne pour un groupe militant comme le vôtre…
On pourrait a priori penser ça, penser qu’on en a définitivement fini avec ce rap r'n'b bling bling mielleux qui a eu ses heures de gloire effectivement sous le PS et qui a traîné ses derniers beaux jours ces dernières années. On peut se dire que le paysage politique, social et idéologique se radicalisant, ça peut profiter à La Rumeur. Mais on peut aussi se dire l’inverse, qu’on est dans la ligne de mire. Pour un groupe comme nous, ça va être encore plus difficile d’avoir des ouvertures dans les médias. On peut aussi ne pas se risquer à parier sur un maquis culturel que prendraient les gens qui ont voté contre Sarkozy. Moi, je ne parie pas là-dessus. J’ai tendance à dire que ce qui s’est passé hier est plus grave que le 21 avril 2002. 53% du peuple français veut la politique sarkozyste et en finir avec un certain nombre de freins qui empêcheraient aux Français d’être mieux loti. Bon. J’ai voté contre lui au premier et au second tour, on se bat depuis cinq ans contre une plainte qu’il a déposée en 2002, donc le voir au pouvoir m’inspire toutes sortes de sentiments, sauf la réjouissance.
Dans quel état d’esprit avez-vous enregistré le troisième album, Du cœur à l’outrage ?
Avec le sentiment qu’on en arrivait à la fin d’un cycle qui a duré dix ans. Et aussi le sentiment très clair qu’on venait de passer un cap, autant à l’échelle du groupe que du pays. En ça, les émeutes de 2005 sont pour nous un marqueur, un jalon, beaucoup plus que le non à la constitution européenne ou les mouvements contre le CPE. Clairement, pour nous il y a un avant et un après octobre/novembre 2005. Et on avait la volonté d’apporter un troisième disque qui vienne clore la trilogie de nos albums en montrant ce qu’on sait faire de mieux. On a voulu sortir du bunker, étrangement on a des textes sur la claustrophobie, la nuit, qui sont nos moments de respiration. Et puis c’est aussi l’album de nos trente ans.
Considères-tu que sur ce disque, la technique est reléguée à l’arrière-plan au profit des textes et du sens ?
Sans technique ostentatoire, oui peut-être. Mais il y a beaucoup de travail sur les placements. Il y a de la technique mais elle n’est pas spectaculaire, elle est sans gimmicks. Elle est dans la gestion du contretemps et de la respiration. On considère le flow comme devant être une esthétisation à peine plus poussée que le parlé usuel. Il ne s’agit pas de développer des acrobaties, certains le font très bien. Nous, ça n’est pas notre tasse de thé. Et puis notre manière de parler est faite pour être entendue, c’est une porte d’entrée pour ceux qui sont étrangers aux codes du rap. C’est la première chose qui guide notre démarche. Mais il y a une technique et un flow travaillé, sinon on écrirait des livres ou on ferait du slam, et il n’est pas question de ça. C’est la différence entre un long travelling avant dans une rue parisienne et un plan tape à l’œil plein d’effets spéciaux avec un gros son.
Hamé, tu as deux morceaux solo dans l’album, La meilleure des polices et Un chien dans la tête. Sont-ils différents de ceux que tu écris avec Ekoué, Philippe et Mourad ?
Oui, parce que je n’ai de comptes à rendre à personne. C’est mon monde, il commence et finit avec moi. À plusieurs, je fais attention aux autres. Je désamorce parfois certaines envolées. Seul, je me laisse le choix de me perdre.
La Rumeur en indé, ça donne quoi en termes de ventes ?
On est entré 38e au Top albums en vendant 3.000 disques la première semaine, donc on est assez satisfaits. Surtout qu’il s’est retrouvé dans les bacs entre les deux tours, période durant laquelle les majors évitent de sortir des disques à cause de la forte actualité politique qui démobilise les gens. Nous, les gens se sont déplacés pour notre disque, et dans les 40 premiers on est les seuls indés avec un vrai label indépendant. On est donc assez contents. Mais on va continuer à pousser cet album. On a du cœur à l’outrage, c’est le cas de le dire.
Chronique album
"Il y a toujours un lendemain", annonce le premier titre de ce troisième album de La Rumeur. Et il sera sombre, serait-on tenté de rajouter à l’écoute des 15 titres de ce disque amer, triste constat d’une époque qui cherche ses marques et écrase chaque jour un peu plus les faibles.
Premier constat : l’évolution de La Rumeur est palpable au niveau de la musique, historiquement leur point faible de par leur refus des arrangements trop léchés et leur recherche d’un ascétisme qui a semblé exagéré à certains. Dans les quatre titres composés par le producteur électro Demon (qui officia aussi chez Rim-K du 113), on sent un groove nouveau qui porte plus loin les mots justes proférés par Ekoué, Hamé, Philippe et Mourad, quatre MCs qui ne se retrouvent ensemble que sur trois morceaux, dont le très réussi Je suis une bande ethnique à moi tout seul (featuring Serge Teyssot-Gay de Noir Désir).
Le ton est acide, les paraboles audacieuses ("Appauvri, OK, mais comme de l’uranium", "La meilleure des polices c’est ton taf, ta télé, tes crédits (…) et tout ce que tu prends pour pleurer moins fort la nuit"), l’humour absent, sauf peut-être très noir sur le freestyle final Les bronzés font du rap (featuring Casey, Prodige, B. James, Al et Spécio).
Plus que jamais, La Rumeur se positionne comme un groupe de rupture avec la tendance à l’ouverture qui tente certains des acteurs du rap français. Plus que jamais, elle livre un discours adulte, complexe, loin des clichés et ne reculant pas devant l’autocritique. Pas suffisant pour convaincre ceux qui doutent, mais assez pour que les autres considèrent cet album comme le meilleur de La Rumeur.
La Rumeur Du cœur à l’outrage (La Rumeur Records/Discograph) 2007
Concert spécial 10 ans : le 6 juin au Tradendo à Paris