Henri Tachan
Enfin, Tachan est mis en intégrale. Trente-huit ans après ses débuts, la maison de disques Naïve commence à publier tous ses enregistrements en sept doubles-CD, tandis que sort le premier essai A propos de Tachan. Rencontre avec un chanteur aux œuvres souvent drues et au verbe d’une impeccable franchise.
Un bel été pour l'égo.
Enfin, Tachan est mis en intégrale. Trente-huit ans après ses débuts, la maison de disques Naïve commence à publier tous ses enregistrements en sept doubles-CD, tandis que sort le premier essai A propos de Tachan. Rencontre avec un chanteur aux œuvres souvent drues et au verbe d’une impeccable franchise.
« Un jour, j’ai dit que j’aimerais bien avoir une intégrale de mes chansons, de 1965 à aujourd’hui, dans l’ordre chronologique. Et que ce que j’aimerais surtout, c’était de l’avoir de mon vivant - pas une de ces intégrales qui reconnaissent le talent à titre posthume. » Henri Tachan, à soixante-trois ans, se permet de vouloir encore les choses de toutes ses forces, comme on se baffre, adolescent, de gloire ou de glace, de désespoir ou d’amour. Lui, ce n’est pas vraiment la vanité qui le mène; peut-être le plaisir d’être reconnu, reconnu pour sa valeur, et au moins pour quelques modestes prodiges : « Artiste, ce n’est pas un métier, c’est de la folie ; en vivre pendant trente-cinq ans, c’est vraiment un miracle. »
Il ne se lasse pas de ce miracle, même s’il a toujours choisi de ne pas se simplifier la vie, ne serait-ce qu’en se rêvant immense – « être Verlaine ou Beethoven ; ou bien les deux ». D’ailleurs, il ne se connaît qu’une drogue : la musique du Sourd. Cela date d’un séjour linguistique en Allemagne : « Deux étés de suite, mes parents m’ont envoyé en Allemagne pour parfaire ma connaissance de la langue, dans une famille. Tous les soirs, le grand-père écoutait le concert en direct à la radio. Un soir, j’étais dans sa chambre avec son petit chien et le petit verre de vin du Rhin qu’il me donnait pour le concert et ça a été la IXe. Je ne connaissais pas Beethoven. Ça a été le choc de ma vie, une révélation immense. Aujourd’hui, quand ça ne va pas, quand ça ne va vraiment pas, je prends de la drogue, je me mets du Beethoven. »
Car il aime les sensations musquées, lui qui fut à ses débuts « le chanteur le plus censuré de France ». En 1965, il naissait au music-hall avec un album qui jetait tous les mots interdits par la radio de l’époque, qui ricanait devant la comédie du sexe mais plus encore devant le comique de la vertu. Jacques Brel clamait son admiration au dos de la pochette, Juliette Gréco le prenait en première partie de sa rentrée à l’Olympia… Depuis, il n’a sans doute jamais fait de tube, de « vrai » tube.
Mais combien ses chansons ont-elles fait parler d’elles ! Il a cogné à bras raccourcis sur tout ce qu’il déteste – les chasseurs, les drapeaux, les tièdes, les lâches, les mous, les durs, les mecs… Génération après génération, des lycéens apprennent l’insolence dans ses chansons, que leurs parents écoutent pour se garder en indignation. Et il lâche de belles paillardises pour donner grosse voix et rose aux joues à ses spectateurs, quand il fait reprendre en chœur le légendaire refrain d’Une pipe à Pépé – belle plaisanterie mais première et dernière fois que la chanson française ose parler du tabou de la sexualité du troisième âge.
Pourtant, il a chanté beaucoup de tendresses, de mélancolies, de nostalgies. Lui seul a mis à son bestiaires Les Chiens qui suivent les enterrements, qui est peut-être un sommet de compassion, auquel Renaud donne un écho sur son dernier album avec Baltique, chanson sur le labrador de Mitterrand.
Courageux, généreux ? Il essaie de se faire plus petit qu’il n’est : « Le meilleur de moi, ce sont mes chansons. Mes chansons, c’est ce que j’aurais voulu être. Je suis plus intéressant dans mes chansons que dans la vie, je pense. J’aurais aimé être un autre, plus altruiste, moins égoïste, moins replié sur moi-même. C’est ça les artistes : ils rêvent ce qu’ils auraient voulu être. Ce sont de gentils menteurs. »
Comme il ne s’est jamais habillé de paillettes ni de barbe fleurie, comme il n’a jamais su ni militer ni se taire, il a traversé les années sans prendre trop de place, sans grimper à hauteur des millions. Il ne s’en porte pas plus mal. Et, en se considérant comme un artisan, il peut maintenant voir sa carrière devant lui : l’intégrale commence enfin à paraître et le voici en livre. Le premier des sept double-CD de son intégrale vient de sortir, avec trente-six chansons : ses trois premiers albums, entre 1965 et 1969. Il y a quelques années, il avait commencé à enregistrer pour Auvidis, petite maison indépendante qui a été absorbée par Naïve, à qui il est resté fidèle. Et son envie d’intégrale a fait son chemin : « Naïve a récupéré tous les droits des disques parus chez Barclay, Polydor et AZ, labels qui sont tous absorbés, aujourd’hui, par Universal. Le premier volume a pu paraître en juin, le suivant en septembre. Et il en sortira tous les deux ou trois mois. »
Autre plaisir : après avoir vu ses chansons mises en images par les dessinateurs de Charlie (Cabu, Wolinski, Vuillemin, Gébé, Reiser, Willem) en quatre jolis volumes, entre 1982 et 1984, il est maintenant étudié sous toutes les coutures dans un essai mi-biographique, mi-stylistique, A propos de Tachan (aux éditions Arthemus). Claude Sabatier, son auteur, est non seulement professeur de lettres, mais aussi son cousin, et il a écrit un livre pertinent, attentionné, précis, détaillé, ingénieux dans l’analyse autant des chansons que du personnage. Et, pour ne pas lésiner sur le plaisir, Tachan s’est installé pendant tout le mois de juillet au théâtre du Chien qui Fume, dans le Off du festival d’Avignon. « Venir faire le chanteur avec des centaines de pièces de théâtre tout autour dans la ville, ça me plaît bien. » Et voilà qui le résume bien – vieux sale gosse, sage et insolent.
Henri Tachan Tachan l’intégrale vol. 1 (Naïve)
Claude Sabatier A propos de Tachan (éditions Arthemus)