Mory Kanté acoustique
Oubliée l’étiquette "griot rock", désormais Mory Kanté joue la carte de l’acoustique, avec Sabou, un album où seuls les instruments traditionnels ont le droit de s’exprimer.
Rencontre avec un artiste qui occupe la scène world depuis une vingtaine d'années.
Seconde vie
Oubliée l’étiquette "griot rock", désormais Mory Kanté joue la carte de l’acoustique, avec Sabou, un album où seuls les instruments traditionnels ont le droit de s’exprimer.
Rencontre avec un artiste qui occupe la scène world depuis une vingtaine d'années.
Comment avez-vous vécu votre baisse de popularité après avoir atteint des sommets ?
Sur le plan professionnel, il peut y avoir des hauts et des bas. Mais le bas doit être très instructif, doit aider à trouver une force. De toute façon, déjà, ce n’est pas facile de survivre à la folie d’un succès planétaire, de garder la tête froide. Il faut être sacrément solide. Aussi, quand l’emballement autour de vous se calme, il n’y a pas lieu de se décourager. Je me suis même senti heureux, en paix. Les griots sont mentalement formés à tout vivre, tout affronter. Comme l’on dit chez nous: la solution est plus vieille que le problème.
Vous êtes né en Guinée-Conakry, de mère malienne et de père guinéen, dans une famille de griots. Vous avez commencé votre carrière à Bamako (Rail Band), vécu à Abidjan, puis vous êtes installé en France en 1984. Qu’est-ce qui vous a amené à quitter l’Afrique pour venir ici ?
Je suis venu d’abord afin d’enregistrer un album (qui s’appellera Mory Kanté à Paris). Une fois ici, j’ai senti qu’il y avait un potentiel pour moi, d’autant que j’ai été accueilli très chaleureusement par les communautés africaines qui m’avaient connu en Afrique. Mon premier concert à Paris, je l’ai donné cette même année, à la Mutualité. Dans la salle, le public était déjà très mélangé. Il y avait des Africains mais aussi beaucoup d’Européens. C’était le début de l’engouement pour la world music. J’ai été invité par Jacques Higelin à Bercy et ensuite un producteur de chez Barclay, Philippe Constantin, m’a fait enregistrer 10 Cola Nuts, suivi par Akwaba Beach en 1987.J’avais déjà fait une tentative pour m’installer en France, en 1982, maisje n’étais pas encore prêt et j’ai à cette époque beaucoup souffert de la solitude. Mon pays me manquait. Alors, je suis rentré.
Yéké Yéké reste-t-il votre plus grande fierté ?
Enregistré une première fois en 1984, ce titre, dans une version entièrement revue trois ans plus tard, pour l’albumAkwaba Beach, m’a propulsé au sommet de tous les hits-parades. Il n’empêche qu’il y a une vie après Yéké Yéké. Même s’il reste mon morceau fétiche, dont Leonardo di Caprio a utilisé un remix pour la B.O. du film The Beach en 2000. Actuellement, je n’ai rien à voir avec. Je peux donner un concert sans même le jouer. Je n’ai pas fait uniquement cela et Yéké Yéké n’illustre que l’un des aspects de ma démarche qui est la valorisation des instruments traditionnels.
Le chemin que vous aviez choisi pour mettre en valeur la kora était-il vraiment le plus judicieux ?
Que l’on apprécie ou pas la direction artistique que j’avais prise, il faut bien admettre que beaucoup de gens, partout, ont découvert alors la kora, la harpe-luth à 21 cordes, instrument des griots, maîtres de la parole et de la mémoire en Afrique de l’Ouest. Toute ma démarche depuis le départ a été de tendre vers la communication inter-culturelle et de positionner les instruments africains dans l’arbre de la musique universelle. Cela a marché. Maintenant tout le monde connaît le balafon ou la kora, qui sont parfois intégrés dans des groupes pratiquant une musique de fusion. Aujourd’hui la musique traditionnelle africaine est reconnue et appréciée dans le monde, alors pour moi, le but est atteint.
Quel est aujourd'hui votre propos à travers Sabou ?
Entièrement acoustique, son contenu vient rappeler que même si l’on m’avait surnommé "griot rock", je peux revenir à une esthétique plus proche de la tradition. D’ailleurs, ne l’avais-je pas déjà prouvé, quand en 1991, soit quatre ans après Yéké Yéké, j’avais présenté pour l’inauguration de la Grande Arche de la Défense à Paris un projet symphonique réunissant 130 griots musiciens et vocalistes traditionnels? Pour Sabou, j’ai voulu inventer à partir de la musique traditionnelle africaine, quelque chose d’inédit mais de compréhensible par tout le monde. Parfois, lorsque l’on écoute cet album, on croit entendre des nappes de clavier, alors qu’il n’y en a pas. L’amalgame de tous les instruments traditionnels donne cette impression. C’est comme un peintre qui, n’ayant pas de vert sur sa palette, mélangerait du jaune et du bleu pour en obtenir.
Mory Kanté Sabou (World Music Network / Harmonia Mundi) 2004
En concert à Paris les 19 et 20 octobre (Café de la Danse)