Barbara Carlotti
Avec son premier album, Les Lys brisés, Barbara Carlotti impose son univers mi-pop mi-chanson, quelque part comme une Joni Mitchell francophone pour temps postmodernes.
Les Lys brisés
Avec son premier album, Les Lys brisés, Barbara Carlotti impose son univers mi-pop mi-chanson, quelque part comme une Joni Mitchell francophone pour temps postmodernes.
Il est rare que l’on trouve autant de parentés à une artiste, et que pourtant elle ne ressemble à personne. Pour le premier album de Barbara Carlotti, on évoque volontiers Leonard Cohen, le Gainsbourg pop, Joni Mitchell, Françoise Hardy, par les attitudes, le ton, l’humeur ou les pratiques, sans qu’on puisse la fixer à un genre. D’ailleurs, elle appartient plutôt à la chanson sans que la pop cesse d’être "une direction et une référence : ce que je fais n’est pas proprement pop, mais c’est le cadre dans lequel je travaille."
Les Lys brisés mêle l’imagerie pop et l’introspection douce-amère, une certaine image de l’insouciance et l’échec amoureux, la douceur du sentiment et l’âpre réalité du couple contemporain… Tendresses, franchises, bribes de récit, confidences à mi-voix dans un environnement musical sophistiqué, rehaussé çà et là de petits sons précis et discrets comme sortis du quotidien : ce disque n’est pas tout à fait celui d’une débutante.
A trente et un ans, Barbara Carlotti a pris son temps pour construite son univers musical. En 2004, elle avait sorti un premier disque, un autoproduit de sept titres intitulé Chansons, auquel avaient participé, notamment, Bertrand Burgalat et M. Untel – premiers parrainages prometteurs. Son équipe était déjà en bonne partie constituée. "L’idée de groupe me préoccupe beaucoup", avoue-t-elle. Les Lys brisés porte plus clairement encore que Chansons la marque du travail collectif. "C’est un disque qui me ressemble beaucoup, et qui ressemble beaucoup aux gens qui étaient présents. Je peux tout revendiquer mais il représente plus que moi, il va plus loin que moi." De toute manière, elle se voit mal travaillant de manière autarcique, ne pas ouvrir le jeu. "J’écris assez de chansons pour ne pas avoir envie d’un disque écrit par moi, composé par moi et arrangé par moi. J’avais envie de partager. Comme ça, les choses ont plus de densité. Toute seule, je suis beaucoup plus hésitante. Dans l’échange, je sais mieux ce que je veux."
Mais, si elle chante parfois des musiques qui ne sont pas d’elle, elle tient à écrire tous les textes : "C’est la seule chose que je ne partage pas. Sans doute parce que je pense ne pouvoir chanter que ce que j’ai à dire." Elle écrit "énormément, de façon un peu pulsionnelle, sans avoir de moment ou de pause". Son disque, outre des titres neufs, reprend ainsi quelques titres de Chansons. D’ailleurs, quand elle parle de "très, très vieilles chansons", elles ont deux ans et demi. Mais c’était au moment de son bac qu’elle s’était juré de devenir chanteuse.
Gamine, elle achète du Michael Jackson, accompagne sa mère aux concerts classiques dans une église à Meudon, écoute Nina Simone et de la country avec ses parents, les vieux Sinatra que chante son père, Iggy Pop et les Stooges avec sa grande sœur. "Je suis tombée amoureuse d’Etienne Daho en écoutant Epaule Tatoo. Je sais aussi que, la première fois que j’ai écouté le concerto en sol de Rachmaninov, ça a été un choc musical, mais je ne sais pas si aujourd’hui ça continue à être important, je ne sais pas cela a été déterminant pour le futur."
Car, fondamentalement, elle dit ne pas fonctionner par modèles : "Créer et être dans la contemplation des œuvres des autres, ce sont des choses séparées. S’il y a des modèles pour moi, ils sont trop écrasants pour que je puisse en faire quelque chose." Elle n’a certes pas d’inspirateur direct et avoué, mais continue d’aimer – Bertrand Belin, Franck Monnet (et notamment Les Acrobates, qu’il a écrite pour Vanessa Paradis, "un chef d’œuvre"), les albums La Fossette et Auguri de Dominique A, Fantaisie militaire d’Alain Bashung, Katerine pour ses chansons autant que pour "son côté provocateur mais assez fin"… Et, il y a quelques temps, elle est tombée "sous le charme d’un concert de Françoiz Breut".
Cela dessine une autre parentèle que les grands maîtres du passé : des amoureux du mot uni à la note, des artisans d’images obliques et fortes. Ses textes lui ressemblent. S’ils ne parlent pas toujours d’elle-même, ils parlent toujours de ses sentiments : "C’est ce qui fait que je peux les défendre. C’est plus simple de parler en mon nom qu’au nom de quelqu’un d’autre. L’intériorité est sans fin. J’ai l’impression que je peux être amenée vers d’autres choses, mais par un travail intérieur." Et ses croquis sur le vif sont d’une vraie cruauté, comme Cannes, travelling sur la Croisette pendant le festival : "Faye Dunaway en bikini/Avec ton meilleur ami/Où sont donc passées les starlettes/Qui sont ces salopes en goguette/Le malheur sur la Côte d’Azur/C’est que jamais rien ne dure". Une langue, une voix et un regard qui prennent déjà une belle place dans le paysage français.
Barbara Carlotti Les Lys brisés (4AD-Microbe) 2006
En concert au Café de la Danse le 10 mai à Paris
