Les soixantes ans de Johnny

A partir de mardi 10 juin, Johnny Hallyday entame sa nouvelle campagne de France : une série de concerts au Parc des Princes, à Paris, puis une tournée des stades cet été, pour fêter son soixantième anniversaire. Retour sur une carrière en douze scènes, à commencer par le quatorzième anniversaire d’un certain Jean-Philippe Smet, suivi de trois portraits croisés de fans.

Retour sur scène de la star française

A partir de mardi 10 juin, Johnny Hallyday entame sa nouvelle campagne de France : une série de concerts au Parc des Princes, à Paris, puis une tournée des stades cet été, pour fêter son soixantième anniversaire. Retour sur une carrière en douze scènes, à commencer par le quatorzième anniversaire d’un certain Jean-Philippe Smet, suivi de trois portraits croisés de fans.

UNE STAR EN DOUZE SCÈNES

15 juin 1957, Atlantic-Palace, Copenhague. Les danseurs Lee et Desta Halliday laissent le petit cousin Jean-Philippe chanter une ou deux chansons en costume de cow-boy pendant qu’ils se changent entre deux chorégraphies acrobatiques. Aujourd’hui, jour de ses quatorze ans, il va pour la première fois chanter en ouverture de leur numéro. pour l’occasion, il veut un nom de scène. Il choisit Johnny, l’anglais de Jean. Et Hallyday, comme le médecin qui, aux Etats-Unis, avait accouché la mère de Lee et dont le nom lui porte bonheur dans sa carrière d’artiste. Ce sera parce que, sur la pochette de son premier 45-tours, l’imprimeur fait une faute de frappe que Johnny s’appellera, pour la postérité, Hallyday.

20 septembre 1960, Alhambra, Paris. Première grande scène parisienne, première grande confrontation avec le monde du music-hall. Johnny Hallyday est "vedette anglaise" (troisième numéro de la première partie) d’un spectacle dont la vedette est Raymond Devos. Les adultes du parterre crient au scandale. Au premier rang, Henri Salvador lance: "Sortez-le! C’est affreux! Quel guignol !" Aux balcons, les gamins hurlent de plaisir. Claude Sarraute, dans Le Monde, avoue avoir pris "le plaisir fait d’étonnement et d’intérêt mêlés que procure une visite aux chimpanzés du zoo de Vincennes". Mais Raymond Devos menace de quitter l’Alhambra si son directeur limoge Johnny après cette première tumultueuse, et Maurice Chevalier vient le féliciter dans sa loge.

20 septembre 1961, Olympia, Paris. Déjà un anniversaire, mais il est involontaire: un an après l’Alhambra, Johnny passe en vedette dans le plus grand music-hall parisien. Furie rock? C’est surtout le lancement d’une nouvelle mode venue d’Amérique, avec Viens danser le twist et Let’s Twist Again qui clôturent le concert, Johnny se déhanchant sur scène avec trois ravissantes danseuses. Viens danser le twist sera son premier single "millionnaire" et surtout son entrée dans la discothèque familiale de toutes les classes sociales. Ce Johnny Hallyday n’est plus seulement un "phénomène de société", le symptôme du "conflit des générations" dont parlent les journaux, mais tout simplement, déjà, une immense star.

26 avril 1969, Palais des Sports, Paris. Cinq scènes circulaires, quatre ballons géants à douze mètres du sol sur lesquels sont projetés des séquences de films de guerre et d’horreur, dix cascadeurs, deux rings de catch, dix danseuses topless, cinq cents kilos de pop-corn projetés sur le public... Johnny se lance dans le show à grand spectacle avec dans la salle un spectateur passionné, Mick Jagger des Rolling Stones. Les critiques glosent sur les cauchemars de Voyage au pays des vivants et le public chavire à la création de Que je t’aime.

17 juin 1972, Chantilly. Sous des trombes d’eau commence le Johnny Circus: un chapiteau de toile, des gradins pour 3.000 spectateurs, une caravane de cinquante-quatre camions et bus, la Rolls-Royce blanche de Johnny... La plus ahurissante tournée française des années 70, à mi-chemin du rêve baba-cool et de la démesure à la Hallyday. En première partie, le groupe Ange et Nanette Workman avec qui Johnny vit une passion autodestructrice, alors que son mariage avec Sylvie Vartan a commencé à battre de l’aile. Des concerts magiques ou affreusement gâchés, selon les souvenirs des uns ou des autres. Mais surtout un désastre financier dont Johnny va mettre dix ans à se relever.

14 septembre 1982, Palais des Sports, Paris. La légendaire affiche au casque clouté, la folie Mad Max et le décor de fin du monde. Et la mise en scène ! Un homme décapité sur scène, Johnny vomit du sang, une choriste dévorée par des chiens... C’est du grand guignol, mais d’une efficacité scénique implacable, à la mesure des grands shows du progressive rock anglais et de la folie Kiss. Mais lui-même avouera, plus tard, avoir un peu poussé le bouchon...

18 juin 1993, Parc des Princes, Paris. Le geste le plus cinglé de Johnny en concert, à l’occasion de ses cinquante ans dans ce qui est à l’époque le plus grand stade français. Il a eu l’idée de se rendre sur scène en traversant à pied la foule, sur la pelouse. "Super, Johnny!", dit-on autour de lui quand il en parle. Ce sera spectaculaire: plus de dix minutes de bousculade pour arriver à la scène, qui laisseront Johnny en sueur et ses gardes du corps exsangues. Et il commence son concert par L’Idole des jeunes! Comme s’il n’en avait pas assez fait, grosse mise en scène avec baston de motards sur la scène pendant la chanson La Bagarre - comme il y a trente ans.

24 novembre 1996, Aladdin Theater, Las Vegas. On ne dira pas que c’est une réussite. Mais il en a tellement rêvé, et ses fans avec lui... Chanter là-bas, à Las Vegas, là où le King a connu quelques-unes de ses heures les plus légendaires, c’était une bonne idée, a priori. Simplement, une fois arrivé, tout le monde se rend compte que... comment dire... tout ça fait un peu plouc, un peu nouveau riche, un peu absurde. En plus, il a un chat dans la gorge. Et la set list sonne, après coup, avec une drôle d’ironie: les trois premières chansons sont Je sais que tu ne peux pas trouver mieux ailleurs, Rock’n’roll Man et La Terre promise...

4 septembre 1998, Stade de France, Saint-Denis. Sale temps sur la gloire, sur les fans, sur l’ambition, sur le plaisir... Quelques mois après la victoire historique des Bleus sur cette même pelouse, Johnny a réservé trois soirs - lui seul peut oser. Il y a aura un orchestre symphonique, des centaines de choristes, un casting magnifique pour les duos, des effets spéciaux d’une dimension inédite en France, une entrée en scène en hélicoptère... Mais, ce soir-là, il pleut et, la mort dans l’âme, Johnny accepte d’annuler le concert. Les concerts des 5 et 6 septembre auront lieu normalement, le concert du 4 sera reporté au 11 mais le chanteur avouera conserver quelque amertume de ce soir de défaite. Pourtant, les trois concerts du Stade de France seront énormes : énorme foule, énorme ferveur, énorme chanteur...

10 juin 2000, Champs-de-Mars, Paris. Ah, ça a de la gueule, un concert au pied de la Tour Eiffel! TF1 retransmet l’événement en direct, un demi million de spectateurs sur la grande esplanade... Au départ, Johnny avait prévu un concert sur les Champs-Elysées, une énorme scène montée sur roues descendant l’avenue de l’Etoile à la Concorde. Cela aura fait le plus travelling de l’histoire du show business mais le risque d’une cohue parmi les spectateurs était trop grand. Alors, en consolation, ce sera le Champs-de-Mars et une tournée des stades dans toute la francophonie en juillet et août, pendant que Johnny retrouve une sorte d’intimité...

17 juin 2000, Olympia, Paris. Eh oui ! Il n’y a pas que les concerts gigantesques, dans la vie! Trente-neuf ans après sa première apparition dans le temple sacré des variétés françaises, il revient avec un show très différent de ses concerts des stades - magie d’un répertoire inépuisable... Deux mois et demi à l’Olympia, interrompus par ses rapides expéditions dans les stades : l’été 2000 appartient à Johnny. Le métier ne s’y trompe pas et on se bouscule pour les duos: on verra près de lui, notamment, Patrick Bruel, Patricia Kaas, Eddy Mitchell, Paul Personne, France Gall, Jean-Louis Aubert, Florent Pagny, Les Rita Mitsouko, Michel Sardou, Lara Fabian, Pascal Obispo, Muriel Robin, Catherine Lara...

10 juin 2003, Parc des Princes, Paris. Jamais Johnny n’a été aussi puissant: les médias sont à ses pieds, ses ventes de disques sont au beau fixe, le président de la République est un fan, le Premier ministre est un admirateur, le ministre de l’Intérieur est un ami... Retour au Parc des Princes pour fêter ses soixante ans à guichets fermés, avant une tournée des stades cet été puis, l’hiver prochain, les plus grandes salles françaises, dont Bercy à la mi-décembre.

Bertrand DICALE

LES FIDÈLES DE JOHNNY : SES FANS DE PART LE MONDE

Ils habitent la Belgique, le Canada ou la Suisse. Ils aiment Johnny Hallyday, passionnément, et se réjouissent qu’il fête ses soixante ans sur scène. Linda Heuchamps est à la tête d’un de ses fans-clubs belges composé d’une centaine d’adhérents. Sylvie Hurdle-Gaulin s’occupe du site Internet de son équivalent québécois. Marcel Aebi gère le petit dernier, créé en Suisse il y a six mois et déjà fort de soixante-dix membres. Ils sont tous les trois bénévoles, ils n’ont jamais rencontré Jojo mais prononcez le nom de leur idole, ils deviennent intarissables.

Vous vous souvenez de la première fois où vous avez entendu Johnny ?
Marcel :
Dès que je suis né ! Il a bercé toute mon enfance. Mon père était dedans et il achetait tout. Mais il ne m’a pas particulièrement poussé. J’ai toujours aimé cette musique. Il y a tout dans cet homme.
Sylvie : J’ai découvert Johnny à cinq ans alors que j’étais en vacances chez mon oncle, le plus grand fan du Québec ! Sa personnalité, son charme, son charisme, sa voix m’ont tout de suite séduit. On entre dans ses chansons, on sent qu’il les vit.
Linda : A l’âge de huit ans, un ami de mon frère m’avait pris un 33 Tours d’Elvis Presley. Quand j’ai voulu le récupérer, il ne l’avait plus. Il m’a dit : "Ecoute il y a quelqu’un d’autre qui chante très bien". Et il m’a donné le premier 33 Tours de Johnny Salut les copains. Je l’ai écouté jusqu’à l’user. Aujourd’hui, il coûte 23 000 €. Je sais que le fond de Johnny est excessivement bon et c’est ce qui me plait chez lui. J’ai toujours été captivé par son aura.

On a l’impression que vous parlez d’un dieu ?
Linda : j’aurais aimé qu’il soit mon frère. Il donne beaucoup, plus que vous ne pouvez l’imaginer. La vie parfois vous malmène. A neuf ans, j’ai très mal réagi à la suite d’un problème familial, j’ai fait une tentative de suicide. Mais d’un coup, j’ai réalisé : "si je meurs, je n’entendrais plus Johnny". A seize ans, rebelote, 2ème tentative en même temps que Johnny. Il s’en est sorti, je pouvais donc aussi y arriver. Mais il n’est pas un dieu, c’est un être humain qui donne du rêve, un ami qui m’apporte de la joie et de la bonté.
Marcel : C’est vrai que pour moi c’est presque un dieu, mais ce n’est pas du fanatisme. J’écoute aussi d’autres chanteurs mais j’aime ce mec depuis tout petit et je n’ai jamais quitté sa musique.
Sylvie : Non ce n’est pas un dieu mais dans la vie on a toujours besoin d’une personne à qui se raccrocher. Johnny vient vous chercher

Comment reconnaît-on un vrai fan de Johnny ?
Sylvie : Un vrai fan possède tout, n’écoute que Johnny, que voulez-vous de plus que Johnny ? (rires) On n’a pas le choix, on se sent concerné par ce qu’il chante. Ça me fait des frissons. Je passe ses chansons lorsque je fais mon ménage, les larmes me viennent souvent aux yeux. J’ai arrêté de compter le nombre d’albums que j’avais. Je ne sais même pas combien j’ai dépensé.
Marcel : Il y en a même qui collent à son look, moi pas du tout. Depuis deux ans, je me suis pris de folie : j’achète tous les vinyls et les CDs que je trouve. J’en ai peut être 500 ou 600. Je me dis que c’est un héritage pour mon fils. Il a 15 ans et c’est un fou de Johnny. Pourtant à la maison on écoute de tout. Il est bercé comme moi j’ai été bercé par mon père, c’est héréditaire ! J’ai pratiquement tous ses albums, il ne me manque que quelques éditions promotionnelles. J’y consacre environ 180 € par mois. Mais je n’achète pas les habits de la marque Johnny, c’est trop cher. Son parfum Retiens la nuit, je l’ai porté mais il ne m’a pas trop plu.
Linda : J’ai toutes ses chansons, ça c’est clair. Les bouquins, il ne m’en manque que deux ou trois. J’ai même un disque d’or mais les figurines qui ne ressemblent à rien, je n’en veux pas ! Je n’aime pas tout de Johnny. Je suis allergique aux titres Je t’attends ou chiens de paille. Au lycée, si je parlais de Johnny, j’étais catalogué fille de rien parce que dans l’esprit des gens à l’époque Johnny Hallyday = motard = blouson noir = fille de rien. Un jour, on devait faire une dissertation sur ce qu’on préférait, j’ai mis Johnny et j’ai eu zéro. J’étais première de classe pourtant.
Je trouve que trop souvent les fans sont fous. Un jour il y en a un qui est venu près de moi et qui m’a dit "Regarde, c’est sa manche de chemise". Je me suis mise en colère : "Quand tu lui as arraché la manche, tu lui as fait mal, on ne fait pas mal à quelqu’un que l’on aime." Il n’avait pas réalisé.  Je ne sais pas combien j’y consacre d’argent mais c’est énorme. Il faut avoir les reins solides, je vous l’assure, si vous voulez avoir une collection un peu complète et voir les concerts. C’est dommage, son image est devenue un produit commercial. Je suis triste pour toutes les personnes qui ne peuvent pas s’offrir ce plaisir. Pour moi c’est un choix de vie, je ne fume pas, je sors très peu, j’achète Johnny !

Venez-vous au Parc des Princes, à Paris, pour sa tournée anniversaire ?
Marcel 
: J’ai organisé tout le voyage, nous sommes 22 à partir. Je l’ai déjà vu sept fois sur scène. Comme j’ai des problèmes de santé, je n’irais au Parc des Princes que le 15 juin, le jour de son anniversaire. Mais certains y vont aussi le 14. J’ai également rendez-vous avec des fan-clubs du Québec parce qu’on aimerait prévoir peut-être pour 2004 une grande concentration de fans. Et je vais aussi faire des achats... sur Johnny.
Sylvie
 : C’est trop loin et trop cher pour moi, mais je serais avec Johnny de tout mon cœur. Je ne l’ai vu qu’une fois, la seule où il est venu à Montréal, en 2000. J’étais tout devant, juste en face de la scène. Il m’a tellement transportée que je ne me souviens plus du tout ce qu’il a joué. C’était comme dans un rêve.
Linda : Je voulais voir Johnny au moins une fois à Paris. J’y vais les 14 et 15 juin, je serais aussi là pour sa date à Bruxelles. Mais je trouve dommage qu’il chante toujours la même chose ses dernières années. Gabrielle c’est beau, c’est bien, mais il y en a tellement d’autres.

Ludovic BASQUE