Printemps de Bourges (3)

Bourges, le 21 avril 2000- Michel Houellebecq en concert, Thomas Fersen qui affirme la maturité d'un talent exceptionnel, Arielle qui confirme sur scène les promesses de son disque, les Elles avec un spectacle radical: belle moisson pour le deuxième jour du festival.

Houellebecq, Fersen, Les Elles, Arielle

Bourges, le 21 avril 2000- Michel Houellebecq en concert, Thomas Fersen qui affirme la maturité d'un talent exceptionnel, Arielle qui confirme sur scène les promesses de son disque, les Elles avec un spectacle radical: belle moisson pour le deuxième jour du festival.

Au deuxième jour, disent les vieux routiers de Bourges, les choses sérieuses commencent. Et le plaisir est une chose sérieuse, autant que la liberté, la ferveur, la découverte. Par exemple, on attendait de Michel Houellebecq des sensations fortes, et on les a eues.
Un écrivain triplement couronné par le succès, la critique et le scandale, et qui prend le micro, cela inquiète vaguement - du "rap mou", dit la rumeur qui n'a pas bien écouté son disque, Présence humaine, qui sort ces jours-ci. Entouré par Bertrand Burgalat (fondateur du label Tricatel et producteur de son album) et quatre autres jeunes musiciens, Houellebecq ne ressemble pas vraiment, sur scène, à un chanteur. Pourtant, il instaure un étrange courant: la voix haute, voire impérieuse (beaucoup plus qu'au disque), il affirme des constats décourageants sur une musique située quelque part entre les climats des Doors et les manières de Canned Heat - bien jouée, franchement séduisante. Ce qui séduit, c'est la puissance parfois dérangeante mais toujours pertinente du texte, le mélange unique d'engagement et de distance qui anime le phrasé de Houellebecq, la générosité du groupe qui l'accompagne. Objet étrange, inattendu, inclassable, le concert de Houellebecq semble donner le ton des plateaux français de cette journée de Printemps: habitudes rompues, catégories brouillées, frontières corrompues.

Quatre heures après Houellebecq à l'Escale, Thomas Fersen à la Hune (Maison de la Culture) démontrait la perfection d'une démarche établie, justement, dans ces parages où l'on ne sait s'il faut parler de nouveau classicisme ou de renversement historique, de fantaisie débridée ou de rigueur janséniste.
Quelques mois après la sortie de Qu4tre, album superbe et farceur, Fersen présente les meilleurs arrangements de scène entendus cette année, avec une sorte d'orchestre de chambre tsigane hispano-français qui donne de toute chose une vision à la fois immédiatement familière et pourtant lointaine - comme des tangos de Maubeuge, des valses d'importation ébréchées, des comptines d'adulte sans illusion. Voix éraillée et d'un charme inentamable, Thomas Fersen s'invente, dans ses fables d'animaux irréels et ses confessions d'enfant blessé, tout un jeu d'ironie désenchantée et de fausse lassitude narcissique: c'est un adulte que la chanson console d'avoir été gosse, qui dessine une chauve-souris amoureuse d'un parapluie ou énumère tous les méchants surnoms qu'il a reçu (Dugenou, Ducon, Dugland...) pour mieux se souvenir d'être, aujourd'hui, heureux.

D'ailleurs, toute cette soirée à la Hune semblait tendue dans la quête d'un bonheur compris comme compensation. Les Elles de Pascaline Herveet racontaient ainsi l'histoire de Pamela Peacemaker, infirmière, qui fait la matière de leur troisième disque. Une électronique active et discrète, un orgue, un violoncelle et une flûte ou une trompette tendent une belle toile à Pascaline Herveet, petite femme mutine et grave, chanteuse en blouse blanche à la démarche radicale.


Chez Arielle, c'est un radicalisme plus radical encore, approchant le sens de la rupture d'un Houellebecq. Ancien mannequin et voix montante d'une chanson qui se refuse aux variétés, elle s'affirme, un an après la sortie du disque Mortelle, comme une interprète envoûtante, sorte de Françoise Hardy fin de siècle ou de Barbara sous Prozac. Ce qu'elle raconte, ce sont des interdits menacés, des peurs assumées, tout un univers à la fois funèbre et radieux. Réellement touchante, elle accomplit ce paradoxe d'assumer avec naturel le côté fabriqué de son élégance, un peu comme ces excentriques de Woodehouse qui affichent leurs lubies sans fausse pudeur. Personnage romanesque et interprète habile dans l'émotion, elle confirme au Printemps de Bourges les immenses promesses d'un disque inclassable. Et ça, c'est une chose sérieuse...

Bertrand DICALE