Miossec, toujours sincère
L’Etreinte, sixième album de Miossec depuis 1995, est le meilleur, selon lui. Un opus qui promet des records d’audience. Le Brestois, modeste, oscille entre humour, cynisme et silences, témoins de sa propre surprise. Aujourd'hui, le pirate semble s'être assagi. Il a écouté, réfléchi. Sans trahir.
6e album pour le Brestois
L’Etreinte, sixième album de Miossec depuis 1995, est le meilleur, selon lui. Un opus qui promet des records d’audience. Le Brestois, modeste, oscille entre humour, cynisme et silences, témoins de sa propre surprise. Aujourd'hui, le pirate semble s'être assagi. Il a écouté, réfléchi. Sans trahir.
Une semaine et demie seulement que L’Etreinte est dans les bacs ; et le voilà sacré Disque d’or. La nouvelle, Miossec l’a apprise la veille, au cours d’une soirée organisée par sa maison de disques. Coup de massue. L’artiste mentionne la récompense, pincement systématique pour déjouer l’hallucination : "Quand je raconte ça, j’ai l’impression de dire des conneries". Voilà, ça le fait "poiler".
C’était en 1994. Un "marin marri" écumait les rades avec ses notes et ses potes, y déversait sa rage, déserteur trentenaire de ces boulots "dont il avait démissionné ou s’était fait virer". Quittant la terre ferme, Miossec retrouvait l’équilibre et lançait à la mer des bouteilles, cassettes échouées sur la plage des labels et des médias. Douze ans après, l’artiste glisse sur un succès insensible aux vagues capricieuses des tendances. Sa manière de travailler, elle, n’a pas changé : "underground".
Démuni de téléphone portable et d’accès internet, Miossec reste fidèle à Pias, label originel et familial avec lequel il "a grandi", malgré l’insistance des majors à le dévoyer. Surtout, le chanteur, modeste, s’étonne plus qu’il ne s’impose : "Ça fait douze ans que je m’exprime. Chanter, c’est un peu trop. Mais si on me dit tu dégages, je dégage. Je suis pas du genre à insister : ‘écoutez-moi je suis intéressant !’".
Un album assumé
Voici donc le Breton en train de courir le marathon médiatique. Enfin, "pas tant que ça". Ce jour là, il n’a "que" "deux, euh…trois" interviews. Miossec choisit. "Les entretiens d’un quart d’heure, à la chaîne, ça n’a pas de sens. J’aime rentrer dedans, passer un moment". Et se perdre dans des divagations, chemins de traverse, où s’inventent d’autres Miossec. "En temps normal, je ne parle pas de moi. C’est bien de transformer un exercice contraignant en quelque chose d’agréable. Ça permet de mettre des trucs en branle, je suis obligé d’analyser mon boulot."
Pour L’Etreinte, le diagnostic est formel : c’est son meilleur album, une œuvre "assumée". "Si on me dit que c’est de la merde, je peux répondre en souriant". C’est dit. Le même Miossec, capable de "dézinguer" une galette en pleine promo (souvenez-vous de A Prendre) confesse avoir écouté L’Etreinte en boucle. Au casque, pour ne "pas emmerder sa copine, parce qu’un mec qui se masturbe tous les soirs, c’est pas possible !", mais avec ce constat : "Les personnes avec qui je travaille, qu’est-ce qu’elles sont bonnes !" (les musiciens de Zita Swoon entre autres). Un cri du cœur : "Je trouve ça cool !" qui le fait rigoler : "C’est la phrase la plus con que j’ai dite depuis une semaine !".
Cinq concerts, en Bretagne "parce qu’il n’y a pas le même rapport au public", permirent de resserrer L’Etreinte. Des concerts "à la bonne franquette", guitare-piano-voix, sans lumière. "Tu te poses pas de question, tu montes sur scène, tu joues. C’est rigolo, l’ambiance club, trash. C’est du blues." Fin de la tournée des bastringues : Miossec jette quelques chansons à la poubelle "à la demande générale". Forcément, "quand tu finis un morceau sur un gros blanc…".
Harmonie, contre-chant, orchestration
Reste la substance : un album épuré, orchestré, mélodique. Et illustré d’aquarelles du peintre Paul Bloas, ami de 20 ans. "Je croyais qu’il allait faire deux-trois crobards. Mais il ne voulait pas partir du studio, et en a peint 500. Les musiciens voyaient ses dessins ; ça permettait de parler d’autre chose que de musique." Des étreintes, matrices du nom de l’album, où se déchirent et s’enlacent des couples, tangos de cœurs meurtris, de corps amoureux. Au temps de Boire et de Baiser, Miossec se peignait en graffiti : un art net, brut, sans bavure.
L’aquarelle flamboyante de Paul Bloas, larmes et sang pas tout à fait séchés, répond à l’art d’un chansonnier, qui se soucie désormais d’harmonie, de contre-chant, d’orchestration. Les mots se taisent, les instruments s’élancent, sur le tapis d’un thème musical déployé. "Ce sont des trucs que j’ai mis du temps à piger. Avant je récitais le bottin. Quand des personnes jouent bien, tu ne dis pas stop. Quand tu bosses avec Gérard Jouannest*, t’as envie de te bouger le cul, t’es inférieur !". S’il affirme : "Plus je joue avec de bons musiciens, plus je désapprends la guitare", Miossec, décomplexé, signe la musique de cinq titres. "J’arrête de faire le gars sympa, ‘coucou, je n’écris que les paroles’".
Niveau texte, L’Etreinte s’inscrit bien dans la veine Miossec, saillante. Des histoires d’amour à vif. "Je ne fais que de la chanson hyper classique, rien d’original. J’arrive au même point que le blues, la soul, le maloya". Qui s’élargissent aux affections maternelles : Maman, sa chanson préférée, "un truc intuitif, comme ça", et filiales : Bonhomme. La facture d’électricité comme premier tube ? "Ben, c’est poppy. Les journalistes voulaient du mélodieux. En voilà !" Et Trente ans, l’âge de Miossec quand tout a commencé. "Tant pis pour les victoires et tant mieux pour les défaites !", une ritournelle pleine de mystère et de promesses qui "veut dire ce qu’elle ne veut pas dire", "ce qu’on a réussi, ce qu’on a échoué".
La "carrière" de Miossec ("mais non une carrière, c’est un trou, on creuse, on extrait !"), encore adolescente puisque nourrie d’"excitation, par les choses, par la vie", se distingue donc par sa prolixité : un album tous les deux ans. "J’ai rien d’autre à foutre, faut y aller ! C’est du hasard." Plus tard, il aimerait faire un album funk, mais ça serait bizarre avec sa voix "de basse".
Quant aux images de marque qui forgèrent sa réputation… Miossec a quitté Brest pour Paris, puis Bruxelles. Mais tous ses copains sont à Ouessant. "Je suis toujours amarré là-bas. Et puis j’en fais mon fonds de commerce." On se souvient aussi d’un Miossec remonté, impertinent face à ses fans, maniant l’irrespect avec imprudence. La provoc fait-elle toujours partie de son quotidien ? "Oui oui, euh non, pas vraiment, euh, vraiment pas. Ce n’est pas que je deviens pute, mais je n’ai plus besoin de ce carburant". S’il ne se résout pas à adopter une attitude de "VRP de la chanson", la révolte et ses avatars n’étaient plus tenable : "Je ne voulais pas mourir, tout simplement".
* pianiste accompagnateur de Brel, mari de Juliette Gréco.
Miossec L’Etreinte (PIAS France) 2006
Christophe Miossec sera en tournée en France à partir du 25 novembre 2006.