Youssou N'Dour en librairie
Youssou N’Dour n’est jamais longtemps hors de l’actualité, même s’il prend toujours au moins dix-huit mois ou deux ans entre ses disques. Ainsi, quelques semaines après qu’il a participé à l’hommage à Gilles Obringer à Dakar, puis parrainé le festival Africa Live contre le paludisme en Afrique, voici qu’il est aux vitrines des libraires.
La première biographie de l’enfant de Dakar
Youssou N’Dour n’est jamais longtemps hors de l’actualité, même s’il prend toujours au moins dix-huit mois ou deux ans entre ses disques. Ainsi, quelques semaines après qu’il a participé à l’hommage à Gilles Obringer à Dakar, puis parrainé le festival Africa Live contre le paludisme en Afrique, voici qu’il est aux vitrines des libraires.
Michelle Lahana a longtemps couru les couloirs de RFI : pendant quinze ans, elle a été la réalisatrice de l’émission Canal Tropical, où le légendaire et regretté Gilles Obringer l’a baptisée la Gazelle – l’identité sous laquelle tout le métier la connaît, des médias aux artistes. En 1982, elle rencontre un jeune chanteur sénégalais dont l’étoile commence à monter. Au premier contact, elle est plutôt rétive, mais elle cèdera vite au charisme de Youssou N’Dour, voyant en lui un des espoirs de la musique africaine. Au point que, depuis 1988, elle est le manager du plus grand chanteur sénégalais de son temps. Un manager singulier pour un artiste singulier, ce qui donne cette situation singulière : la Gazelle publie la biographie de "son" artiste, Youssou N’Dour, la voix de la Médina, qui s’impose comme le meilleur document disponible sur le sujet.
La Gazelle est certainement la personne qui connaît le mieux la carrière de Youssou N’Dour, et une de celles qui perçoit le plus complètement et le plus précisément sa personnalité intime – voilà pour les sources. Mais elle a aussi la faculté de prendre de la distance, d’oser réfléchir au-delà de l’admiration et de la complicité. Et son portrait de l’artiste comme de l’homme sont bellement réussis. Elle évoque évidemment l’enfance de Youssou, fils d’un ferrailleur et d’une membre d’une lignée de griots à qui sa famille avait défendu de chanter. Le quartier de la Médina de Dakar, le refus de son père de le voir embrasser la carrière de musicien (c’est peut-être parce qu’il a pour ambition que son fils ait un bureau que celui-ci va devenir un des premier patrons du show business africain moderne), les premier succès à l’âge de seize ans, la construction de son groupe, le Super Etoile, et, très vite, la révolte de Youssou contre la situation faites aux artistes en Afrique.
La Gazelle raconte en détail cette singulière ambition de Youssou dans le paysage des musiques actuelles en Afrique : il crée des structures professionnelles là où il n’y en avait pas. Jusque là, les artistes africains puisaient leur inspiration et satisfaisaient leur public le plus fidèle "au pays", mais géraient véritablement leur carrière à Paris ou Londres, là où sont les studios, les maisons de disques, les tourneurs et l’argent. Une réalité légale et économique justifie leur exil artistique : le piratage massif des enregistrements interdit de compter sur le marché local pour bâtir des productions ambitieuses et – il faut bien l’avouer – gagner convenablement sa vie. Youssou va être un pionnier et passer outre. En faisant venir à Dakar des techniciens français pour qu’ils forment des Sénégalais, en investissant dans le matériel et dans les hommes, il construit la première structure intégrée d’Afrique de l’Ouest, du studio d’enregistrement (le fameux Xippi) au matériel de tournée.
Car l’homme est de bout en bout sénégalais. Il a beau fréquenter les sommets du show business international, connaître le succès planétaire (le récit de la réalisation de Seven Seconds Away, son duo avec Neneh Cherry, est savoureux de naturel), voyager énormément, son port d’attache est Dakar parce qu’il ne le conçoit pas autrement. Et le prix à payer n’importe guère : le bénéfice que Youssou y trouve compense les heures d’avion, les conversations téléphoniques en décalage horaire et les difficultés logistiques. Youssou est la preuve que les artistes africains peuvent mener une carrière nationale et internationale à la fois, sans que l’une soit sacrifiée et l’autre réduite à des raids sporadiques. En l’occurrence, il est utile que ce soit la Gazelle qui raconte, car nul autre ne saurait expliquer avec une telle simplicité ce qui est justement d’une infinie simplicité : pour Youssou, il suffit de choix clairs, et de se tenir à ces choix. La performance n’est pas professionnelle ou artistique, elle est morale. Et, de la même manière, il agit en humaniste exemplaire, se multipliant pour Amnesty International, l’Unicef, la Croix-Rouge, la FAO, la cause des enfants (comme tout récemment pour permettre à vingt-cinq enfants sans ressources de subir une intervention cardiaque)...
La Gazelle traverse carrière et oeuvre en courts chapitres vifs – on sent l’expérience et le rythme de la radio – sans faire l’économie de petites anecdotes qui raviront le fan. Elle fait intervenir de nombreux témoins, multiplie les angles de vue (car il n’est rien de plus fastidieux que de lire des récits successifs de tournée), cède rarement à l’admiration béate. Le livre se lit d’une traite, tant sa ferveur est communicative.
Michelle Lahana Youssou N’Dour La voix de la Médina (Ed. Patrick Robin)