Beethova Obas

Avec son dernier album Kè’m poze, le Haïtien Beethova Obas part à la recherche d’un nouveau son qu’il appelle le cubhabra, fusion des rythmes cubain, haïtien et brésilien. Certains parlent de lui comme étant le fils spirituel d’Henri Salvador. Entretien.

RFI Musique : Vous êtes désormais installé à New York. Cette nouvelle vie a-t-elle fait évoluer votre musique ?
Beethova Obas :
"Désormais" n'est peut être pas l'adverbe que j'aurais utilisé. Me considérant comme un citoyen du monde, j'ai toujours une valise faite et une autre défaite. Je reconnais néanmoins que me retrouvant dans un pays dit "développé", ma musique est certainement épargnée de toute difficulté technique qui l'aurait empêchée d'évoluer. Musicalement, Haïti reste encore l'une de mes sources d'inspiration et je vais souvent m’y ressourcer. Vivre à New York, c’est comme être en Haïti, les problèmes techniques, politiques et économiques en moins. La communauté haïtienne y est très importante et représente le pays en miniature.

On parle d'un nouveau son Beethova, le cubhabra. C'est un nouveau rythme ?
Oui, on peut le définir ainsi. Pour être plus précis, je dirais que c'est une fusion de trois rythmes, cubain, haïtien et brésilien qui laissent éclore une nouvelle tendance musicale.

Le Brésil est-il cher à votre coeur autant que les Caraïbes ?
Bien sûr. Musicalement Haïti et le Brésil ont des points communs, culturellement aussi, d’ailleurs. Étant guitariste, je baigne dans un bassin d'harmonies qui ouvre davantage mon champ musical.

An Han, le titre qui débute cet album est un titre traditionnel haïtien. Vous faites entrer la tradition dans les discothèques ?
Vous savez, tout est déjà dit, mais les façons ne sont pas encore épuisées. Retoucher une musique traditionnelle, lui apporter un nouveau son en utilisant le langage musical contemporain, lui permet non seulement de renaître, mais aussi de franchir les frontières. Car les sons, le langage parlé correspondent à ceux de la nouvelle génération qui bouge dans les boîtes. Ainsi, l’ancien devient nouveau.

Vous avez participé au concept "Haïtian Troubadours". Que vous a apporté cette expérience ?
C'est encore une occasion qui prouve que l'union permet de briser toutes les barrières, comme nos aïeux ont brisé les barrières de l'esclavage. Tous les artistes se sont mis d'accord afin de promouvoir cet autre volet de la musique haïtienne. Notre devise«L’union fait la force» devrait s’utiliser de façon plus concrète. C’est elle qui ouvre la route du succès, et ça, les musiciens de Haïtian Troubadours l’ont compris.

Quelle est la mission du troubadour ?
Depuis le Moyen Age, le troubadour est celui qui apporte les nouvelles. La musique en soi est une épice essentielle à la vie et le troubadour est venu dire au monde que cet ingrédient primordial n'appartient pas qu’à une catégorie de personnes, ni à une classe spécifique. Il est à tout le monde et les défavorisés de la planète ont, eux aussi, droit au bonheur offert, entre autres, par la musique. Le troubadour, c’est le griot africain. Il permet à l’histoire de traverser les générations.

Ke'm Poze, le titre de l'album reflète-t-il, votre approche de la vie ?
Kè'm poze, c'est le titre qui définit la nouvelle tendance musicale cubhabra. Il reflète aussi mon état d'âme actuel. Considérant la vie comme une échelle, nous sommes amenés à gravir plusieurs marches dont chacune peut être considérée comme une étape de la vie, une épreuve à surmonter. Plus nous gravissons les échelons, plus la vie nous assagit. C’est ce à quoi j’aspire.

Le titre Kòn Lanbi, n'est-ce pas l'histoire de Haïti aujourd'hui ?
C’est vrai que le lambi est un coquillage qui était un moyen de communication utilisé par les esclaves afin qu’ils se rassemblent le soir venu pour organiser leur libération à l’insu des colons. L’idée de rassemblement et d’union se doit d’être présente aujourd’hui plus que jamais afin que notre Haïti ne sombre pas dans l’anarchie qui l’isole plus encore du reste du monde. Kòn Lanbi, c’est hélas l’histoire du monde actuel et plus particulièrement celle des peuples du Sud. Nous nous sommes battus pour l’indépendance en nous unissant, et dans ce titre, c’est à cette union que je fais référence pour une Haïti meilleure.

Le 1er janvier prochain, Haïti fêtera les 200 ans de son indépendance. Cela représente quoi pour vous ?
Une fierté d'être noir, une évaluation des 200 ans passés et un bilan très lourd… Le 1er janvier me rappelle au quotidien que nous devons changer de directives. Un anniversaire commémoratif ne peut pas bâtir un pays, il faut des hommes droits, conscients, des hommes de vision, des hommes qui aiment leur patrie.

Le thème de l'esclavage revient souvent dans vos textes. C'est une plaie mal refermée ?
Elle n'est refermée nulle part au monde, elle apparaît sous d'autres formes. Elle est polie, décorée, masquée. Si, dans l’absolu, l’esclavage semble aboli, intrinsèquement et psychologiquement, il ne l'est pas vraiment car les séquelles sont si profondes qu'elles se reflètent encore sur les petits-fils d'esclaves que nous sommes. Les pays qui ont subi l'esclavage gardent une empreinte profonde qui se répercute sur leur mode de vie et qui marquera longtemps la mémoire de chacun.

Vous chantez en créole et en français. La francophonie est un espace important pour vous ?
La communication est importante pour moi, peu importe le langage utilisé, peu importe le véhicule, l'essentiel est de faire passer le message. Alors, si un jour je devais faire passer des messages aux Martiens, croyez-moi, j’apprendrais leur langage !

Que vous inspire le succès d'Henri Salvador dont certains disent que vous êtes son fils spirituel ?
Plein de belles choses, j'ai pleuré en écoutant J'ai vu de son dernier CD Chambre avec vue. Et si je suis son fils spirituel, je ne veux pas le décevoir !

Beethova Obas Ke’m poze (Créon Music / EMI) 2003