Francis Bebey

Deux ans déjà que Francis Bebey est décédé, l'occasion pour RFI d'organiser une journée spéciale le 28 mai 2003.
AgathaLa Condition Masculine… Même ceux qui ne sont pas des familiers de la musique africaine connaissent quelques chansons de l'artiste, au moins celles de Francis l’humoriste, car l’homme ne manquait pas de facettes.

Il était la sagesse, l’humour et le talent réunis

Deux ans déjà que Francis Bebey est décédé, l'occasion pour RFI d'organiser une journée spéciale le 28 mai 2003.
AgathaLa Condition Masculine… Même ceux qui ne sont pas des familiers de la musique africaine connaissent quelques chansons de l'artiste, au moins celles de Francis l’humoriste, car l’homme ne manquait pas de facettes.

Comment résumer en effet ce personnage attachant et inclassable qui fut tour à tour écrivain, poète, musicologue, responsable des médias à l’UNESCO (organisme confortable dont il démissionnera sans états d’âme pour se consacrer enfin à la seule musique) ? ... Même si on se limite à  "Bebey-le-musicien", sa discographie a de quoi déconcerter le mélomane le plus éclectique ! Violemment indépendant, Francis Bebey fut un des tous premiers à adopter la philosophie du home-studio… avant que les home-studios n’existent. Dès les années soixante-dix le Camerounais avait banni les studios professionnels – et leurs directeurs artistiques - transformant son petit appartement parisien en laboratoire expérimental.

A coups de synthés, de Moogs, de boîtes à rythme, il créait en pionnier ses sons et ses instruments électroniques, avant d’y plaquer sa voix tantôt douce, tantôt gouailleuse. Certes la technologie de l’époque était encore limitée et écouter aujourd’hui ces galettes peut faire sourire. Mais là était de toute façon l’intention, puisque cette technique était généralement réservée aux chansons drôles, où le texte était privilégié. Pour les œuvres vraiment musicales, changement total de ton : Francis empoignait alors la guitare 12 cordes dont il jouait à merveille et l’acoustique reprenait tous ses droits.

Comme beaucoup d’Africains de cette génération, et en particulier son compatriote Manu Dibango, Bebey se nourrit de trois principales influences musicales : la chanson française, le jazz américain, la musique africaine. En 1977, il s’en explique dans les colonnes du mensuel "Afro-Music" : "J’écoute effectivement beaucoup de jazz, mais ce n’est pas vraiment une source d’inspiration pour ma musique. Je pense que nos frères américains se sont eux-mêmes inspirés de l’Afrique pour créer le jazz. Alors, moi, je préfère puiser à la source même : dans les forêts de notre Afrique. A mon avis, l’une de nos plus grandes richesses musicales, c’est la voix de ces petits hommes, les Pygmées. Je les ai beaucoup écoutés, et maintenant j’essaie d’intégrer ces sons pygmées à une musique plus moderne. Toute proportion gardée, et à une autre échelle, c’est un travail d’intégration musicale un peu comparable à ce que faisait Bela Bartok."

C’était quand même vingt ans avant Deep Forest ... De fait, ils n’étaient pas très nombreux, les Africains de cette époque, à croire en leur musique. «Vous savez, expliquait gentiment l’artiste, nous avons été colonisés ! Pendant des décennies on nous a appris à mépriser les valeurs culturelles qui étaient les nôtres. Il me semble que les jeunes africains sont en train de redécouvrir leur passé. Il faut du temps pour cela. Pour ne parler que de musique, je crois que les jeunes musiciens abandonnent peu à peu leur manie de copier l’Amérique, pour enfin découvrir l’Afrique.» Et de jeter un coup d’œil complice au petit Toups, le fiston, qui traîne dans les fils du synthé avec déjà, sans doute, une idée derrière la tête ... 

Discret, peu attiré par les paillettes, Francis Bebey faisait figure de sage dans ce monde survolté de la musique. Extrêmement jaloux de sa liberté, il ne faisait aucune concession au show-business. Simplement parce que la musique, pour lui, n’était pas un métier. C’était une partie de sa vie, au même titre que la poésie ou la littérature. Il y a deux décennies, il disait ceci : "J’ai surtout voulu me faire plaisir en écrivant les musiques que je voulais, quand j’en ai eu envie. Je me suis laissé aller. S’il existe un public pour me suivre sur tous les chemins que je prends, même les plus caillouteux, quel bonheur ! Sinon… je peux encore marcher tout seul !"

Jean-Jacques Dufayet

Derniers disques :
Diblye (Next Musique) 1997
Travail au noir (Newt Musique/Sonodisc) 1997
Works 63-94 (Original Music)1995