La pop solaire de Truffaz
Féru de nouvelles terres musicales, le trompettiste de jazz Erik Truffaz, principalement connu pour ses atmosphères drum’n bass, oriente son dernier opus vers la pop avec, à ses côtés, les chanteurs Nya, Christophe et Ed Harcourt. Des refrains à fredonner sur la route, en voiture, des airs à retenir, inspirés par le souffle de la "ville penchée" au-delà du cercle polaire : Arkangelsk.
Arkhangelsk
Féru de nouvelles terres musicales, le trompettiste de jazz Erik Truffaz, principalement connu pour ses atmosphères drum’n bass, oriente son dernier opus vers la pop avec, à ses côtés, les chanteurs Nya, Christophe et Ed Harcourt. Des refrains à fredonner sur la route, en voiture, des airs à retenir, inspirés par le souffle de la "ville penchée" au-delà du cercle polaire : Arkangelsk.
Musicien génial et éclectique, trompettiste touche-à-tout, Erik Truffaz nous a habitués dès l’origine à d’audacieuses escapades musicales. Nulle étiquette ne saurait coller à celui que l’on qualifia si souvent d’"héritier de Miles Davis" : il s’en amuse, les arrache, jongle avec les styles, du drum’n bass à l’électronique, du hip hop au rock, ficelés par un "jazz" qui les bouleverse et les met en péril.
Au fil des années pourtant, sa trompette a défini un territoire original. Un son reconnaissable, une manière particulière d’aborder les accords, les harmonies et les rythmes, ont construit une carte d’identité forte, un contour dans lequel il a élaboré ses échappées. Après une incursion vers l’Orient avec la formation Ladyland (Saloua en 2005), Erik Truffaz a retrouvé le quartet originel de The Dawn (1998) et Bending the corner (1999)- Patrick Muller aux claviers, Marcello Giuliani à la basse et Marc Erbetta à la batterie- pour un album orienté pop.
L'euphorie de la pop
Interprétées par Christophe, Ed Harcourt et le rappeur Nya, avec lequel Erik Truffaz collabore de longue date, les chansons représentent ainsi plus de la moitié des titres sur ce Arkhangelsk. "L’album se rapporte au format d’une musique qu’aime l’ensemble du groupe : la pop, confie-t-il. J’ai été connu dans une ambiance musicale de drum’n bass mais cette esthétique ne représente qu’une partie de nos influences". Le disque provient donc d’une envie revendiquée du quartet, admirateur de Radiohead, mais aussi d’un fantasme du trompettiste : "L’un de mes vieux rêves était de rouler en voiture sur fond d’une musique pop qui soit la mienne. Au volant, j’écoute Souchon, les Rolling Stones, Thom Yorke, ou encore les chansons de Stevie Wonder : une autoroute musicale ! Mais ce sont surtout les refrains qui me font vibrer. Ils changent la vie pendant quelques minutes. Pourquoi Polnareff gagne-t-il mille fois plus de fric que les autres ? Parce qu’il fait mille fois plus rêver les gens ! C’est un médicament, qui rend euphorique. Lorsque j’écoute Les mots bleus de Christophe, je me sens mieux. Les refrains constituent l’essence de la musique occidentale, très fortement appuyée sur un déroulement harmonique. Reste que composer un thème, efficace et hors des sentiers battus, demeure une tâche extrêmement difficile". C’est à ce challenge, donc, que se frotte Erik Truffaz, avec des chansons composées par chacun des membres du groupe.
Le choix des chanteurs s’est effectué naturellement. Erik Truffaz avait déjà joué sur scène avec Christophe. Quant à Ed Harcourt, le coup de foudre s’est imposé lors d’un concert au New Morning en hommage à Chet Baker : "C’est le meilleur chanteur anglais avec lequel j’ai joué. Doté d’un talent exceptionnel, il possède la trempe d’un Bono ou d’un Sting". Toutefois, le rapport musical se révèle différent selon les chanteurs : "Les voix de Nya et de Christophe se fondent dans l’orchestration. L’attitude sur scène de ce dernier, le timbre aigu de sa voix de velours, se rapproche d’un instrument de musique. En revanche, Ed Harcourt, sorte de O’malley des Aristochats, prend beaucoup de place. Sa voix se pose, très large et colorée d’infinies nuances. Les compositions doivent s’articuler autour de son chant, et s’y adapter."
Voici les difficultés rencontrées par Erik Truffaz : trouver un équilibre entre la trompette et le chant, conserver l’harmonie musicale entre les membres du quartet et justifier commercialement ce disque "pop" réalisé par un trompettiste, reconnu avant tout par son jeu sur l’instrument. "Les contraintes étaient les suivantes : comment compose-t-on un morceau pop ? Quelle longueur pour le refrain ? Comment se positionne la trompette ? A quel moment intervient-elle et de quelle manière ? L’une des recherches stylistiques sur les chansons se posait au niveau technique. Nous ne souhaitions pas perdre notre identité, lisible par exemple dans une rythmique élaborée et qui décolle. J’ai ainsi mis des mois avant de trouver ce qu’allait jouer la batterie dans Red Cloud".
Des constructions chimériques
L’autre moitié des titres se dispense de chant et s’installe dans la lignée des compositions précédentes de l’artiste. "Si l’on avait sorti un album uniquement composé de chansons, dans les deux ans qui suivent, nous n’aurions pas pu jouer sans chanteur, car le disque reste une carte de visite." Loin pourtant d’être un album fourre-tout, l’unité s’éclaire sous le soleil d’une bourgade russe au-delà du cercle polaire, Arkhangelsk, dans laquelle ont joué plusieurs fois Erik Truffaz et ses musiciens.
Sur cette terre au bord de la mer blanche, il gèle à pierre fendre, et les habitations étranges penchent, rappel bien réel du travail de l’anarchitecte québécois Richard Greaves, qui construit des cabanes soutenues par des cordes de nylon, sorte de pied de nez aux lois gravitationnelles. "Notre musique est pareille à ces constructions chimériques. Petits riens sonores nés du chaos et liés par un fil invisible, elle nous transporte aussi au-delà de ce que nous voyons" explique Erik Truffaz. "Elle part du néant pour aboutir à une structure qui se désagrège ensuite. Elle provient du vide. Apparaissent des lambeaux qui requièrent parfois des années avant d’être maîtrisés. Puis surgit à nouveau l’éclatement. " Dans ces atmosphères polaires, tissées d’éléments fragiles et subtiles, s’affirme alors cet art de la "déstructuration". "Voici ce qui dans notre musique se rapporte au jazz : la liberté, et le démantèlement." Une étiquette qui n’enferme pas. Mais ouvre, au contraire, sur d’improbables horizons.
Eric Truffaz Arkangelsk (EMI) 2007
En concert le 19 au Printemps de Bourges et le 20 avril à la salle Pleyel à Paris