Vieux Farka Touré, la route continuelle
Trois ans après le premier album éponyme de Vieux Farka Touré, le fils du légendaire Ali Farka revient avec Fondo, deuxième opus qui signe l’émancipation. Sur les fondements solides d’un groove mandingue, fleurissent des rythmiques rock, soul, et reggae. Une coloration "jeune", qui voit l’émergence d’un prénom : Vieux.
RFI Musique : Que signifie Fondo ?
Vieux Farka Touré : "Fondo" désigne la "route" en songhaï. Mais pas une route ordinaire, une route continuelle en fait, un processus ininterrompu. Tant que je ne suis pas arrivé à un point fixe, je continue.
Que représente la photo de votre pochette ?
C’est à Niafunké : une petite dune de sable, comme une plage, juste à côté du fleuve Niger, sur la route de Tombouctou. J’aime cet endroit. Parfois, je m’y pose avec des amis pour causer tranquille. J’apprécie les choses simples, naturelles. Il n’y a pas de pollution, pas de bruits de moteur. Rien. Juste le souffle du vent…Aujourd’hui, je ne sais même plus où j’habite tellement je suis partout, mais je suis né à Niafunké. Il ne faut jamais oublier d’où tu viens. Et lorsque tu regardes l’album, tu sais directement que le gars qui joue vient du Nord du Mali, du désert.
Pourquoi la tradition est-elle si importante à vos yeux ?
Notre tradition s’accommode à notre mode de vie. Elle constitue notre richesse, il faut la préserver, la considérer comme de l’or. Et pourtant, nous continuons d’avancer, d’élaborer des différences sur ce socle solide. L’un de nos deux pieds ne sort jamais de cet héritage. L’autre peut aller où bon lui semble.
Vous avez toujours été entouré d’une grande famille d’artistes maliens…
Depuis mon premier album, je suis bien "calé" ! Tous les artistes, amis de mon père m’ont dit : on est là ! Je suis très entouré, avec Toumani qui prête attention, Afel Bocoum, mon cousin, qui m’a carrément plongé dans la musique lorsqu’il m’emmenait aux répétitions de l’Orchestre de Niafunké qu'il dirigeait. Et puis Oumou Sangaré qui me suit de trop près…C’est la maman, elle ! J’ai aussi un oncle là-bas, complètement fou, qui reste mon conseiller principal dès qu’il y a un problème. Mes frères aussi ont participé, dont l’un à la calebasse. Tout le monde se mêle à ma musique !
Comment avez-vous évolué depuis votre premier album en 2005 ?
J’ai réalisé le premier sans expérience. C’était le début et je l’ai pris avec légèreté, sans (trop) réfléchir. Mon premier concert avec mon propre groupe, c’était à New York. Depuis, je n’ai cessé de tourner, de jouer avec de grandes pointures comme Ry Cooder, Corey Harris... Là où tu vas, tu côtoies des musiques qui n’ont rien à voir avec la tienne. Et plus tu tournes, plus tu joues, plus tu éprouves l’envie de développer ton propre langage. Donc j’ai créé cet album, dans lequel j’ai demandé à chaque ami de jouer sur un titre.
Vous aviez besoin de vous émanciper de l’ombre d’Ali Farka ?
Oui. Beaucoup d’artistes essaient de suivre les pas de leur père. Mais ça ne fonctionne pas toujours. Il faut parfois dire qui tu es, et ce dont tu es capable. Si tu suis ton père, tu es obligé de le faire bien. Sinon, tu es mal parti … Pourtant, toute la base de ma musique, c’est la sienne. Nous relatons le même discours sur la société, comme des journalistes. Mais j’apporte à ces fondations mes propres couleurs, mon histoire. Ainsi, je tourne beaucoup aux USA, et là-bas, ils aiment le son qui tape, le son qui groove. Ça a changé ma manière de jouer. Mon père et moi possédons le même feeling. Mais Ali, c’est Ali. Et moi, c’est moi. Nous avons un œil et une oreille différente. Pour simplifier, je pourrais dire que l’ancienne génération faisait du "Sahara Blues", et que nous jouons du "Sahara Rock".
De quoi parlent vos textes ? Ils parlent d’union. Ces dernières années, il y a eu des guerres, des rivalités d’ethnie, du racisme. J’évoque aussi l’amour, cette fois, mon mariage. Chez nous, c’est la tradition. Pour moi qui ne suis pas à côté de ma mère, il faut que quelqu’un s’occupe d’elle, veille sur la maison, une personne qui te donne la stabilité. En tant que musicien, je vois comment les filles courent. Alors je préfère me marier, comme ça je suis tranquille.
Que vous a légué votre père avant sa disparition ?
J’ai commencé à jouer sérieusement de la guitare en 2004, et je jouais 24/24h, des nuits durant. Depuis l’enfance, j’étais fasciné par cet instrument. Je restais des heures assis aux côtés de mon père, apprenant sa musique en cachette. Il ne m’a pas toujours encouragé dans cette voie, mais peu avant sa mort, il a commencé à m’apprendre ses techniques. Il m’a donné cet héritage, qui m’a beaucoup facilité la tâche. Ce que j’ai essayé d’acquérir en cinq ans, il me l’a prodigué en quelques heures. Ce secret bien gardé, cherché par beaucoup de guitariste, je ne le transmettrai qu’à mon fils. Et puis, la plupart des morceaux de cet album, je les ai enregistrés avec sa propre guitare, car elle a son très spécial.
Pouvez-vous me parler de ce duo avec Toumani Diabaté, et de son étonnante histoire ?
J’ai composé Paradise en hommage à mon père. Il aimait beaucoup Toumani. C’est d’ailleurs lui qui m’a formé à la musique mandingue au sein de son Symmetric Orchestra. J’ai donc saisi l’opportunité de jouer cet art avec celui qui me l’a appris. J’aurais aimé que mon père soit là, pour voir le résultat…Mais il y a eu, autour de ce titre, un phénomène très étrange. J’étais en tournée en Angleterre, lorsque Nick Gold m’a fait écouter les dernières chansons enregistrées par mon père. L’une d’elles ressemblait trait pour trait à Paradise, à tel point que j’ai cru que c’était moi qui jouais ! Sans avoir jamais écouté ses enregistrements, nous avions fait la même chose ! Un phénomène incroyable, à la limite du surréalisme…
Vieux Farka Touré Fondo (Six Degrees) 2009
En concert à Paris le 17 novembre à la Boule Noire