Julien Clerc, de Chopin aux Beatles
Trois ans après le succès de Double enfance, sortie d’Où s'en vont les avions, nouvel album de Julien Clerc, qui étale largement la palette de ses émotions et présente une impressionnante diversité d’auteurs
Sur son nouvel album, Julien Clerc pose une jolie question : "Où s’en vont les avions/Quand ils s’en vont ?" C’est cette question qui donne son titre à l’album, Où s’en vont les avions, et c’est une question qui lui ressemble bien : il fête cette année ses quarante ans de carrière et il a toujours des questions d’enfant. Il a l’âge des désillusions et des détachements, et il chante encore l’amour qui brûle, et il chante encore les femmes qui font perdre la tête.
On aurait presque envie de lui renvoyer la question : "Pourquoi fait-il des chansons ?" On se doute bien que sa fortune est faite, depuis le temps qu’on l’entend à la radio ; on se doute bien que ce n’est pas pour les filles – il séduit les filles depuis si longtemps qu’elles ont eu le temps de devenir mamans puis peut-être même grand-mères.
On se souvient que son album précédent, Double enfance, en 2005, était un disque très intime, très personnel, dans lequel il avait révélé beaucoup de choses de sa vie. Dans ce nouveau disque, il n’est pas un thème qui domine, mais douze chansons dans lesquelles il y a une pincée de sensualité et quelques regards sur le monde, il y a des femmes qui ne se ressemblent pas du tout les unes les autres, il y a un peu de Chopin dans le piano et beaucoup de Beatles dans l’orchestre, il y a des émerveillements de jeune homme et des sagesses de divorcé…
Des producteurs de choix
Ce qui unit tout cela, ce sont ses mélodies si personnelles, toujours dans la proportion presque immuable de deux chansons lentes pour une au tempo plus vif. Julien Clerc a pour une fois confié la production à un duo. D’une part, Benjamin Biolay, qui associe les sons par instinct, professe l’amour du premier jet et de l’inspiration rapide ; d’autre part, Bénédicte Schmitt, ingénieur du son et productrice méticuleuse, réfléchie, posée. L’un pour la bourrasque romantique, l’autre pour le jardin à la française – les deux pôles mentaux de Julien Clerc, justement.
Et, sans sembler jamais dévoiler son jardin secret comme sur son album précédent, c’est un Julien Clerc curieusement plus intime que l’on entend tout au long du disque : après s’être accompagné pendant quelques chansons de Double enfance, il a enregistré lui-même tous les pianos de l’album – "un peu comme sur des démos, parfois en même temps que la voix, pour qu’ensuite Benjamin écrive ses orchestrations", nous expliquait-il au printemps dernier, lorsqu’il mettait la dernière main à l’album. Ces arrangements cumulent la langue néo-beatlesienne et néo-gainsbourienne de Benjamin Biolay, mais aussi la rigueur très eighties de Bénédicte Schmitt. En liberté, les deux producteurs ont bâti douze tableaux à la fois très référencés, très indépendants et tenus par une unité singulière que l’on n’a pas toujours entendue dans les derniers albums de Julien Clerc.
Des rêveries
Il est vrai que rarement sa voix n’a eu une telle énergie dans le sentiment, une telle précision dans l’émotion – une voix qui sait si bien faire entendre l’amour, la tendresse, l’espoir, l’émerveillement, la peine, la solitude. Ce n’est d’ailleurs pas qu’une voix pour bercer les filles. Il y a chez Julien Clerc quelque chose comme de la fraternité, quelque chose comme une vertu du cœur qui fait que – un peu malgré soi, parfois – on se laisse aller à voguer avec lui, on se laisse prendre aux mêmes sortilèges, aux mêmes rêveries que lui.
Pour les rêveries, il a fait appel à son exact contemporain dans la carrière, Gérard Manset : ils avaient tous deux sorti leur premier 45-tours le 9 mai 1968 mais n’avaient jamais travaillé ensemble. De cette nouvelle collaboration sont nés deux joyaux. La première chanson est légère – Petite fée – et l’autre grave – Frère –, l’une descend du ciel et l’autre court dans les faubourgs d’une ville fantasmée. Julien Clerc se tient quelque part entre les deux, entre l’ivresse du romantisme et le noir et blanc du réalisme.
La chronique mondaine a évidemment noté que lui aussi chante Déranger les pierres, superbe titre écrit sur un texte de Carla Bruni, qui l’a enregistré sur Comme si de rien n’était, son album paru cet été. Et que Julien Clerc sort aussi sa propre version de Restons amants, qui a donné le titre du dernier album de son auteur, Maxime Le Forestier. Il a aussi demandé des textes à Gérard Duguet-Grasser (découvert à son album précédent), David McNeil, Jean-Loup Dabadie et Benjamin Biolay – "toutes les générations ensemble", dit-il.
Julien Clerc Où s’en vont les avions ? (Virgin/EMI) 2008
Début de la tournée : janvier 2009