Laurent Garnier : Troisième

Ambassadeur de la techno française à l'étranger, pionnier et star incontournable de la musique électronique hexagonale, Laurent Garnier est un passionné. Depuis ses premiers essais discographiques chez F.Communications, ce musicien à la trentaine sereine cherchait à développer un univers musical personnel, bien que fortement influencé par la techno américaine. Il manquait à son tableau de chasse un disque abouti et libéré des réflexes du formidable DJ qu'il a longtemps été avant tout. C'est chose faite avec "Unreasonable Behaviour" splendide collection de climats variés, troisième album homogène et mature.

La techno à l'âge adulte

Ambassadeur de la techno française à l'étranger, pionnier et star incontournable de la musique électronique hexagonale, Laurent Garnier est un passionné. Depuis ses premiers essais discographiques chez F.Communications, ce musicien à la trentaine sereine cherchait à développer un univers musical personnel, bien que fortement influencé par la techno américaine. Il manquait à son tableau de chasse un disque abouti et libéré des réflexes du formidable DJ qu'il a longtemps été avant tout. C'est chose faite avec "Unreasonable Behaviour" splendide collection de climats variés, troisième album homogène et mature.

Garnier a commencé sa carrière de DJ à l'Hacienda, célèbre boîte de Manchester, propriété du groupe New Order. Le "Frenchie", qui officiait à l'époque sous le nom de DJ Pedro, est rapidement passé maître dans l'art complexe d'enchaîner les disques en un flux limpide, de tenir une foule à la seule faveur de l'inspiration d'un soir. A l'aube de l'explosion acid-house en Angleterre, il incarne déjà un savoir-faire et une insolence typiquement françaises. D'ailleurs, c'est un peu lui et son vieux complice Eric Morand avec qui il dirige la maison mère F.Com qui ont inventé l'expression "French Touch". A l'époque du label Fnac Music, première mouture de F.Com, des blousons promotionnels portant la mention "We give a french touch to house" avaient vu le jour. Et ce, plusieurs années avant l'avènement des Daft Punk, Cassius, Demon et autres Superfunk.

Pendant plus de dix ans, Laurent Garnier va sillonner la planète, poser ses caisses de disques à New York, Berlin, Tokyo et finir par nouer une relation privilégiée avec le public. Plusieurs fois consacré meilleur DJ au monde par la presse spécialisée, il amène la techno à l'âge adulte. Au cours de ses voyages incessants, il rencontre des artistes comme Derrick May, Mad Mike ou Carl Craig, figures historiques à l'origine de cette musique et de ce mouvement, finissant par être considéré comme un de leurs pairs. A travers ses émissions régulières sur FG, Radio Nova ou son expérience avortée sur Fun Radio, il va amener tout une frange de la jeunesse française à goûter aux délices synthétiques.

Comme pour réaliser un vieux rêve de gamin, il sort en 1994 "Shot In The Dark", un premier album maladroit encore trop marqué par son expérience du dancefloor. Lucide et conscient de ses limites, Laurent Garnier travaille d'arrache-pied. A partir de "30", son second album pour le label indépendant F.Com en 1997, il va tenter de s'éloigner progressivement des pistes de danse mondiales pour se consacrer plus avant à la production, développer ses propres compositions. Il doit d'une certaine façon désapprendre ses vieux réflexes de disc jockey pour parvenir à trouver son identité sonore et à maîtriser les machines. Après une Victoire de la musique en 1998 dans la toute jeune catégorie Dance, son véritable triomphe se produit sur la scène de l'Olympia, temple de la chanson française où il expérimente une forme courageuse et inédite de techno "live" avec un violoniste et un percussionniste.

Car Garnier est un anticonformiste et un fort en gueule occasionnel. Très impliqué dans la défense de la culture techno, il a toujours soutenu les jeunes producteurs aventureux dont il n'hésite pas à passer les disques au cours de ses sets. En guerre contre la cupidité des grosses maisons de disques ou les tendances répressives de l'état à l'encontre de l'électronique, il stigmatise aussi la violence d'une certaine jeunesse. Lors de la clôture de la première édition de la Techno Parade en 1998, alors qu'il vient d'achever son mix Place de la Nation, il est retenu pendant près de deux heures dans l'enceinte de la scène générale. Deux cent gosses déterminés sont venus jouer du couteau et terroriser les malheureux danseurs, créant un chaos qui déstabilise quelque peu l'organisation. Laurent Garnier préfère d'ailleurs éluder le débat sur l'opposition entre une jeunesse techno et une autre issue des banlieues, avouant se sentir dépassé par la question.

C'est cependant probablement en référence à ces problèmes de société ou à des conflits plus graves qui touchent d'autres parties du monde que son nouvel album se traduit par "comportement déraisonnable". Ce disque remarquable voit se succéder des ambiances rêveuses et paisibles comme sur "Last Tribute From The 20th Century "et "City Sphere", des instantanés féroces et inquiétants comme les bagarreurs "The Sound Of The Big Babou" ou "Dangerous Drive". On décèle principalement ici une noirceur inquiétante, assez inédite jusqu'alors dans son travail, une fêlure qui donne une force mélancolique incroyable à un titre comme "Forgotten Thoughts" et qui plane de façon diffuse sur l'ensemble. Garnier a surtout réussi avec "Unreasonable Behaviour" là où beaucoup ont échoué, en faisant se rencontrer subtilement climats jazzy et nappes électroniques. La réussite de morceaux tels que "City Sphere" ou "The Man With The Red Face" se mesure à l'aune de son expérience de la scène avec le saxophoniste Philippe Nadot et de sa participation il y a deux ans au Festival de Jazz de Montreux.

Ouvert à tous les possibles, Laurent Garnier ne pouvait passer à côté d'Internet. Son site officiel, qui a ouvert le 15 janvier dernier, est un beau prolongement de l'univers du disque. Très sonore (le simple passage du curseur sur les icônes déclenche des échantillonnages tirés de l'album), il est graphiquement très réussi puisqu'il reprend les étonnants dessins de Seb Jarnot, responsable des illustrations accompagnant le CD. Ce site permet d'accéder à une quantité raisonnable d'informations telles qu'une discographie complète de l'artiste, une sélection de ses galettes actuelles préférées ou des photos. Des liens ouvrent sur des univers non limités au domaine musical et l'internaute a la possibilité de gagner un CD inédit de mixes du maître. Une raison supplémentaire d'aller à la rencontre d'un talent décidément hors normes.

Nicolas Mollé

Laurent Garnier Unreasonable Behaviour (F Communications/Pias)