Ismaël Lo

Dabah, le nouvel opus d'Ismaël Lo, s'inscrit dans la mouvance d'une Afrique qui bouge. Une musique qui sait embrasser le monde alentour pour mieux s'ancrer dans le terroir. Le sénégalais y consacre sa liberté d'artiste, empruntant à la soul, au reggae et au latino son, tout en restant fidèle au mbalax et aux ballades acoustiques de ses débuts. Rencontre.

Pop, authentique et africain

Dabah, le nouvel opus d'Ismaël Lo, s'inscrit dans la mouvance d'une Afrique qui bouge. Une musique qui sait embrasser le monde alentour pour mieux s'ancrer dans le terroir. Le sénégalais y consacre sa liberté d'artiste, empruntant à la soul, au reggae et au latino son, tout en restant fidèle au mbalax et aux ballades acoustiques de ses débuts. Rencontre.

RFI Musique : Dabah, pourquoi ce titre ?
Ismaël Lo : Dabah est un grand nom musulman. Je considère qu'il était ou qu'il est toujours, bien qu'il ne soit plus de ce monde, un guide spirituel pour toute une génération. Un grand marabout qui a su consolider beaucoup de choses sur le plan politique et sur le plan social. Pour moi c'était une façon de rendre hommage à ce saint homme que tout le Sénégal connaît. Dabah en fait n'est qu'un surnom. En réalité, c'est Elhadj Abdoulaziz Sy Dabah Malik. C'est un nom qui restera gravé dans notre mémoire à jamais.

Dabah, mort en 1997, était l'un des leaders de la confrérie Tidjani. Rendre hommage à un tel personnage, est-ce dû à la quête d'une certaine spiritualité ? Est-ce une manière détournée de chanter l'espoir dans une société où le peuple a toute confiance en ses marabouts ?
Je pense qu'ils nous ont toujours amenés l'espoir. Ce sont des personnes que nous vénérons. On ne peut pas dissocier les confréries et le peuple sénégalais. De toutes façons, nous tous, faisons partie de ces confréries-là. Nous sommes de grands croyants. Et la religion nous a permis de dépasser beaucoup de choses. Mais aujourd'hui, je ne peux pas m'engager confrériquement parlant… Je pense que c'est surtout quelque chose que je ressens… Rendre hommage, c'est quelque part remercier le bon Dieu d'avoir connu ce saint homme.

Dabah a été enregistré entre deux rives. Entre Paris et Dakar. Vous auriez pu le réaliser entièrement au Sénégal. Je suppose qu'il y a eu des va-et-vient pour certains collaborateurs présents sur l'album ?
Il y a des moments où on sent les choses ici. D'autres où on se sent de les faire là-bas. Parfois on voudrait les faire sur la lune. Ce sont juste des envies artistiques. C'est quelque chose qui n'a pas été calculé. Aujourd'hui je peux écrire de Dakar, envoyer ma maquette par internet aux Etats-Unis, aller enregistrer deux chansons en Hollande, aller à Cuba faire deux titres, revenir à Paris pour les violons et revenir ensuite mixer à Dakar. Les choses se sont vraiment bien développées. Et qui dit développement, dit aussi possibilités. Je suis un artiste qui aime créer des rencontres et avoir beaucoup de possibilités par rapport aux rythmes du monde.

Vous chantez beaucoup l'amour. Vous n'avez pas envie, parfois de changer de ritournelle ?
On ne peut pas dissocier la vie et l'amour. A travers l'amour, beaucoup de choses peuvent se faire. Quand je dis l'amour, j'y associe un peu la paix. Le rôle de l'artiste, c'est aussi de faire en sorte que ces messages puissent passer. Dire que "bon, tu as déjà chanté l'amour, tu ne crois pas qu'il faut chanter autre chose ?" Je ne suis pas d'accord. Ces thèmes ne peuvent jamais être dépassés. Sans amour, la vie n'a pas de sens. Sans amour, où se trouve le plaisir de vivre ? Autant te suicider. Excusez-moi. Un musulman ne devrait pas dire cette phrase-là, mais je pense qu'on a toujours besoin d'un grain d'amour pour exister. C'est essentiel.

A vous entendre, l'amour incarne le désir, l'appétit de vie ?
Oui. C'est le désir de voir ma famille, de voir mes enfants grandir, de voir mon évolution sur le plan musical, de voir le petit manguier que j'ai planté pousser et donner des fruits… Ça aussi c'est de l'amour.

Faut qu'on s'aime… l'Amour a tous les droits. Pourquoi ces titres en français ? Encore le vieux spectre du quota de langue à respecter pour passer sur les ondes en France, pays où se construit en grande partie votre carrière internationale ?
Je dirais certainement que oui. Mais c'est vrai aussi que l'interview que nous faisons, nous la faisons en français. Nous ne la faisons pas en wolof. Tu ne comprends pas le wolof. Nous la faisons dans cette langue car je suis un francophone. Les textes de mes chansons par exemple, quand je veux les expliquer, c'est en général en français. Je sais que ça choque les Africains de chanter un titre ou deux écrits en français. Quand il font des demandes de boulot, c'est en français. Arrêtons. Je fais partie d'un territoire francophone. Je sais que j'occupe une place de choix dans ce territoire. Et pour moi c'est aussi important de satisfaire un public qui aime ce que je fais depuis des années, ne serait-ce qu'en faisant l'effort de chanter dans sa langue. Je peux parler en espagnol,. J'ai un public aussi en Espagne. Celui-ci aime ce que je fais et vient voir mes spectacles. Un jour pour me sentir beaucoup plus proche d'eux, peut-être que je vais chanter un titre dans cette langue. Donc je chante en français aussi pour mieux me sentir près de ce public qui m'a toujours aimé, pour qu'il comprenne un mot de ce que je raconte dans ma langue. Et si je vois de beaux titres en français à interpréter, travaillés en même temps par des français, je le fais. J'en suis très content. Je pense que c'est quelque chose de très positif.

Certains titres comme Aïwa, Diour Sani ou encore Boulfale prennent des accents pop à l'occidentale, mâtinée d'influences soul...
La musique africaine bouge. Laissons-là évoluer, tout en gardant sa pureté, son authenticité et son originalité. C'est quelque chose d'important. Aujourd'hui, c'est vrai qu'il faut s'ouvrir davantage. Personnellement, je sens un potentiel tel que je me dis : tu sais faire ça et ça, pourquoi ne pas en faire profiter tes admirateurs ? J'ai vu beaucoup d'artistes de l'autre côté de la rive (si je peux m'exprimer ainsi), qui sont venus, comme Julien Clerc ou Higelin, s'inspirer de la musique africaine, mettre des percussions dans leurs albums par exemple. Il ne faut pas qu'on garde une fierté africaine, en disant qu'on ne doit faire que du balafon, du tam-tam et de la kora. Je considère que cela freinerait un peu l'évolution de notre musique. Aujourd'hui, on parle de mondialisation. Johnny Hallyday est libre de faire une chanson entièrement à l'américaine. On ne lui posera pas la question : pourquoi tu as fait ça ? L'évolution de la musique demande d'avoir beaucoup d'ouverture pour pouvoir capter l'attention d'un public plus large. Pourquoi mettre des étiquettes ? Ce qui serait fatal, c'est d'être un artiste africain complètement coupé de ses racines. Ce n'est pas mon cas.

Le songwriter aux ambiances acoustiques et intimistes est quand même présent sur cet album. Je pense entre autres aux titres Dabah, Badarah ou encore à L'amour a tous les droits…
De toutes façons, j'ai commencé ma carrière avec l'acoustique. Au Sénégal, on m'a découvert avec ça. Si j'ai signé dans une multinationale, c'est grâce à la chanson Tadjabone, qui continue de faire son chemin grâce à beaucoup de documentaires et même dans le film de Pedro Almodovar, "Tout sur ma mère". C'est un style qui plaît, qui m'a vraiment ouvert beaucoup de portes. Pour rien au monde, je ne laisserais l'acoustique. Mais par moments, tu te sens de faire des chansons romantiques et douces avec ta guitare acoustique. Et à partir du mois de mars, il fait très chaud et tu as envie de faire des choses beaucoup plus rythmées et plus chaudes, parce que c'est l'été et les gens ont envie de bouger. C'est l'inspiration qui te guide. Peut-être qu'un jour on verra Ismaël Lô faire un album complètement acoustique. Cela fait partie de mes projets. Beaucoup de personnes m'ont posé la question. Des fans inconditionnels. Mais quand on me dit 'pourquoi tu ne fais pas un album carrément acoustique', j'ai l'impression qu'on me prend toujours pour un bébé. On n'a pas envie que je fasse des choses qui me plaisent d'abord… Il faut faire ça et voilà. Je suis un artiste. Je fais les choses comme je les ressens. Et le plus naturellement possible.

Ma dame, N'dally et Biguisse, ces titres reggae s'inscrivent-ils aussi dans ce besoin d'ouvrir de plus en plus votre univers à d'autres musiques ? A d'autres publics également ?
J'espère aller beaucoup plus vers un autre public, qui ne m'a peut-être pas encore découvert. Mais en même temps, tout ça reste dans le cadre d'un univers musical précis. Toutes ces musiques sont parties d'Afrique. C'est comme ça plus ou moins que je ressens les choses.

Africa Démocratie lorgne vers des ambiances latino. Après l'Indépendance cha cha bien connu d'une certaine époque, vous inventez pour la vôtre la démocratie cha cha pour ainsi dire…
C'est pour que les coups d'Etat cessent. Parce que le peuple commence à être mûr. Il comprend la chance qu'il a de pouvoir voter…C'est une chanson pour que le peuple soit plus conscient, parce que c'est lui qui paye toujours à la place des autres. Ces choses doivent cesser. On ne peut pas faire la queue et rester sous le soleil pendant des heures pour voter pour la personne en qui on a confiance. Et voir un autre prendre sa place le lendemain. Il faut que la démocratie et la confiance s'installent, que les Africains eux-mêmes puissent prendre les choses en mains. Ça a déjà commencé. C'est ce qui s'est passé au Sénégal. Je parle du président Diouf et du président Wade. Diouf a été battu et il a reconnu sa défaite. Il est parti.

Ismaël Lo Dabah (Mercury/ Universal) 2001
Au Bataclan à Paris le 30 octobre 2001. Une vingtaine de dates en France sont prévues en France.