Geoffrey Oryema
Avec "Spirit", son nouvel opus, l'artiste ougandais souhaite en finir avec une page de son histoire. La douloureuse aventure d'un aristocrate qui a fui Kampala, en empruntant le coffre d'une voiture amie, quelques temps après l'assassinat de son père par le régime d'horreur du dictateur Idi Amin dada.
Maturité oblige
Avec "Spirit", son nouvel opus, l'artiste ougandais souhaite en finir avec une page de son histoire. La douloureuse aventure d'un aristocrate qui a fui Kampala, en empruntant le coffre d'une voiture amie, quelques temps après l'assassinat de son père par le régime d'horreur du dictateur Idi Amin dada.
Réfugié en France en 1977, il met vite de côté ses talents de comédien-dramaturge pour arpenter les marches du show-biz musical. Sa voix porte mystérieusement. Ses ballades tragiques accompagnées au piano à pouce (lukémé) surprennent. Mais il faudra attendre le mythique concert du stade de Wembley, en soutien à Nelson Mandela, pour que les maisons de disques se laissent happer par son génie créateur. Brian Eno produit alors son premier album, "Exile" pour le label de Peter Gabriel (Real World). Le succès suivra assez rapidement. En France par exemple, "Yé yé yé", repris en générique d'une émission grand public sur la deuxième chaîne de télévision, force l'estime dans les chaumières.
A tel point que Geoffrey aura beau faire ensuite, il restera, malgré deux autres productions discographiques, prisonnier du concept "Exile". Un succès-fardeau pour un homme qui considère ce premier pas comme une psychothérapie censée le délivrer de ses vieux cauchemars. Un homme qui a besoin de montrer au public son autre visage: une image de douceur et de révolte mélangées, qui malaxe les influences rock jusqu'à les soumettre à la furieuse inspiration des esprits atcholi (langue et culture d'origine) qui l'habite. Une image qui s'impose d'elle-même sur son dernier opus, sorti depuis le 17 janvier chez Musisoft. Nous lui avons posé quelques questions, à la veille de son passage le 11 mars à La Cigale à Paris.
RFI Musique : Que dire pour exprimer la quintessence de ce nouvel album?
Geoffrey Oryema : Les précédents albums correspondent à une période de ma vie, sur laquelle j'ai fait un trait. Beaucoup de gens, c'est vrai, sont restés bloqués sur "Exile". Cet album était directement lié à l'époque où j'étais encore réfugié. Une époque vraiment noire… où j'avais besoin de parler, de purger mon chagrin. C'était le cas à mon arrivée en France. Au début, c'était vraiment difficile. Pour moi, c'était la fin du monde. Je ne savais pas comment m'en sortir. Tu débarques, tu habite dans un foyer d'immigrés, tu es réfugié politique, avec des conditions de vie qui ne sont pas évidentes… Bon j'ai craché tout ça dans "Exile". Mais aujourd'hui, c'est très loin tout ça. "Spirit", c'est vraiment un album pour dire "voilà le réfugié qu'était Geoffrey avec toutes ces chansons mélancoliques, a changé. Il s'est réconcilié avec la vie. C'est un nouveau Geoffrey qui arrive". Sur la pochette de l'album justement, je voulais cette image d'un guerrier masaï, très déterminé pour dire "voilà… je vais bien. J'ai tourné la page. Je pars sur une autre base. Ce n'est plus le réfugié, ni l'homme triste qui vous parle. C'est fini tout ça". Même si dans cet album il y a des titres qui paraissent tristes, comme cet hommage que je rends à mon frère, décédé en 1989. En fait, ce n'est pas du tout triste pour moi. C'est gai. C'est une façon de lui dire au revoir, tout en rappelant que son esprit est toujours là. "Spirit" est ce qu'on appelle un album mature. Il m'a fallu du temps pour y arriver… Mais dans cet album, on sent la maturité au niveau musical et au niveau des textes.
Le titre qui résume l'ensemble de l'album?
C'est "Spirit of my father". Depuis l'assassinat de mon père, c'est la première fois que j'arrive à voir les choses avec beaucoup de recul. Mon père avait travaillé dur pour le gouvernement ougandais. Il avait du succès. Il a été assassiné tout simplement parce qu'il était très populaire. Certains, au sein de la population, le voyaient même président. Aujourd'hui, je repense à ça comme si je devais suivre ses pas. J'analyse ensuite mon propre succès. Je fais le lien. Et plus je monte les escaliers, plus je sens que j'ai d'énormes responsabilités à tenir. En même temps, je me sens bien dans ma peau parce que je crois que son esprit me protège. Cet esprit inspire l'ensemble de l'album. Tout comme ces histoires mystérieuses et surnaturelles que l'on me racontait quand j'étais petit. C'est pour ça que je ne voulais vraiment pas revenir avec un album comme "Exile". Je voulais changer radicalement de sujet. Je voulais que les esprits soient le fil conducteur de cet album.
Un album au rythme plus enlevé?
Avant de rentrer en pré-production, Rupert Hine, le producteur et moi, on s'est dit qu'il fallait que cet album soit "up tempo", qu'il soit joyeux, que les gens puissent danser, parce que je pense avoir assez parlé de tristesse sur les précédents albums. Maintenant, il faut entrer sur les pistes de danse. Ensuite, lui a voulu rajouter des éléments un peu groovy. Quand il a écouté la reprise des Talkings Heads ("Listening Wind"), il a tout de suite pensé à leur album, "Remain in Light", et m'a dit: "on ne va pas copier. Mais on va essayer d'aller dans cette direction-là". Le résultat me plaît bien.