Autour de Lucie

Le groupe de Valérie Leulliot, qui vient de sortir Faux mouvement (chez Le Village Vert-Sony), incarne parfaitement notre époque et ses sentiments. D'autant plus que la palette sonore a subi un fort virage acoustico-électronique.

Le bel aujourd'hui

Le groupe de Valérie Leulliot, qui vient de sortir Faux mouvement (chez Le Village Vert-Sony), incarne parfaitement notre époque et ses sentiments. D'autant plus que la palette sonore a subi un fort virage acoustico-électronique.

«Nous avons tous eu la même envie au même moment. Après des arrangements directs, spontanés, nous voulions quelque chose de plus réfléchi.» Et voici comment naît un des meilleurs albums français du moment, et le meilleur d'Autour de Lucie. Faux mouvement ressemble aux filles de trente ans d'aujourd'hui, sensibles et déterminées, orgueilleuses mais douées de tendresse. On est assez loin, finalement, des débuts discographiques du groupe, il y a cinq ans, avec guitares à l'anglaise et questions torturées. «C'était simple: basse, batterie, guitare», dit Valérie Leulliot, chanteuse d'Autour de Lucie et auteur d'à peu près toutes les chansons.
Au commencement était une jeune femme, fille d'un célèbre journaliste de télévision et d'une star de la radio. «Une enfance assez solitaire, avec souvent un casque sur les oreilles. Je n'ai pas de frères et soeurs, j'allais dans une école qui n'était pas mixte. Puis j'ai avancé les yeux bandés, de boulot en boulot, de déception en déception. Quand je me suis jetée dans la musique, je n'avais pas vécu grand chose.»

Elle ne veut pas devenir chanteuse accompagnée de musiciens, mais veut d'emblée vivre une expérience de groupe. Autour de Lucie se construit peu à peu, de rencontres et du désir de jouer fort des chansons d'instinct. Le premier album, L'Échappée belle, sort en novembre 1994, et Immobile en mars 1997. Les guitares électriques sont au premier plan, le groupe multiplie les tournées. «L'envie nous est venue de faire un disque moins spontané», dit Valérie Leulliot. Le groupe décide de retourner à l'école et, pendant des mois, travaille à se construire un savoir-faire et une bibliothèque de sons électroniques.
C'est avec Ian Capple, qui a produit le magnifique disque Fantaisie militaire d'Alain Bashung, qu'Autour de Lucie enregistre Faux mouvement. Un peu partout, Valérie Leulliot et ses camarades sèment des grésillements, des sons étranges, des rythmiques synthétiques, des ondes étranges. Un orchestre les accompagne, les guitares sont le plus souvent débranchées. Ian Capple, en rencontrant Valérie Leulliot, la voit en chanteuse des années 60. Elle aussi.
Elle s'invente un chant d'une précision et d'une justesse fascinantes : elle énonce des états d'âme, contemple l'époque, regarde de petits instants réels... Chez elle, aucune des passions de vertige et des performances vocales très à la mode. Elle a la gravité d'une Françoise Hardy mais sait aussi bien consoler que la douce Catherine Sauvage, tout en incarnant parfaitement son temps. «Quoi de plus familier que des corps étrangers?», chante-t-elle sur un ton qui rassure : tout le profond paradoxe d'une femme heureuse mais les yeux grand ouverts.

Pourtant, Valérie Leulliot ne se veut pas chanteuse solitaire: «Je ne suis pas musicienne, je sais juste assez de guitare et de piano pour composer des chansons - ce sont des outils. Ce que je ferais toute seule ne serait pas écoutable. Je suis la moins bonne musicienne du groupe et, avec les bricolages que j'amène, on arrive à faire des chansons. J'apporte des impressions, que l'on travaille ensemble.»
Alors, s'être attelée à l'échantillonneur a été une révélation, lui a ouvert toutes les ressources de textures et d'inventions des nouvelles méthodes électroniques d'écriture des chansons, même si le processus est moins direct qu'aux temps du pop-rock binaire. «La question est de savoir si, une fois la chanson finie, l'émotion que l'on a eu en prenant la guitare pour en jouer le début, la première fois, est toujours là.»
L'enjeu émotionnel est central, urgent. «J'ai enfin trouvé un sens à ma vie», dit Valérie Leulliot avec la solennité des âmes droites. Et elle avoue: «Je ne sais pas si je ferai des concerts dans dix ou quinze ans - je ne le pense pas - mais je baignerai toujours dans la musique.» Une belle idée.