JAMAÏCAN SUNRISE 2003

Pour la deuxième année consécutive, sur le papier comme dans les champs, le premier festival de reggae de France a fait carton plein pour un public venu des quatre coins de France et d’Europe communier avec les pointures de la scène jamaïcaine et hexagonale. Pour accueillir les quelques 22. 000 fans à Bagnols sur Cèze, petite ville du Gard, le festival a dû se professionnaliser et débaucher quelques intermittents, prêts à laisser le festival se dérouler.

Le reggae prend racine dans le Gard

Pour la deuxième année consécutive, sur le papier comme dans les champs, le premier festival de reggae de France a fait carton plein pour un public venu des quatre coins de France et d’Europe communier avec les pointures de la scène jamaïcaine et hexagonale. Pour accueillir les quelques 22. 000 fans à Bagnols sur Cèze, petite ville du Gard, le festival a dû se professionnaliser et débaucher quelques intermittents, prêts à laisser le festival se dérouler.

Coincés dans leur baraque Algeco, entre cartons, fils, téléphones, fax qui pépient et vapeurs d’encens et fumée, Luc, David et Marco, gèrent les arrivées au Jamaïcan Sunrise. Celles des quelques 250 artistes attendus. "Il est 23 heures. Tu dois foncer chercher de Johnny Clarke à Avignon" précise David à Marco, un des 200 bénévoles engagés sur ce festival dédié à la culture jamaïcaine, rasta et reggae. L’an dernier, ils n’étaient que 35. Pendant les cinq jours de la manifestation, les jeunes chauffeurs, arborant dreadlocks et pétards au bec pour la plupart, vont effectuer de nombreux allers-retours avec à leur bord, des célébrités jamaïcaines telles que Robbie, Michael Rose, Barrington Levy ou Pablo Moses, mais aussi leurs homologues francophones tels de Mc Janik, Daddy Mory, Brahim ou Lady Sweety.

Comme la majorité des bénévoles présents, ils sont fans de reggae et la perspective de côtoyer leurs chanteurs préférés tout en écoutant de la musique suffit à leur peine. Ils sont à peine plus âgés que la co-organisatrice de la manifestation qui n’a que 22 ans. Emily a réussi à convaincre Brigitte, sa mère de s’embarquer dans ce défi, de plus en plus sérieux puisque l’édition 2003 vient de réunir environ 22.000 personnes(les chiffres sont difficiles à établir) tandis que la première avait convaincu 16.000 personnes de poser tentes et enfants dans ce village méridional de 9.000 habitants. "J’écoute du reggae depuis toujours raconte Brigitte, un peu débordée qui travaille aujourd’hui à plein temps toute l’année sur le festival. Ça a été un coup de cœur. J’ai vite eu envie de suivre ma fille. Beaucoup de gens ont été surpris que l’on organise un festival d’une telle ampleur alors qu’habituellement les organisateurs commencent par monter quelques concerts avant de passer à la vitesse supérieure".

Cette année, la vitesse supérieure est bien enclenchée et l’organisation doit suivre. Le site a été classé "grand rassemblement", avec plus de 6.000 personnes attendues chaque soir. Le budget du festival est désormais de 244.000 euros, à la charge des deux organisatrices structurées sous le nom de société Kaya Production. La mairie de Bagnols-sur-Cèze se charge néanmoins de mettre à disposition huit agents techniques et d’assurer l’hébergement des milliers de campeurs armés de drapeaux vert-jaune-rouge, d’esprit positif, de sonos gigantesques, et autres provisions écolos. Bien avant le coup d’envoi du festival, les sound systems installés dans les divers campings improvisés distillaient déjà du reggae.

Les rues de la ville, des dizaines de boutiques et la mairie se sont donc parées de vert-jaune-rouge, de portraits de Marley, du Lion de Judah et d’autres symboles reggae et rastas. Avant et après les concerts, la ville vit son Jamaïcan Sunrise "off". Sur la place principale, le Café de Paris propose de déguster une entrecôte jamaïcaine au milieu d’arbres enrubannés de vert-jaune-rouge, pendant que le camerounais-breton Papa Ras prend les platines et pimente le Pastis des habitués de "Jah RastafarI" bien sentis! Une grange a été transformée en studio d’enregistrement temporaire de "dub plates" (ces morceaux spécialement conçus pour les sound system) et les artistes jamaïcains défilent pour vanter les mérites de ces boîtes de nuit ambulantes qui pullulent en France. "Les habitants de Bagnols sont vraiment contents dans l’ensemble. Ils apprécient la politesse et le pacifisme de ces festivaliers à la coiffure étonnante" souligne M.Pouradier-Duteil, adjoint au maire délégué à la culture qui se dit prêt à afficher un portrait de Bob Marley dans son bureau de la mairie, "entre la Callas et Pavarotti".

Pour permettre aux habitants de découvrir la culture rasta et jamaïcaine, le festival s’est ouvert par une conférence un peu improvisée suivie d'un film car comme le souligne M.Pouradier-Duteil, le but n’est pas de faire quelques concerts mais bien de construire un pont entre la Jamaïque et la France. Emily et sa mère ont d’ailleurs été plusieurs fois en Jamaïque et se sont notamment assuré le soutien de l’Ambassade de France à Kingston en ce sens.

Pour Mc Janik, un des pionniers de la scène reggae en France. Le succès du festival n’est pas une surprise. "Cela fait des années que l’on essaye de développer ce son par des concerts mais surtout grâce aux sound systems. Le public est là, ce n’est pas un hasard" affirme le Mc tout juste arrivé du de la Caraïbe et du Pacifique où il a joué en Nouvelle-Calédonie (avec Neg’ Marrons, Pierpoljak, Baobab, Tonton David …) et à Tahiti devant plusieurs milliers de personnes.

Pendant que, à quelques kilomètres, le Larzac s’apprête à accueillir une gigantesque manifestation anti-mondialisation, Bagnols et son reggae semblent toutefois peu engagés dans les combats de l’été dont celui des intermittents du spectacle. Il faut dire que rares sont les artistes reggae francophones à bénéficier de ce statut. Alors que les Jim Murple Memorial ou Big Mama viennent de signer la pétition contre le récent protocole d’accord, Daddy Mory, Brahim ou Little Dan, Parisien d’origine martiniquaise, nouveau venu sur la scène reggae, se disent concernés et solidaires des intermittents, mais jugent que le combat est ailleurs, plus du côté de la spiritualité. La prestation de Mory sera toute de même suivie d’un discours en solidarité aux intermittents. Pour l’ex-Raggasonic"le reggae doit revendiquer, mais on connaît le gouvernement actuel.D’autres l’ont fait avant et les lois sont passées quand même. On vient ici prôner la paix et l’unité, comme dit Bob Marley, il faut une révolution pour trouver une solution". Les revendications se concentreront plutôt autour du droit des femmes (Lady Sweety et Daddy Mory), du droit à l’éducation (Warrior King), à fumer de la Ganja librement (Mory, Janick,, etc… ) et du droit au retour en Afrique.

Pour Janik, chanteur au "statut un peu flou mais pas intermittent", le reggae ne doit pas être de droite ou de gauche, mais proposer une alternative. "C’est une musique qui vient des rythmes Nyabinghi appelant à lutter contre l’oppresseur. Les gens qui écoutent et jouent du reggae prônent le spirituel, alors que la politique ou les revendications nous rapprochent du matériel. La liberté est encore à acquérir mais l’Eternel est là"...