Marie Laforêt sur scène

Cela faisait plus de trente ans qu’elle ne paraissait sur scène que dans des pièces de théâtre : Marie Laforêt chante pour deux semaines au théâtre des Bouffes Parisiens, avec un répertoire impressionnant et beaucoup d’autodérision.

Le retour d’une grande dame de la chanson

Cela faisait plus de trente ans qu’elle ne paraissait sur scène que dans des pièces de théâtre : Marie Laforêt chante pour deux semaines au théâtre des Bouffes Parisiens, avec un répertoire impressionnant et beaucoup d’autodérision.

 

 “Quand on a vu Prince, Michael Jackson et Madonna, on ne peut pas être en concurrence, on est ridicule à mettre des fumées, des paillettes, des jeux de lumière. Donc, je fais au plus simple.” Quelques jours avant sa première au théâtre des Bouffes Parisiens, Marie Laforêt nous avait prévenus : pour son retour sur une scène parisienne, plus de trente ans après ses derniers concerts dans la capitale, elle ne jouerait pas des grands effets du show business.

Et, de fait, elle a dépouillé le plateau, qui laisse paraître le béton de la cage de scène, éclairée de quelques projecteurs discrets, avec dans un coin une échelle que grimpe une mince guirlande lumineuse. Cette nudité, cette sobriété touchante, avec une très subtile note de kitsch, c’est l’ambiance des variétés à l’aube des années 70, lorsque la chanson débarque dans les salles des fêtes de province, les casinos débarbouillés de leur or, les vieux théâtres fatigués.


Manières un peu folles

 

    Mais, lundi dernier, dans le beau vaisseau à trois balcons du théâtre créé par Offenbach lui-même, le parterre était prestigieux : un régiment de vedettes emmené par l’humoriste et animateur de télévision Laurent Ruquier (ami de Marie Laforêt, c’est lui qui l’a convaincue de remonter sur scène et qui produit le spectacle) : Muriel Robin, Pierre Perret, Guy Béart, Dave, Tony Marshall et évidemment le patron des Bouffes Parisiens, Jean-Claude Brialy. Dans ce théâtre, elle se sent bien, tant elle avoue avoir “horreur de ces salles de concert en fil de fer avec d’énormes baffles. Je trouve ça hideux, inhumain. Mais chanter sur une place de village, ça m’amuse.”

Car il y a chez la chanteuse une envie de plaisir. Elle arrive sur scène avec L’Ami Pierrot, petite merveille joyeuse vieille de trente ans, puis enchaîne sur Viens, viens, qui fit chavirer la France et tous les pays francophones en 1973. Les supplications de l’enfant à son père volage permettent de se rendre compte que sa voix n’a rien perdu de ses accents dramatiques dans les graves, ni de sa poignante raucité. Et, soudain, alors que la salle va basculer dans les pleurs, elle lance : “Vous ne croyez pas qu’on va pleurer toute la soirée comme ça ! Bonsoir !” Rires, acclamations, applaudissements. Et c’est Marie Laforêt qui écrase une larme.

Elle est semblable à ce qu’on sait d’elle par les récits des aînés, qui l’ont vue jadis, voix impressionnante, répertoire plus que solide et manières un peu folles. Elle s’en délecte, au demeurant, de sa réputation et de sa carrière d’irrégulière de la chanson : révélée au cinéma dans Plein soleil de René Clément en 1960, elle accède directement au firmament de la chanson trois ans plus tard avec Les Vendanges de l’amour. Elle a alors vingt ans. Puis, après quelques années de tubes et d’audaces, elle prend ses distances, peu charmée par la gloire et le succès. “Je me sens comme la punaise sur le dos du chien. Tout le monde est très impliqué, se donne à fond – le genre “chéri, tu ne peux plus m’appeler à partir de mardi parce que je rentre en studio pour six mois”. Mais qu’est ce qu’il font six mois en studio ? Moi, je suis une chanteuse populaire et je le revendique. Je ne suis pas un grand compositeur ou un grand écrivain, je suis seulement là pour qu’on partage des émotions qu’on n’oserait pas dire même à son meilleur copain. Et pour ça, la chanson populaire est le meilleur des supports. Dans Viens, viens, le sentiment de frustration, d’angoisse, d’injustice du gamin est vrai. Mais comment peut-il le dire ? La chanson, elle, le dit.”

Poésie du regard

 

 Aux Bouffes Parisiens, elle donne à entendre un répertoire d’une densité spectaculaire : Les Vendanges de l’amour, Maine-Montparnasse, Il a neigé sur yesterday, Mon amour mon ami, Une petite ville, Le Lit de Lola, La Tendresse, Qué calor la vida, Ivan, Boris et moi, un folk américain, une chanson yiddish, un tango argentin, une chanson napolitaine aux rappels… Ce concert rappelle combien de chansons Marie Laforêt a enregistrées, et surtout combien ont laissé leur empreinte sur le public, au cours d’une carrière singulière.

Pourtant, elle n’a jamais considéré le métier avec le sérieux que d’autres se plaisaient à y mettre. Et elle aime échapper à la possible componction sur scène, ose de petits gestes amusés qui dérident la mise en scène sobre et classique du spectacle. Mais elle sait les sortilèges de l’émotion toute droite, comme dans deux chansons peu connues, Bis Bald Marlène et Genève ou bien, extraites de son disque Reconnaissances, qui en 1993 avait rompu un silence de presque quinze ans. Et, avec leurs images émerveillées et leur poésie du regard, ces deux chansons-là sont de sa main.

Après les Bouffes Parisiens, elle voudrait partir en tournée avec ses quatre musiciens, avec le rêve de toucher les places de village et les petites salles perdues. Elle confie : “Tant qu’à partir et à dire au revoir à tout le monde, il faut que ce soit vraiment partout.” On s’étonne : dire au revoir ? Elle se reprend : “Je ne veux pas dire ça ainsi. Je veux faire la tournée des popotes et dire juste coucou. C’est peut-être la dernière fois que je dirais coucou, ou la première fois d’une longue série. Enfin, ça m’étonnerait.”

En concert aux Bouffes Parisiens, à Paris, jusqu’au 24 septembre 2005.