Lavilliers Americas tour
C'est à Saint-Domingue que Bernard Lavilliers a entamé le 13 mars dernier, en partenariat avec les Alliances Françaises et RFI, une tournée marathon qui le mènera, jusqu'au 10 avril, aux Etats-Unis, dans les Caraïbes et en Amérique latine. Premiers concerts et premiers émois sur l’île d’Hispaniola (République Dominicaine et Haïti)...
Le Stéphanois on the road again.
C'est à Saint-Domingue que Bernard Lavilliers a entamé le 13 mars dernier, en partenariat avec les Alliances Françaises et RFI, une tournée marathon qui le mènera, jusqu'au 10 avril, aux Etats-Unis, dans les Caraïbes et en Amérique latine. Premiers concerts et premiers émois sur l’île d’Hispaniola (République Dominicaine et Haïti)...
Saint-Domingue
"Je sais que la poésie est difficile à traduire, elle est comme la musique, elle se ressent, mais je vous demande de vous mettre sous le signe de l’Alliance, et de l’Alliance Française, dont la vocation est d’enseigner le français ici. Je demande à ceux qui comprennent d’essayer de traduire ce que je dis et surtout ce que je chante" demande Bernard Lavillliers en entrant sur scène. Silhouette massive, épaules carrées, pantalon de cuir moulant, anneau d’or éternellement vissé sur son lobe droit, Bernard Lavilliers entame sa tournée Americas par cette humble doléance, lors de son premier concert sur la partie est de l’île d’Hispaniola, aujourd’hui devenue la République Dominicaine, et donc totalement hispanophone. Sur les quelque 1.400 spectateurs venus l’applaudir, près de la moitié seulement comprend ses textes, mais la totalité de la salle se laisse rapidement conquérir par les quelques mots de portugnol (mélange de portugais, d’argot de rue et d’espagnol) baragouinés par le chanteur entre deux titres. Le public est vite embarqué par les rythmes et les mélodies de San Salvador, de La Salsa, des Mains d’Or ou de O Gringo.
Salsa, bossa-nova, rock ou reggae, Lavilliers aligne les chansons mythiques avec une décontraction et une générosité qui fait mouche. N’hésitant pas à fendre la foule et à passer le micro pour entonner "So O gringo qui nao fala brasilero", Lavilliers réchauffe vite le Teatro la Fiesta, la salle du plus grand hôtel de la ville, l’hôtel Jaragua, figée par l’air conditionné. Loin du cliquetis des jetons et des roulettes du casino que les spectateurs traversent pour accéder au Teatro, ils découvrent ou entonnent Mon Gestionnaire, El Fuego et le récent succès Les Mains d’Or, un hommage à la dignité des ouvriers d'usine licenciés à tour de bras.
"Je suis né dans une soupière de musique latine".
Le public dominicain connaît d’ailleurs quelques titres puisque ces dernières semaines radios et télévisions locales ont joué les chansons de Lavilliers. Pendant la conférence de presse organisée dans la médiathèque de l’Alliance Française de Saint-Domingue, les journalistes questionnent la signification de la poésie de Lavilliers et s’étonnent de la facilité avec laquelle notre voyageur-chanteur stéphanois (qui vit une partie de l’année au Brésil) réussit à intégrer à son rock populaire tant d’éléments étrangers : "C’est grâce à mon addiction aux voyages" répond-t-il. "Ce goût, je le dois sûrement à mon père car je suis né dans une soupière de musique latine, puisqu’il n’écoutait que ça et du jazz. Je ne suis pas un voleur, je m’imprègne des musiques car elles me font voyager et surtout je joue avec des musiciens étrangers comme Milton Nascimento au Brésil, Ray Baretto à Cuba, la section cuivre de Marley en Jamaïque..." analyse Lavilliers avant d’évoquer ses premiers voyages dans la Caraïbe, en Haïti, en Jamaïque, au Nicaragua pour interviewer le général Ortega pour la chaîne américaine NBC en mai 1988. Il évoque aussi les richesses musicales, la misère sociale, la mer et les terres inconnues...
Le jeune chanteur dominicain, Pavel, qui assure la première partie de Lavilliers, acquiesce : "Je vais t' applataniser, c’est-à-dire te rendre banane plantain, te rendre dominicain" lui lance-t-il en rigolant. Et c’est d’ailleurs le but de cette tournée organisée par les Alliances Françaises, sur l'initiative d’Olivier Pellenard, vice-président de l’institution à Washington : faire connaître la poésie et la chanson hexagonale, mais aussi susciter des rencontres et des échanges culturels entre musiciens français et étrangers. Le tout étant pour les artistes de s’adapter aux lieux et aux mœurs musicales, quitte à ce que les kilowatts, les éclairages et la puissance du Palais des Sports parisien ou des salles françaises où se produit Bernard Lavilliers, ne soient pas toujours au rendez-vous : "Je dirais que c’est une tournée racine, une tournée-roots pendant laquelle on redevient le groupe de rock qu’on était il y a vingt ans, prêt à tout pour jouer" précise Bernard, coincé à la frontière entre la République Dominicaine et Haïti, attendant sagement que la paperasse locale s’écoule lentement.
Au milieu des cris, des enfants, des ballots de vêtements colorés, des mendiants et des militaires assis autour d’une partie de dominos sur fond de merengue local, le chanteur poursuit : "Je pense qu’un artiste se doit de se mettre dans cette situation de temps à autres pour retrouver le jus. On ne peut pas faire ça tout le temps car la technique évolue et c’est aussi agréable de jouer dans de très bonnes conditions, mais ici au moins on se ressource."
Haïti : "Je suis très ému d'être ici".
Avec quatre musiciens et un régisseur, l’équipe Lavilliers de la tournée Americas fonctionne au quart de l’effectif habituel. "Tout est compté, sourit Lavilliers, il ne faut pas que le chanteur picole jusqu’à 4 heures du matin ni que les musiciens soient malades... C’est un défi tous les soirs..." Après avoir passé cette fameuse frontière entre une République Dominicaine en plein développement et le no man's land haïtien, le bus Lavilliers repart à l’assaut des collines de Port-au-Prince. Presque quinze ans que Bernard n’a pas foulé le sol de ce pays presque oublié, dont les statistiques économiques semblent faire oublier sa richesse culturelle. "Je suis très ému d’être ici, confesse-t-il. La première fois que je suis arrivé, personne ne pensait qu’on pourrait enregistrer. Grâce à un ami journaliste à Radio Métropole et aux frères Widmaer, on a finalement pu graver ici le titre Haïti Couleur. Ça reste un grand souvenir pour moi. Etre ici prouve que je n’oublie pas ces artistes, parce que les gens qui vivent ici ont la sensation d’être abandonnés par le monde. C’est juste une marque de respect pour moi, mais il faut que je revienne plus longtemps."
Comme en République Dominicaine, Lavilliers entame Sertao : "Le temps s’est arrêté en plein midi, il y a déjà longtemps (…) un soleil ivre de rage tourne dans le ciel et dévore le paysage de terre et de sel.". Etrange écho brésilien dans cette capitale haïtienne dévastée par la crise, mais "les Haïtiens sont tous des Brésiliens" précise une spectatrice. "Je sais qu’en écoutant ce titre, les Haïtiens comprennent, assure Bernard. Quand on regarde le côté pelé de la topographie et de la vie en général, c’est pareil. Tout se mêle : violence de la sécheresse, de la faim, de la misère intellectuelle et de la richesse culturelle, la révolte… Les gens savent de quoi je parle."
Après avoir encore veillé tard pour écouter les Tikoka, troubadours haïtiens, puis le groupe Boukman Expérience qui mêle vaudou, reggae et musique racine, Lavilliers se prépare à affronter d’autres destinations familières : le Nicaragua le 17 mars et la Jamaïque le 19 puis les Etats-Unis où les fraîches relations franco-américaines actuelles pourraient avoir quelques retentissements au sein d'une tournée sur fond de guerre en Irak…
Suite des événements la semaine prochaine sur le site RFI Musique.