Bisso na Bisso

Qui n'a pas entendu parler du Bisso Na Bisso cette année ? C'est probablement l'une des plus belles aventures hip hop de cette fin du siècle, surtout à travers l'espace francophone.

Le live est sorti le 30 novembre !

Qui n'a pas entendu parler du Bisso Na Bisso cette année ? C'est probablement l'une des plus belles aventures hip hop de cette fin du siècle, surtout à travers l'espace francophone.

Initié par Passi, ce projet construit autour d'un collectif de rappeurs d'origine congolaise, a complètement subjugué l'univers du rap français. Un excellent concept d'ouverture vers les musiques urbaines du continent noir et des Caraïbes qui signe le retour aux sources d'une frange représentative d'enfants issus de l'immigration en France. De belles mélodies servies notamment par la présence de quelques pointures du show-biz afro-antillais (Wemba, Desvarieux, Ismaël Lô…), des textes biens sentis sur une réalité africaine plus ou moins vécue ou rêvée, l'album du Bisso Na Bisso représente aujourd'hui un tournant indiscutable dans le genre. Entretien avec Passi et Mystic (autre membre du collectif) à l'occasion de la sortie le 30 novembre d'un live qui annonce une suite possible à l'aventure…

Un album à succès, suivi par ce live, après un rendez-vous scénique unique qui a explosé le Zénith en mai dernier. Quel bilan allez-vous tirer de l'ensemble de ce projet ?

Passi : Ce projet était risqué. On l'a fait avec le cœur. Et ça fait beaucoup de bien à chacun d'entre nous. C'est un des trucs qui nous encourage à continuer de faire de la musique… De voir des grands-mères, des enfants, des lascars, des bureaucrates en train de faire la fête sur Bisso Na Bisso dans la même salle, sans barrières, est une satisfaction personnelle pour tous les membres du Bisso.

Dans le monde du rap français, d'où vous sortez, le Bisso représente une sorte de tournant particulier qui allie la danse à la conscience d'appartenir à un peuple qui souffre. Le peuple congolais en particulier, africain en général. Musicalement, vous vous êtes permis quelques audaces que vos confrères vous envient à présent. C'est la satisfaction à tous les étages ?

P. : Les retours sont positifs. Quand on allume la radio, on voit qu'il y a des gens maintenant qui se permettent de partir dans des exercices de style, en prenant des musiques orientales ou des musiques de chez eux, des langues de chez eux. Ils mettent ça avec du rap. Il y a même des groupes purs et durs qui le font. Tu vois des rappeurs qui tchatchent en créole. Avant c'était un peu plus dur. Les gens étaient coincés en France. Ils n'osaient pas. Nous, on a fait Bisso Na Bisso, on a osé. Et maintenant, on voit que ça porte ses fruits. J'ai entendu beaucoup de titres qui ressemblent à des titres de Bisso Na Bisso. Je pense que ce qu'on a fait, a marqué un petit tournant dans le rap.

De recevoir les Koras du meilleur groupe africain et du meilleur clip africain, ça représente quoi pour les membres du Bisso ?

P. : Nous sommes des rappeurs. Nous n'avons pas la prétention de faire des musiques africaines, mieux que les Africains eux-mêmes. Mais le fait que nous ayons été reconnus par rapport à ce qu'on a fait, ça nous a fait du bien. Le fait que ça soit un jury de musiciens africains qui nous décerne ces prix, est encourageant. Nous ne sommes pas là-dedans, nous faisons du rap d'habitude.

Vous considérez que c'est un projet de rappeurs français sur l'Afrique ou justement, en sortant des Koras, que c'est un projet africain au sens plein ?

Mystic : C'est un projet de rappeurs africains s'exerçant en France et qui s'élargit à travers l'Afrique et le monde.

L'Afrique, c'est aussi une tournée. Un aspect dont vous pourriez nous parler un peu…

P. : Oui. Il y a eu quelques dates. Aux Antilles aussi. Nous serons au Cameroun le jour de l'An. On a eu beaucoup de propositions de concerts. Mais on n'a pas pu répondre à toutes. On n'en a sélectionné que très peu, parce qu'il y a tous les membres du Bisso qui sont sur leur carrière solo. Mystic sort son album le 5 janvier, Arsenic est en studio, Nèg' Marrons en sortent aussi un. Quant à moi, je suis en train de produire l'album d'Ahmed et de bosser sur mon prochain album. Je fais un duo avec Koffi Olomide sur son prochain album ("Africa Kings"). Donc il y a du boulot jusqu'à la fin de l'année 2001. Chaque membre du Bisso va sortir quelque chose dans les mois qui viennent. Plus tard, on refera un album ensemble. Au niveau des concerts, il n'y en aura plus comme il y a eu le 15 mai 99. C'est pour ça qu'on sort le live. Il n'y aura même pas de tournée française parce qu'on doit enchaîner sur d'autres choses. Sur un prochain album, peut-être qu'on se montera une tournée française.

Bisso Na Bisso est donc une aventure qui va continuer…

M. : C'est le peuple qui décidera. Bisso Na Bisso n'a qu'un cœur, Bisso Na Bisso n'a qu'une oreille, Bisso Na Bisso n'a qu'un œil. C'est un projet qui a porté ses fruits parce que ça s'est fait avec le cœur. Bisso Na Bisso c'est la vérité. Avec ce projet, il ne faut pas s'attendre à rentrer dans des polémiques, genre "Bisso Na Bisso s'est séparé…" Non ! C'est l'histoire de toute une communauté, de tout un continent. A travers ce projet, il y a un message qui est passé. Les gens le comprennent. Là on passe à un autre millénaire.

Dans un de vos titres, vous dites "ici ou là-bas, c'est toujours le même qui te croque" Vous vous sentez comment aujourd'hui, d'ici en France, de là-bas au Congo ou toujours "le cul entre deux chaises" ?

M. : Toujours entre deux chaises. Tant qu'ici, ça n'ira pas, on penchera là-bas. Tant que là-bas, ça n'ira pas, on penchera ailleurs. Le monde est à nous. Nos parents ont fait le voyage de l'Afrique vers l'Occident. Nous, on va faire le voyage à travers le monde entier. On va traverser l'Afrique et tout le reste du monde. On va aller loin. Loin spirituellement, loin dans les poches et il faut qu'on pèse tous bien lourds…
P. : C'est important qu'on ait du poids et qu'on représente même économiquement quelque chose. C'est important pour pouvoir influer sur ce qui se passe chez nous.

Que pensez-vous de toute la polémique orchestrée actuellement sur le rapport entre le rap et le 'bizness' en France ?

M. : Le rap a été mis sous surveillance depuis qu'il est devenu acceptable. C'est une phrase de Rakim, un rappeur américain.
P. : Je ne cherche pas à savoir combien Alain Souchon gagne ou combien Gainsbourg gagnait. C'est normal qu'il y ait des sous si on vend des disques. Et qui dit les sous, dit problèmes. Donc il y aura toujours des problèmes par rapport à l'argent dans le rap ou hors du rap d'ailleurs. Moi, j'essaie de gérer au mieux. Ce que je gagne, j'essaie de l'investir, de le faire tourner pour que ça puisse nous servir, parce qu'il y a des gens qui nous regardent. J'ai besoin d'aller encore plus haut. Donc j'essaie de faire attention. Mais je ne fais pas ça gratuitement, c'est clair.
M. : Surtout que le rap n'est pas une fin en soi, c'est juste un moyen. Nous sommes des exilés ici, d'où le titre de mon album qui va sortir "le Chant de l'exilé". On n'est pas venu ici en touriste. Nous sommes venus pour récupérer ce qui nous est dû. C'est à chacun de savoir, en ayant la foi dans ce qu'il fait, qu'avec l'amour, nous parviendrons à rouiller les fers qui nous entravent.

Propos recueillis par Soeuf Elbadawi

Bisso Na Bisso - Live (Issap/V2)