Emma Shapplin

Avec La Notte Etterna, son second album d’une grâce inclassable, la Française Emma Shapplin fait son retour avec succès dans les charts internationaux. Evoquant tour à tour Klaus Nomi ou Nina Hagen, elle a cette fois choisi la poésie lyrique italienne du 13ème siècle pour porter haut toute sa passion harmonique. Rencontre avec un double phénomène vocal et commercial.

Une voix qui s'exporte.

Avec La Notte Etterna, son second album d’une grâce inclassable, la Française Emma Shapplin fait son retour avec succès dans les charts internationaux. Evoquant tour à tour Klaus Nomi ou Nina Hagen, elle a cette fois choisi la poésie lyrique italienne du 13ème siècle pour porter haut toute sa passion harmonique. Rencontre avec un double phénomène vocal et commercial.

Comment êtes-vous parvenue à faire revivre une langue morte depuis plus de sept siècles ?
Cela part déjà d’un amour de la poésie italienne, allemande et française. Je parle français, anglais, je suis capable d’écrire en espagnol, en italien comme en vieil italien. J’aime les langues, j’aime les mots,même si en même temps je les déteste, car parfois mieux vaut se laisser porter par une émotion ou la musique qu'ils dégagent. Le langage primordial reste la musique, les mots viennent après. J’aime que leur sens ne me soit pas imposé. J’ai des textes à tiroir, il y a différentes manières de les ouvrir. C’est selon l’humeur. J’ai plein de personnages dans ma tête, plein de fantaisies et avec tant de facettes.

C’est un voyage dans le temps ?
Cela fait partie de nos bases, de nos passés, on ne peut le nier et j’aime fouiller. Je pense aussi être relativement actuelle, particulièrement en musique. On est beaucoup plus enclin au métissage aujourd'hui. Mais Liszt le faisait déjà avec ses Polonaises, réinventant des airs folkloriques. C’est un peu le même travail, même si je ne suis pas lui!

Mais vous n’avez aucune origine italienne ?
Peut être que dans le sang, très loin, il y a du sang italien...

Vous êtes née à Paris ?
En banlieue sud exactement. A Savigny. C’était gris et urbain, même si c’était calme. Mais j’ai été très vite attirée par la nature et la poésie. La musique, c’est de la poésie et la poésie c’est de la musique. À la base, j’étais très introvertie et renfermée. J’étais souvent seule, une petite fille qui restait dans son coin, dans sa tête avec des fantômes. J’aime aussi beaucoup travailler de mes mains, peindre, dessiner, écrire. Et coudre. Pour ce second album, j’ai d'ailleurs aimé imaginer mes costumes, les dessiner.

Avant de recréer la poésie lyrique italienne du 13ème siècle, vous êtes passée par toutes sortes de musiques y compris, paradoxalement, le hard rock ?
Particulièrement hardavec des groupes comme Queensrÿchemais je me suis rapprochée de ce genre car Geoff Tate, le chanteur, était issu de l’opéra. A la base, c’était déjà une voix. J’aimais bien le soin qu’il portait à ses textes, c’était toujours résolument macabre mais si joliment écrit…

Comment êtes-vous passée d'un genre à l'autre ?
Peut-être pas comme l'entendez. Il s'agit plus d'essences que des styles musicaux. Je me fiche un peu des styles car la musique est toujours un métissage, c’est toujours inspiré de divers horizons, c’est quelque chose qui s’emboîte, une sorte de poupées russe.

Cela a mis du temps à mûrir ?
Oui, c’est une recherche mais je ne suis pas toute seule à faire ce genre de choses. D’une certaine façon Kate Bush le faisait un peu. Mais elle chantait en anglais d'aujourd'hui que l’on comprend plus facilement que l’italien juste avant la Renaissance !

Il existe beaucoup de différences entre cet italien ancien et celui d’aujourd’hui ?
C'est aussi la façon de penser qui a évolué. Moi, j'évoque des pensées actuelles mais exprimées avec le langage d’hier. Cela leur donne une dimension onirique et poétique, mais aussi tragique et irréelle. Ce sont des expressions bien typiques de cette époque qui pour moi sont riches et grandiloquentes. Comme le titre de l’album Etterna : en italien moderne, le sens est le même, 'éternelle', mais cela s’écrit avec un seul t. Là, c’est une petite touche, un clin d’œil à Dante, car il était le seul à l’écrire de la sorte. A l’époque née du latin et du provençal était en pleine mutation. Dans un même texte, il n’était pas rare de retrouver trois orthographes différentes. Moi, j’ai voulu donner un sens à 'etterna' en l’écrivant ainsi, c’était un clin d’œil prémédité pour ramener ce mot jusqu’à l’époque de Dante.

Vous composez et écrivez vos chansons, quelle est votre méthode ?
J’ai l’air très désordonnée mais j’ai mon ordre intérieur et je m’y retrouve. En fait, je fais évoluer le tout, parole et musique, simultanément et jusqu’au dernier moment. C’est à s’arracher les cheveux pour certains musiciens et pour les personnes qui travaillent avec moi.
Je n’écris pas comme certains le font 50 musiques et j’en choisis 15 dedans. En fait cela peut partir d’une phrase musicale ou écrite, cela peut partir d’une image, cela peut partir d’une idée, de l’évocation d’un personnage, cela peut partir de tant de choses. Il y a toute une période où je vais ramasser mes petites pierres blanches puis je les mets dans un gros sac, les agite et les trie. Là, c’est plus compliqué, il faut structurer.

C’est un puzzle ?
Aussi. Sur cet album tout n’a pas été conçu au même endroit. Ma voix a été enregistrée en France au studio Davout. J’ai enregistré l’orchestre, le London Philarmonic à Londres, à Abbey Road et c’était encore un grand moment. De même, je ne voulais pas faire cet album seule. J’aime qu’il y ait un échange aussi, donc j’avais fait appel à Graeme Revell qui a composé entre autres les bandes originales de The Crow, Tomb Rider ou encore Human Nature. Je me reconnais dans sa musique. Je suis allée à Los Angeles à deux reprises pour travailler avec Graeme, pour lui expliquer en détail ce que je voulais. Donc c’est pareil, cela a été une purée de mots, d’émotions, Et ensuite des tonnes de fax et de mails pour lui expliquer, essayer de lui transmettre quelque chose que j’avais envie de voir traduire.

Il est étonnant de voir une petite bonne femme telle que vous générer une telle puissance vocale ?
Je crois que comme j’étais très introvertie, le jour où j’ai décidé de m’exprimer, je devais le faire avec force! Je suis quelqu’un d’entier et de passionné. Je déteste ce qui est dans le gris; c’est noir, c’est blanc, précis ou tranché. J’essaie de fuir une forme de mièvrerie. Cela paraît assez bizarre, je trouve que quand je m’écoute après coup, il reste encore quelques touches de mièvrerie. Je ne sais pas ce que je recherche, c’est une forme de quête. Je dois jouer à l’alchimiste.

Emma Shapplin La notte etterna (Polydor/Universal) 2003