African Consciences
Qu'est-ce qui rapproche La Rumeur, Tiken Jah Fakoly, Mbégane Ndour, Pee Froiss ou Daddy Mory ? Une certaine idée de l’identité africaine, une conscience collective, culturelle et historique, qui relie tous les enfants d'Afrique. Rencontre avec Mbégane Ndour, du groupe hip hop sénégalais Djoloff, l’homme à l’origine du projet fédérateur African Consciences, aujourd’hui un album, avant, peut-être, d’autres initiatives.
Ou un album révélateur d’identité.
Qu'est-ce qui rapproche La Rumeur, Tiken Jah Fakoly, Mbégane Ndour, Pee Froiss ou Daddy Mory ? Une certaine idée de l’identité africaine, une conscience collective, culturelle et historique, qui relie tous les enfants d'Afrique. Rencontre avec Mbégane Ndour, du groupe hip hop sénégalais Djoloff, l’homme à l’origine du projet fédérateur African Consciences, aujourd’hui un album, avant, peut-être, d’autres initiatives.
RFI : Quelle est la motivation première de ce projet ?
Mbégane Ndour : C’est une idée qui était là, qui a germé et quand j’ai eu l’opportunité de la concrétiser, je l’ai fait, car je ressentais cela comme nécessaire. Cette aspiration était en moi depuis l’époque des débuts de Djoloff, vers 1996. Avec le groupe, au cours de concerts dans une salle parisienne (le Divan du Monde), on avait commencé à aller dans le sens d’une idée de rencontre avec des artistes de la scène hip hop, reggae ou world. Certains de ces artistes se retrouvent aujourd’hui sur le projet comme Ekoué et Hamé (La Rumeur), Daddy Mory ou Tiken Jah Fakoly. Ce qui a été déterminant aussi, c’est un voyage en Jamaïque qui fut très édifiant pour moi. Un vrai choc émotionnel. Trouver là-bas une part de l’Afrique, qui a survécu au-delà de toute l’histoire douloureuse que l’on connaît, cela fait réfléchir et motive.
Le combat pour une prise de conscience que vous souhaitez mener n’est-il pas trop difficile faute de combattants ?
C’est clair. Le degré, le niveau de conscience des uns et des autres n’est pas au même diapason. Certains artistes sont déjà arrivés à cette prise de conscience, d’autres pas encore. Ce projet, c’est comme un premier pas pour un combat qui va se faire sur des années. La conscience africaine, la compréhension même de cette africanité et de ses modes d’expression à travers ses trois continents (Afrique, Amériques et Europe), nécessite que l’on construise des ponts. Or chacun sait que construire des ponts, ce n’est pas évident.
En observant l’actualité plus ou moins récente, ne peut-on considérer que ce que vous préconisez n’est rien d’autre qu’une belle utopie ?
Je ne pense pas. Il y a une génération, les élites intellectuelles africaines, qui a été nourrie et formée par l’oppresseur d’une certaine manière. Le but étant de former en fait des administrateurs coloniaux. Au moment des pseudo-indépendances, ce sont ces gens-là, nullement formés pour l’émancipation de leur peuple qui ont été mis aux postes clés. Cette génération, qu’on le veuille ou non, est encore là. Il ne faut pas être naïf, l’assimilation de cette oppression est tellement bien ancrée qu’il faudra plusieurs générations pour espérer arriver à une vraie émancipation. Mais ce n’est pas une utopie. Plutôt un engagement nécessaire, pouvant de plus donner une certaine force aux gens isolés qui combattent.
D’autres ont eu le même discours que vous, mais cela n’a débouché sur rien de concret.
A un moment donné, il faut arrêter les discours et agir. Que tout le monde soit prêt, les Africains en Afrique, comme ceux de la diaspora. Dans cette démarche-là, il faut juste insuffler quelque chose. Il n’y a pas besoin d’être nombreux pour tirer les autres. Si on attend que la masse soit consciente, rien ne va bouger. Il faut s’allier avec des leaders d’opinion qui sont dans ce truc-là et ont un réel impact sur place. J’ai essayé de monter ce projet avec des artistes qui chez eux peuvent avoir cet impact, au niveau culturel et musical dans un premier temps.
African Consciences est en fait un engagement politique autant qu’artistique ?
C’est un engagement tout simplement. Nul besoin d’y mettre une quelconque étiquette. On est une génération, on a nos aspirations, nos idées, mais face à ces aspirations, plein de portes nous sont fermées.
Un engagement qui rejoint celui pour l’annulation de la dette ?
C’est complètement différent. Demander l’annulation de la dette, cela devrait vouloir dire demander aussi la réparation des dommages liés à cette dette. African Consciences d’ailleurs va beaucoup plus loin dans ce sens. A travers son titre Paie tes dettes, Daddy Mory dit: le gouvernement français a reconnu sa dette envers les Juifs et les Harkis mais pour les Africains, toujours rien au jour d’aujourd’hui. L’inspiration de l’annulation de la dette, je pense que ce sont des intellectuels de l’Occident qui l’ont insufflée, pas des Africains.
Beaucoup d’artistes africains se sont pourtant impliqués dans cette cause, notamment Tiken Jah Fakoly, qui est aussi à vos côtés pour African Consciences...
Bien sûr, mais chacun a son degré de conscience. Je ne demande pas à Tiken Jah d’avoir le même degré de conscience que moi. Il peut être engagé sur d’autres combats. Personnellement, je considère que ce chantier-là est un chantier insufflé par l’oppresseur, par les intellectuels de l’Occident par rapport à une certaine vision de l’avenir. L’annulation de la dette ne réglera aucun problème. Il faut s’interroger plutôt sur le fait de savoir qui maintient les dictateurs en place en Afrique. Ce dont il faut parler aussi c’est d’un réel plan de développement de l’Afrique. Pour moi, l’annulation de la dette c’est bien beau mais ça n’arrangera rien. Il faut aller plus loin, entrer dans un vrai processus de libération et d’émancipation.
Comment avez-vous procédé pour constituer l’équipe de "combattants" qui vous accompagnent dans ce projet ?
Pour certains, comme La Rumeur, Daddy Mory, Tiken Jah Fakoly, ça s’est fait naturellement puisqu’on avait déjà travaillé ensemble. Pour d’autres, c’est par des rencontres ou à travers des choses qu’ils avaient enregistrées et qui allaient dans le sens de la conscience africaine. Des artistes comme Dead Prez ou Anthony B par exemple.
Avez-vous essuyé des refus parmi les gens que vous avez approchés pour leur proposer de participer à African Consciences ?
Aucun. La seule personne qui était intéressée au départ mais finalement n’a pas répondu présente, c’est Lauryn Hill. Je pense que c’est lié à des problèmes personnels qu’elle a eus à un certain moment.
African Consciences (ULM / Universal)