Gérard Lenorman
Après des années d’absence discographique, Gérard Lenorman pointe de nouveau le bout de sa voix sur une galette toute neuve. La raison de l’autre affiche un son qui se veut plus moderne et des textes qui décolèrent peu face à la pollution, l’amour usé ou perdu, les faux-semblants, les mensonges… Autant écrire que les aficionados de la Ballade des gens heureux vont en perdre leurs repères ! Rencontre au sommet des souvenirs d’une bonne moitié de l’Hexagone.
La raison de l’autre
Après des années d’absence discographique, Gérard Lenorman pointe de nouveau le bout de sa voix sur une galette toute neuve. La raison de l’autre affiche un son qui se veut plus moderne et des textes qui décolèrent peu face à la pollution, l’amour usé ou perdu, les faux-semblants, les mensonges… Autant écrire que les aficionados de la Ballade des gens heureux vont en perdre leurs repères ! Rencontre au sommet des souvenirs d’une bonne moitié de l’Hexagone.
Un café parisien, une heure de début de soirée. Les clients se partagent des conversations concernant le réveillon proche ou le siècle passé, et il n’est pas sûr que l’un d’entre eux ait reconnu l’homme qui vient de pousser la porte. Le visage plus émacié qu’on ne le pensait, les cheveux plus gris qu’on ne les souhaitait, Gérard Lenorman tend une main ferme dans un bonjour tonitruant et un dynamisme un peu forcé. Après la commande d’une eau gazeuse, les politesses d’usage et la narration d’une journée très chargée, le dernier-né la raison des autres occupe déjà le contenu de la causerie.
"Les réactions que j’ai suite à l’écoute de cet album c’est "on ne s’attendait pas à cela". Je réponds alors que je n’ai pas arrêté 15 ans pour refaire ce que je faisais il y a trente ans. J’ai fait des tubes pendant 17 années, ils sont toujours présents et c’est tant mieux, mais maintenant je crois que j’ai quelque chose à continuer… D’ailleurs, je pourrais plutôt appeler ça une renaissance. Ce que j’ai fait dans le passé je le revendique. C’était très beau mais j’étais arrivé au bout. En continuant je serais devenu ce que je déteste chez certains artistes : je me serai imité, caricaturé, j’aurais gardé un filon juste parce qu’au fond, à quoi bon l’arrêter ? Et puis surtout il y avait le doute. Je crois que j’ai toujours été extrêmement honnête, sincère, authentique et je sentais que si je continuais j’allais me brûler."
Dans tous les cas, on ne peut pas vous soupçonner d’années sabbatiques puisque vous n’avez jamais cessé de chanter.
C’est le grand privilège d’avoir fait des tubes ! Aujourd’hui, c’est devenu mon problème d’ailleurs : on est toujours ravi de me revoir à condition que je chante mes anciennes chansons ! En sachant que j’ai autre chose à proposer, ça m’ennuie un peu. Mais, on va y arriver, j’en suis sûr. Je suis si fier de ce dernier disque. J’ai conscience que c’est différent, la même démarche dans la sincérité mais enrichie d’un autre regard . J’ai appris la réalité de la vie. J’ai pris de grandes claques, j’ai été obligé de regarder en face ce que je ne voulais pas voir et j’en ai tiré des enseignements. Je ne pouvais donc pas continuer dans l’évaporé, le rêve absolu comme avant. Mon album s’intitule d’ailleurs la Raison de l’autre parce que j’ai appris à considérer le monde autrement que de mon petit univers clos, en tenant compte des autres. C’est nouveau pour moi !
Parce qu’avant vous étiez nombriliste ?
Comme tous les artistes j’étais égocentrique, oui ! Maintenant je suis peut-être un peu plus humain.
Lenorman est bavard et s’écroule, visiblement à l’aise, au fond de sa banquette pendant que je m’écroule, amusée sous le flot des confidences. Il continue de raconter comment la certitude a remplacé le doute. Il retrace les six années que l’objet lui a demandé, partagées entre Paris, Toulouse, le Canada et la Bulgarie (eu égard aux cordes enregistrées par l’orchestre de Sofia).
"Vous voyez, cela aussi j’ai appris à le faire : voyager. Avant c’était ennuyeux, compliqué. Ce n’était que des aéroports, des hôtels, des salles de répétition, des lieux de concerts… C’était astreignant. Puis un jour j’ai découvert que voyager, c’était aller au devant d’un tas de choses qu’on n’imaginait même pas. C’est devenu un échange et c’est merveilleux. Le voyage c’est comme le bonheur : c’est de l’inattendu.
C’est étrange de vous entendre parler comme cela parce qu’au fond la Raison de l’autre n’est pas très gai, pas très positif. Avez-vous conscience qu’il pourrait même passer pour amer ?
Pas amer, non. C’est vrai que je ne suis pas très heureux de ce qui se passe aujourd’hui, donc je suis obligé de le dire. Mais je n’en parle que pour apporter mes clés, mes solutions et mes espoirs. On vit sur le mensonge aujourd’hui, dans les médias, la publicité, les infos. On ne dit pas les choses telles qu’elles sont. On les dit tel qu’il est bon de les dire. Parce qu’on doit vendre des produits, du papier, des images… Il faut essayer de faire comprendre à ceux qui le veulent bien qu’il y a des valeurs inscrites en nous auxquelles il faut revenir. J’ai découvert après quinze ans d’absence, avec des convictions différentes et des certitudes plus fortes, qu’il n’y avait décidément qu’une seule chose à défendre : l’amour. Alors ça fait quoi ? Ringard ? Non, c’est la seule chose qui vaille la peine de s’investir, de se mobiliser, de se battre. Surtout pas l’indolence, le silence, le camouflage.
S’ensuit une longue digression sur les deux parties de l’humanité, celle qui dit, celle qui subit, sur l’injustice de la répartition des biens, sur l’amour que personne n’ose plus, les gestes qui ne sont plus faits, la perversité de ce qui nous entoure…
C’est touchant parce qu’on a l’impression que c’est à 55 ans que vous découvrez les colères et les révoltes de l’adolescent ?
Parce qu'avant, je ne me rendais pas compte de la réalité, je rêvais tout ! Même ma vie de chanteur je l’ai rêvée depuis que je suis tout petit. J’étais obligé de rêver d’ailleurs sinon je serais devenu fou ou j’aurais mal tourné. Je me suis donc enlisé et gavé de rêves. Cela a été formidable également puisque j’ai pu le partager un bon moment et que cela a fonctionné. Maintenant je vais partager ce que j’ai à dire.
Lenorman juge le moment opportun pour réengager des propos enflammés sur les hommes politiques, le système corrompu…
En effet, vous avez beaucoup de choses à dire, pourtant vos textes sont encore une fois signés par d’autres, Claude Lemesle et Nicolas Peyrac entre autres !
Non, non, non ! Les textes c’est moi, croyez-moi. Demandez-leur !
Cependant à la lecture des crédits sur l’album il n’y a que sur quelques titres que vous apparaissez en tant que co-auteur.
C’est parce que je suis partageur, j’aime le ping-pong ! Je me dis toujours qu’à deux on est plus fort que tout seul. C’est pour enrichir. Je voulais éviter tous les poncifs, tout ce qu’on aurait pu lire ailleurs. La seule phrase clichée que j’ai laissée est : "On voudrait de la lumière / sans peur du nucléaire / des forêts, des rivières / de l’eau, de l’air / sans mercure ni poussière". Voilà, c’est tout ce que j’ai accepté ! Je ne voulais pas que mes chansons soient un récital de ce style. Parce que c’est facile. Je peux remplir des pages de cela ! Le plus important pour moi c’était de dire «Faudrait qu’on nous oublie, faudrait qu’on nous laisse tranquille dans nos petites bulles fragiles». Je voulais éviter d’être trop sérieux également. Ce n’est pas grave de dire «Ffaudrait qu’on nous laisse tranquille », cela n’a pas d’importance. Mais au fond c’est quand même bien la seule chose qu’on puisse faire pour nous, qu’on arrête de tout nous dicter, qu’on cesse de nous dire comment nous lever chaque matin et quoi manger chaque jour pour être dans la tendance.
Cette fois c’est la presse qui en prend pour son grade et les minutes suivantes passent en tentant de parler de revenir au sujet du disque. C'est le chapitre de la composition qui parvient à remettre la conversation sur les rails. Il faut dire qu’à l’inverse des textes, Lenorman n’est pas du tout partageur en la matière. La musique c’est bien sa passion, sa raison d’être. Cet album est très particulier pour moi, j’ai la sensation que j’avais une musique à sortir. Entre le blues, le groove actuel et la mélodie. Je crois que ce disque s’inscrit d’ailleurs totalement dans ce qui se fait aujourd’hui.
Pas de récupération calculée, de jeunisme volontaire ?
Non, justement le gros travail de réalisation a été d’éviter tous les pièges qui caricaturaient une forme de « vouloir être ». Mais sincèrement c’est quand même plus blues que rap ! Quoique, pour moi le rap c’est quand même très blues.
Parce qu’en plus le chanteur écoute de tout. Le temps de rajouter mentalement l’adjectif "curieux" à côté de "bavard", "sincère" et "ingénu" déjà présents dans la fiche signalétique de l’individu et le moment des dernières questions est déjà là.
Je suis désolée si je vous peine mais pour moi vous êtes une madeleine de Proust : votre nom évoque mon enfance. Est-ce que cela vous vexe si je vous dis qu’aujourd’hui j’ai l’impression de rencontrer quelqu'un d’autre, que je n’ai pas la sensation d’être à la table du Gentil dauphin triste ?
Non, au contraire. Cela me rassure. Cela me rassure dans mes choix et dans ma volonté de rester. Et pourtant vous rencontrez quand même un peu le même mec, seulement à un niveau que vous n’attendiez pas.
Et si le nouveau Lenorman ne fonctionnait pas ? Vous y avez songé ?
Mais cela fonctionnera. L’inverse n’est pas possible, pas envisageable ! C’est un album vrai, et même dans un monde qui perd ses valeurs, je crois encore en certains réflexes et en une certaine reconnaissance des autres pour ce qui est sincère et honnête.
Puis Gérard Lenorman disparaît en coup de vent, laissant derrière lui son verre d’eau pétillante intact mais ayant eu soin de marauder discrètement le carré de chocolat qui bordait ma tasse de café. L’adjectif "gourmand" s’ajoute donc à la liste. Et c’est bien ce dernier qui est le plus sympathique non ?
Propos recueillis par Marjorie Risacher
La raison de l'autre (Média 7)
Gérard Lenorman La raison de l'autre (Média 7) 2001
