MARIEJOSE ALIE

Paris, mardi 16 novembre 99.- Sorti en juillet dernier au Antilles, "Zambouya" est le troisième album de la chanteuse martiniquaise Marijosé Alie. Douze titres métis qui lui ressemblent, imprégnés des musiques des Caraïbes, du créole guyanais au compas et des incursions dans le jazz et la batucada brésilienne.

Contre le racisme

Paris, mardi 16 novembre 99.- Sorti en juillet dernier au Antilles, "Zambouya" est le troisième album de la chanteuse martiniquaise Marijosé Alie. Douze titres métis qui lui ressemblent, imprégnés des musiques des Caraïbes, du créole guyanais au compas et des incursions dans le jazz et la batucada brésilienne.

Vous menez de front votre poste de directrice régionale de RFO Martinique et votre métier d'artiste. Dix ans après votre dernier disque "Gaoulé" et des scènes en pointillé, l'envie de revenir sur la scène discographique a pris le dessus ?
Ce n'est pas un retour mais une continuité, j'ai toujours fait de la musique et cela depuis que je suis née. Ma mère était professeur de piano et j'ai donc fait mes premières gammes dans le ventre de ma mère. Je continue d'écrire et de composer, disons qu'il m'était difficile de trouver le temps pour enregistrer. Car j'ai effectivement un emploi du temps chargé puisque je dirige une équipe de 150 personnes au sein d'une télé, de deux canaux et d’une radio qui tourne 24 heures sur 24. En trouvant le temps, on a pensé qu'il était bon de faire une image arrêtée, et de réunir ces compositions sur "Zambouya".

Votre troisième album "Zambouya" dont le titre extrait de l'album marche déjà très fort aux Antilles, est une chanson contre le racisme.
C'est l'histoire d'un lézard vert qui tombe amoureux d'un lézard blanc : "Mais tu vois bien que ce n'est pas possible, nous ne sommes pas de la même couleur" lui répond le lézard blanc. C'est une chanson contre le racisme et Zambouya, c'est que tout va bien puisqu'ils se mélangent. Zambouya, c'est aussi la contraction entre Zambdoli (lézard vert) et Mabouya, sorte de lézard caméléon blanc (margouillat).

Revenons sur votre premier succès "Caressé moin", enregistré avec le groupe Malavoi en 1983.
Mon premier disque a été une surprise, je l'ai fait par hasard. A l'époque, je faisais de la musique comme on boit et comme on mange, avec les copains de Malavoi et de Fal Frett, mais je composais déjà. Et puis il manquait un titre à Malavoi, je leur ai donné cette chanson, composée des années auparavant en Métropole lorsque j'étais journaliste à FR3 Bourgogne ! Chez Barclay, lorsqu'ils ont entendu ce titre, ils ont voulu en faire une chanson plus moderne. C'est cette version qui a connu un tel succès.

L'une des plus belles chansons (sinon la plus belle), est "Mahogany", une chanson d'éternité dédiée à Paulo Rosine, pianiste de jazz et ex-leader de Malavoi, aujourd'hui disparu..
Une chanson d'éternité mais aussi d'amour, de celles que l'on a envie de dire aux gens qu'on a aimé et qui s'en vont. "Mahogany" est un arbre centenaire qui nait avant l'homme et qui meurt bien après lui. Je l'avais écrite pour qu'on la chante ensemble avec Paulo, ce qu'on a fait une fois en Guadeloupe ensemble, puis il est tombé malade.

Le groupe Malavoi qui a donné un nouveau souffle à la musique martiniquaise et dont la formation, à géométrie variable, a vu défiler une soixantaine de musiciens en trois décennies...
Une véritable institution chez nous et dont la musique est puisée dans les creusets des musiques occidentale et africaine. Même si la formation a évolué au fil des années, les compositions de Malavoi sont toujours très racines. Ils sont les seuls à faire ce type de musique qui mélange le violon, les percussions, le piano. Le violon, par exemple, était l'instrument des plantations, joué par les esclaves qui récupéraient les menuets, valses et autres tangos amenés par l'Occident et qu'ils réarrangeaient à leur rythme et à leur sensibilité. Cela a donné cette musique folle qui faisait danser les blancs des plantations, les noirs et les métis. J'ai retrouvé cela lorsque je suis allée, en reportage pendant la grande famine, au Brésil, dans le Nordeste, près de Fortaleza, où l'on joue la même musique, chantée en portugais.

Une langue que l'on retrouve dans "Dialo", une réflexion sur l'esclavage?
C'est vrai que nous ne nous sommes jamais vraiment rencontrés, nous avec les Brésiliens, les Cubains, ou les Dominicains. Du fait des résurgences coloniales, le lien était plutôt entre Paris et Fort-de-France et entre La Havane et l'Espagne. Et pourtant, c'est un grand moment de joie, lors de mes voyages au Brésil ou à Cuba, de nous retrouver autour de la même musique, de savoir qu'il existait d'autres gens qui me ressemblaient, que nous faisions partie de la même famille et que nous avions en commun une fraternité de métissage, une manière de positiver ce qui a été une histoire relativement atroce et pas très reluisante pour l'humanité.

Une musique qui ressemble à un vécu, avec une revendication identitaire... et familiale où l'on retrouve les voix de votre fille et de votre compagnon ?
On fait de la musique ensemble et cela donne une couleur et une chaleur qui signifie véritablement quelque chose pour moi, une musique qui me ressemble énormément, avec des liens d'amour, de revendication identitaire, bien sûr, de militantisme aussi, même si je n'aime pas trop le mot. Militant, on devrait tous l'être sinon on ne fait que passer en silence. Peut-être aussi à cause de l'histoire que l'on trimbale car nous sommes les premiers cobayes de ce que peut être l'humanité de demain. Ce que font aujourd'hui le Concorde, l'Airbus ou Boeing pour la rencontre entre les peuple et les races ; l'histoire nous a un peu contraint à le faire et nous sommes essentiellement métis, avec du sang chinois, indien, africain ou asiatique.

Une alchimie aussi porteuse d'une revendication?
La grand-mère de mon père était chinoise, la grand-mère de ma mère était esclave sur une plantation, son grand-père était un béké, un colon, qui avait assouvi son besoin d'amour, (ou de reproduction...) dans les champs de canne... Bien qu'il y ait dû avoir eu des histoires d'amour, certainement difficiles à vivre à l'époque. Lorsque l'on arrive à faire l'alchimie de tout ça, oui nous sommes porteurs de quelque chose qui peut-être une revendication. Même s'il y a un côté un peu baba cool, l'amour, la paix, moi j'y crois. Je suis toujours partante pour les défis, on n'est là aussi pour ça, ne pas rester le nez dans le guidon et penser qu'il y a des gens qui ne sont pas tous nés du bon côté de la barrière.

Un album métis qui traverse les musiques des Caraïbes et flirte aussi du côté du jazz, de la salsa et des rythmes de la batucada brésilienne...
Arrêtons de mettre les choses dans les tiroirs. Lorsque je compose une musique un peu biguine, un peu brésilienne, un peu reggae, c'est moi mais ça on le porte tous au Antilles. Les Antilles, ce n'est pas que le zouk ! La musique fondamentale, c'est le belair ou le gwoka, l'ancêtre du rap. Et d'ailleurs, il y a de plus en plus de rappeurs aux Antilles qui chantent en créole. Elle est là, la musique du monde. On ne connait de la musique antillaise que la partie visible de l'iceberg, on ne peut la réduire au seul zouk (où mis à part les grands maîtres comme Kassav’, le reste est assez médiocre). La salsa aussi appartient à la culture des Antilles, j'en veux pour seul exemple le film de Wim Wenders, "Buena Vista Social Club" qui fait un carton là-bas tout simplement parce que cette musique a toujours fait partie intégrante de notre univers musical.

L'étroitesse du marché musical aux Antilles n'oblige t-il pas à un rendement immédiat ?
Il est certain que le musicien antillais ne peut pas vivre de sa musique, la tendance est donc de faire du commercial et pour beaucoup cela se résume au zouk facile, le zouk au mètre comme je l'entends chez moi à la radio. Le zouk-love par exemple, au tempo lent (et qui se danse sur un carreau), et dont les textes sont hallucinants de bêtise, et pourtant il est joué par des musiciens supers. On se mord la queue dans cette histoire car on sait que commercialement le zouk-love marchera tout un été, qu'il se vendra à 2 ou 3 000 exemplaires, l'équivalent d'un énorme truc en France métropolitaine. Pourtant il existe des artistes comme Malavoi bien sûr mais Kali, le groupe Akiyo et puis il y a des voix superbes comme celle de la chanteuse Angie qui a une dimension internationale mais qui s'enferme dans une musique minimum. Hélas, la musique un peu plus sophistiquée on la fait pour nous, et entre nous.

Vous aimez chanter en créole, l’utilisez-vous aussi lors de vos réunions de rédaction à RFO ?
Vous savez, le créole est très poétique, c'est une manière pudique de dire les choses, : en créole, le soleil ne se couche pas, il tombe dans la mer... Il y a une symbolique du créole qui est belle car elle laisse la place à l'imaginaire, c'est une langue un peu secrète dans laquelle chacun y a mis ses fantasmes, le français dégurgité par des gosiers africains, puis récupéré par des gosiers blancs on peut y mettre beaucoup de choses, le dit et le non dit. C'est aussi une vraie langue de communication, ne serait ce que dans l'intonation qui traduit l'humeur, un état d'esprit, une violence, une façon d'offrir les choses, à l'autre de les recevoir ou de prendre ses distances. A RFO par exemple, pendant les comités de direction, on commence une phrase en français et on la termine en créole, souvent les anecdotes sont en créole, on gomme ainsi les hiérarchies avec la connivence de la langue.

Pascale Hamon

Zambouya (WEA/Warner)