Dédé Ceccarelli, la force tranquille
André Ceccarelli, grand du jazz français vient de sortir un nouvel album, Golden Land au côté de la jeune génération, incarnée par la chanteuse Elisabeth Kontomanou et le saxophoniste David el-Malek. "Dédé" y glisse sur les pentes d’un jazz élégant et raffiné. A l'occasion de la sortie de Golden Land, RFI Musique revient sur sa carrière et ses motivations.
Nouvel album
André Ceccarelli, grand du jazz français vient de sortir un nouvel album, Golden Land au côté de la jeune génération, incarnée par la chanteuse Elisabeth Kontomanou et le saxophoniste David el-Malek. "Dédé" y glisse sur les pentes d’un jazz élégant et raffiné. A l'occasion de la sortie de Golden Land, RFI Musique revient sur sa carrière et ses motivations.
Avec lui, pas de "Monsieur" Ceccarelli ni même d’"André" mais un seul et unique surnom : "Dédé". C’est ainsi qu’on l’appelle dans le milieu. Tout le monde le connaît à tel point qu’on serait tenté de ne plus le présenter. Ce serait passer à côté d’un beau cours d’histoire sur le jazz. Car, à environ 60 ans, André Ceccarelli est une de ces références qui continuent de faire école pour bon nombre de musiciens.
Sa carrière est l’image d’une conviction, d’une passion démesurée pour une musique dans laquelle il a baigné depuis le plus jeune âge. "Nous sommes une famille de musiciens, mon père était batteur et mon fils est lui aussi batteur. La musique est inscrite en moi." Ado, il s’est tourné un temps vers la mécanique mais a très vite embrassé une carrière de musicien.
A 16 ans, il quitte Nice, sa ville natale. Direction : Paris, la capitale où tout est possible. Surtout au début des années 1960 où la France, au cœur des Trente Glorieuses, s’enrichit à vue d’œil. Une époque où le loisir n’est plus exclusivement une affaire de riches. Les orchestres abondent à la télévision, dans les dancings, dans les rues. "Il n’y avait pas de sentiment d’insécurité. Si on voulait être musicien et vivre de la musique, c’était possible. Ce n’est plus comme maintenant, les temps ont changé", concède-t-il. Dédé regrette que de nos jours les inquiétudes sur le statut de musicien deviennent plus importantes que la musique en elle-même. Il s’étonne quand, lorsqu’il anime une master class, de jeunes musiciens qui veulent faire carrière le questionnent sur le statut d’intermittent ou sur les Assedics. "Ce n’est pas un problème s’il n’y a pas d’Assedic. Quand on fait de la musique, on fait de la musique. Cela doit être un cadeau." Pour Dédé, le jazz reste un don du ciel qu’il veut honorer ici-bas, sur terre.
Variété
Pourtant son histoire montre que vivre du jazz n’a pas toujours été chose facile. Pendant longtemps, ce rêve est longtemps resté un horizon inaccessible. "Au début, j’ai fait beaucoup de variété comme avec Les Chats Sauvages, le fameux groupe à tubes de Dick Rivers". Pendant quinze ans, il a accompagné toutes sortes de groupe. "Beaucoup de twist et du yéyé, c’est ce qui était à la mode". Un bon souvenir ? "Oui, car j’ai appris à faire des efforts mais c’était pour moi difficile à assumer d’un point de vue artistique. A ce niveau, cela me déplaisait" confie-t-il, esquissant une légère grimace.
Puis il y a eu ces fameuses rencontres, lanternes sur un chemin où la persévérance constitue la règle d’or. Ceccarelli s’en souvient. "Je répétais avec des groupes dans des studios qui étaient également utilisés par le trio de Daniel Humair. A plusieurs reprises, il m’a laissé jouer avec ses musiciens : le violoniste Jean-Luc Ponty et l’organiste Eddy Louiss. C’était formidable ! Un vrai coup de pouce moral." Ces rencontres restent pour lui de véritables pépites d’or. C’est même ce qui fait, selon lui, le cœur du jazz qu’il définit comme une musique de rencontres qui doit s’attacher à privilégier le spontané.
Son dernier album Golden Land s’inscrit dans cette vision. "La musique est un sport d’équipe. Ce que j’aime, c’est la vie avec les autres. J’aime rassembler, j’aime la simplicité", explique-t-il, lui qui n’a jamais réussi à s’isoler longtemps. "Une fois, pendant quinze jours, j’ai cru que j’allais devenir fou". Ce disque est une rencontre entre la vieille génération et la jeune garde. D’un côté, des amis de longue date : le pianiste italien Enrico Pieranunzi et le contrebassiste Hein van de Geyn avec qui Dédé a joué dans le quartet de Dee Dee Bridgewater.
De l’autre, les nouvelles étoiles montantes du jazz français avec la chanteuse Elizabeth Kontomanou et le saxophoniste David el-Malek. "Ce sont des musiciens que j’admire et, pour moi, cet album est avant tout une rencontre humaine avant d’être une rencontre musicale".
Le jazz, hors mode
Enregistré en seulement deux jours sans répétitions, Golden Land est un album 100% brut. "Deux morceaux sont totalement improvisés, Free Three et Maybe Sunday Night. On a été tel quel sur l’album." Avec Dédé, le jazz, c’est derrière les baguettes que cela se passe. "Ce qui compte pour moi, c’est la musicalité, l’intelligence des sons que l’on produit avec nos instruments respectifs. Il faut se sublimer ensemble, c’est ce qui nous réunit". Mais cette quête n’est-elle pas aussi ce qui fait parfois passer le jazz pour une musique d’"intellos", éloignée du peuple ? Notre homme qui a croisé la route de Michel Legrand et d'Ennio Morricone reconnaît que le jazz est une musique "difficile". Et pour lui, elle doit le rester. "Le jazz doit continuer à faire rêver et à rester inaccessible. Cela lui permet de ne jamais être à la mode et donc de ne pas se démoder". L’argumentation est sans faille.
Profondément optimiste sur l’avenir du jazz, il s’insurge tout de même contre certaines dérives qui, selon lui, dénaturent cette musique. "Quand j’ai appris que St Germain avait obtenu une victoire du jazz, je n’ai pas trouvé cela logique. C’est la même chose pour le festival de jazz de Nice où désormais on trouve de tout dans la programmation …", soupire t'il.
Parrain de nombreux festivals, membre du Conseil d’administration de l’ADAMI, une société de gestion des droits d’auteurs, Dédé passe les âges sans perdre la fougue. Son rêve, confie-t-il, serait de créer un big band explosif dans l’esprit de Count Basie ou de Dizzy Gillespie. "Mais cela coûte cher…". En attendant, André Ceccarelli continue à servir le jazz. Il jouera dans le cadre du festival du Paris Jazz Big Band, prépare une tournée estivale en compagnie du Gipsy Project de Biréli Lagrène et Sarah Lazarus et devrait enregistrer un nouvel album à l’automne. Boulimique des sons, il parle de tous ces projets avec une sagesse et une sérénité déconcertantes. Il termine son café, regarde une affiche publicitaire pour un magazine d’art qui propose des "bons plans" pour investir. "C’est ridicule", déclare-t-il. Une poignée de main franche et sincère et il repart, d’un pas sur et rythmé, les mains dans les poches. "Je vais voir mon petit-fils", lance-t-il. Dédé, la force tranquille.
André Ceccarelli Golden Land (CamJazz/Harmonia Mundi) 2007
En concert le 26 et le 27 mai au Sunside, 60 rue des Lombards 75001 Paris