Trois nouveautés
FRANÇOIZ BREUT
De Dominique A à Françoiz Z
Après un premier chapitre intitulé Françoiz Breut, voici donc le deuxième opus de la demoiselle. Vingt à trente mille jours, son deuxième album confirme un beau brin de plume et des qualités musicales indéniables. Il faut dire que la miss fut à bonne école. Cette relative fragilité qu’elle inspire, cette frimousse de piaf qu’on a envie de couver ou son réel talent ont fait que Françoiz Breut a toujours été bien entourée. Les hommes en coulisses s’appellent Dominique A, bien entendu, qui le premier, la révéla au grand public grâce au duo du Twenty two bar, les joyeux drilles des Louise Attaque qui l’ont invitée à participer à La Plume, sur leur dernier album, Calexico, Jérôme Minière, Yann Tiersen ou encore Katerine sont eux aussi des habitués de la maison Breut.
Françoiz Breut, une sorte d’égérie en forme de corde sensible est une corde sensible que les textes et chansons écrites par Dominique A, Jérôme Minière, le groupe Perio ou Philippe Poirier de Kat Onoma font vibrer. Multiplicité des auteurs d’où une grande variété des genres musicaux. Françoiz Breut alterne baroud musical avec des guitares western chères à Calexico (Vingt à trente mille jours) et balade plus mélancolique comme La Chanson d’Hélène tirée du film de Claude Sautet Les Choses de la Vie. Une merveille, avec la voix de Joey Burns de Calexico, qui ferait presque oublier la version originale de Romy Schneider.
Françoiz Breut qui sait à merveille développer des atmosphères mélancoliques ou nostalgiques grâce à l’aide opportune d’un carillon, d’un cymbalum ou d’un harmonium : Silhouette Minuscule. Les rythmiques de La nuit repose ou de Vingt à trente mille jours sont hypnotiques et envoûtantes. Le vibraphone moelleux de Yann Tiersen fait merveille face aux violons acidulés arrangés par Pierre Bondu sur Je ne veux pas quitter. Parfois, elle se livre à de petites fantaisies comme ce Sans Souci de Peggy Lee qui nous donne une certaine fièvre. Sur tout cela Françoiz Breut, chuchote déclame, dit ou chante avec une maîtrise splendide. Toutes les mélodies se mélangent avec harmonie.
Le précipité improbable de ces couleurs donne comme par magie ou par génie des chromatismes insoupçonnés et délectables.
Françoiz Breut Vingt à Trente Mille Jours (Labels 2000)
Frédéric Garat
WES
ou l'Afrique dans le monde de la variété passe-partout
Il vient du Cameroun, souhaite hanter les charts avec son nouvel album, un peu comme avec son premier tube, Alane, et s'enfonce plus que jamais dans l'univers tourbillonnant de la pop internationale. Wes Madiko est un petit-fils de griot. L'une des qualités de cette fonction dans certaines sociétés africaines est la médiation. Elle réside dans la capacité pour le gardien de la parole (autre nom donné à la fonction de griot) de traduire le passé avec des mots qui interpellent le plus grand nombre pour un mieux être de la société. A travers cette philosophie, l'artiste, soutenu par la chaîne de télévision française TF1, avec la bénédiction de Deep Forest il y a trois ans, avait trouvé une ambition notable pour sa carrière. Aux yeux de Wes, qui aime à parler de spiritualité, le griot devenait une sorte de messager musical nécessaire dans un monde moderne où les gens, de plus en plus coupés de leurs racines, n'arrivent plus à se parler. A partir de 1997, il en a résulté de sa part une musique ouverte qui ne prend au patrimoine de son pays d'origine que le juste nécessaire pour séduire le plus large public, avec des habillages sonores très fun, dance et groove. Le joueur de sanza (piano à pouce) s'est reconverti dans les nappes de synthé.
C'est dans cette perspective que son deuxième opus Welenga (conscience universelle) a vu le jour, s'opposant ainsi à la démarche entamée sur son premier disque complètement roots, essentiellement composé de chants traditionnels, sorti en 1992 aux Etats-Unis. Wes s'est mis à mélanger les genres grâce aux machines pour atteindre une sorte de variété passe-frontières qui parle plus au village planétaire qu'à un quelconque public averti et passionné de musique camerounaise, ce qu'on lui a très vite reproché. Quelques spécialistes de la world l'ont même suspecté de vouloir, par ce biais, produire de la soupe et de l'exotisme, en lui prédisant le pire. Mais comme toujours... le public a tranché : trois millions deux cent mille singles (avec tube d'été à la clé en France) et un million d'exemplaires vendus pour Welenga (avec un World's Award en prime). Wes est le premier Africain à atteindre ces chiffres miracles. De quoi lui assurer les faveurs de sa maison de disques (Sony) et des médias généralistes en terre occidentale. Cela lui ouvre d'autres portes.
En 1999, il enregistre un titre (In Youpendi) pour "Le Roi Lion II" de Disney. Et le succès mondial n'arrête depuis de le taquiner... Reste à savoir ce que lui vaudra le nouvel album, Simani The Memory, enregistré aux côtés de Brian Rawling (Cher, Enrique Iglesias, Ricky Martin) et de son vieil acolyte Benjamin Valfroy. Les ambitions sont les mêmes que pour le précédent. Atmosphère hybride, technologie et tradition revisitée au service du message. On ne change pas une formule qui marche. On y danse. On y parle de paix, de la protection des éléphants, de la liberté, du mystère des fourmis, de la fragilité de la vie, de l'amour et de l'identité bantou. On y cause surtout de la mémoire du monde. Et la voix de Wes reste fidèle à la richesse de ses mélodies chantées en langue bafou.
Wes Sinami the memory (Sony/San Paolo)
Soeuf El Badawi
JAVA
Rap musette dans la chanson française, pleine de gouaille parisienne
Groupe fondé il y a trois ans environ, Java est une aventure exceptionnelle qui associe le piano du pauvre, soit l'accordéon, au rap. Ils sont quatre à jouer sur scène mais seuls deux d'entre eux construisent cet univers festif où s'enlacent expression contemporaine et traditions de chanson française. Le premier se prénomme Erwan, chante et se revendique entre autres de Gainsbourg et Ferré. Le second s'appelle Fixi, compose et arrange. L'un a la plume agile et aiguisée, l'autre l'accordéon passionné et habité. Leur challenge : inventer une French touch made in Paris, qui parle le langage actuel des bistrots sur un beat urbain, tout en revendiquant une ambiance de bals populaires reléguée dans les archives des années 30. Au fond, à les croire, ces bals ne sont pas si différents des sound systems jamaïcains. Ils sont habités par le même besoin de noyer le quotidien dans la musique. Rien à voir bien sûr avec une combine marketing qui servirait à revendre une sauce hip hop d'un genre nouveau. Les deux lascars puisent dans le patrimoine français mais en gardant à l'esprit la nécessité de fabriquer une musique vivante, fidèle à leur époque. Sans nostalgie aucune. Erwan sort du milieu rap et reggae, Fixi se réclame du funk et du jazz.
Hawaï, leur premier album swingue sur le pavé, tendance années 2000, avec une ouverture acoustique qui titille les autres genres musicaux dits en vogue. Ils empruntent un peu aux anciens du répertoire populaire, Jo Privat et autres monstres du musette notamment, mais évitent d'abuser avec les samples. Mieux : ils s'auto-samplent pour contourner peut-être les limites de la machine. Ils jouent dans les ternaires rythmiques, avant de noyer le tout dans un flow qui rappelle de loin Arletty et Brel. Réalistes, leurs textes sont hédonistes à souhait : ils nous font faire un tour en métro pour le plaisir, mélangent l'alcool au sexe et se paient Dieu en Invité très spécial (sur le titre Et Dieu créa la femme), "avec l'aimable autorisation du ciel". Jeux de mots, imagination débordante, humour sensible mais déconneur, légèreté de mise pour enrober le discours pas toujours politiquement correct (sur la pollution alimentaire, "Snif farine animale c'est du roots/C'est de la bonne défonce rurale, ça te booste"). Certains ont voulu voir en Java une école possible de rap blanc, Hawaï compte en fait treize titres qui sont tous à classer dans les étagères expérimentales de la nouvelle chanson française, y compris cet interlude qui nous convie en plein troquet. Il y a un côté titi parisien qui se dégage de l'ensemble. D'où cette impression de disque identitaire, non loin du projet abouti du Bisso Na Bisso (L'Afrique) ou du Métèque et Mat d'Akhenaton (Naples), avec ce besoin ressenti par les artistes d'aller chercher l'inspiration dans le répertoire que s'écoutaient hier les parents et les grands-parents. C'est une simple affaire de racines affirmées. Erwan et Fixi sont des parigots qui s'assument pleinement.
Java Hawaï (Sony/Small)
Soeuf El Badawi
Françoiz Breut, Wes et Java
FRANÇOIZ BREUT
De Dominique A à Françoiz Z
Après un premier chapitre intitulé Françoiz Breut, voici donc le deuxième opus de la demoiselle. Vingt à trente mille jours, son deuxième album confirme un beau brin de plume et des qualités musicales indéniables. Il faut dire que la miss fut à bonne école. Cette relative fragilité qu’elle inspire, cette frimousse de piaf qu’on a envie de couver ou son réel talent ont fait que Françoiz Breut a toujours été bien entourée. Les hommes en coulisses s’appellent Dominique A, bien entendu, qui le premier, la révéla au grand public grâce au duo du Twenty two bar, les joyeux drilles des Louise Attaque qui l’ont invitée à participer à La Plume, sur leur dernier album, Calexico, Jérôme Minière, Yann Tiersen ou encore Katerine sont eux aussi des habitués de la maison Breut.
Françoiz Breut, une sorte d’égérie en forme de corde sensible est une corde sensible que les textes et chansons écrites par Dominique A, Jérôme Minière, le groupe Perio ou Philippe Poirier de Kat Onoma font vibrer. Multiplicité des auteurs d’où une grande variété des genres musicaux. Françoiz Breut alterne baroud musical avec des guitares western chères à Calexico (Vingt à trente mille jours) et balade plus mélancolique comme La Chanson d’Hélène tirée du film de Claude Sautet Les Choses de la Vie. Une merveille, avec la voix de Joey Burns de Calexico, qui ferait presque oublier la version originale de Romy Schneider.
Françoiz Breut qui sait à merveille développer des atmosphères mélancoliques ou nostalgiques grâce à l’aide opportune d’un carillon, d’un cymbalum ou d’un harmonium : Silhouette Minuscule. Les rythmiques de La nuit repose ou de Vingt à trente mille jours sont hypnotiques et envoûtantes. Le vibraphone moelleux de Yann Tiersen fait merveille face aux violons acidulés arrangés par Pierre Bondu sur Je ne veux pas quitter. Parfois, elle se livre à de petites fantaisies comme ce Sans Souci de Peggy Lee qui nous donne une certaine fièvre. Sur tout cela Françoiz Breut, chuchote déclame, dit ou chante avec une maîtrise splendide. Toutes les mélodies se mélangent avec harmonie.
Le précipité improbable de ces couleurs donne comme par magie ou par génie des chromatismes insoupçonnés et délectables.
Françoiz Breut Vingt à Trente Mille Jours (Labels 2000)
Frédéric Garat
WES
ou l'Afrique dans le monde de la variété passe-partout
Il vient du Cameroun, souhaite hanter les charts avec son nouvel album, un peu comme avec son premier tube, Alane, et s'enfonce plus que jamais dans l'univers tourbillonnant de la pop internationale. Wes Madiko est un petit-fils de griot. L'une des qualités de cette fonction dans certaines sociétés africaines est la médiation. Elle réside dans la capacité pour le gardien de la parole (autre nom donné à la fonction de griot) de traduire le passé avec des mots qui interpellent le plus grand nombre pour un mieux être de la société. A travers cette philosophie, l'artiste, soutenu par la chaîne de télévision française TF1, avec la bénédiction de Deep Forest il y a trois ans, avait trouvé une ambition notable pour sa carrière. Aux yeux de Wes, qui aime à parler de spiritualité, le griot devenait une sorte de messager musical nécessaire dans un monde moderne où les gens, de plus en plus coupés de leurs racines, n'arrivent plus à se parler. A partir de 1997, il en a résulté de sa part une musique ouverte qui ne prend au patrimoine de son pays d'origine que le juste nécessaire pour séduire le plus large public, avec des habillages sonores très fun, dance et groove. Le joueur de sanza (piano à pouce) s'est reconverti dans les nappes de synthé.
C'est dans cette perspective que son deuxième opus Welenga (conscience universelle) a vu le jour, s'opposant ainsi à la démarche entamée sur son premier disque complètement roots, essentiellement composé de chants traditionnels, sorti en 1992 aux Etats-Unis. Wes s'est mis à mélanger les genres grâce aux machines pour atteindre une sorte de variété passe-frontières qui parle plus au village planétaire qu'à un quelconque public averti et passionné de musique camerounaise, ce qu'on lui a très vite reproché. Quelques spécialistes de la world l'ont même suspecté de vouloir, par ce biais, produire de la soupe et de l'exotisme, en lui prédisant le pire. Mais comme toujours... le public a tranché : trois millions deux cent mille singles (avec tube d'été à la clé en France) et un million d'exemplaires vendus pour Welenga (avec un World's Award en prime). Wes est le premier Africain à atteindre ces chiffres miracles. De quoi lui assurer les faveurs de sa maison de disques (Sony) et des médias généralistes en terre occidentale. Cela lui ouvre d'autres portes.
En 1999, il enregistre un titre (In Youpendi) pour "Le Roi Lion II" de Disney. Et le succès mondial n'arrête depuis de le taquiner... Reste à savoir ce que lui vaudra le nouvel album, Simani The Memory, enregistré aux côtés de Brian Rawling (Cher, Enrique Iglesias, Ricky Martin) et de son vieil acolyte Benjamin Valfroy. Les ambitions sont les mêmes que pour le précédent. Atmosphère hybride, technologie et tradition revisitée au service du message. On ne change pas une formule qui marche. On y danse. On y parle de paix, de la protection des éléphants, de la liberté, du mystère des fourmis, de la fragilité de la vie, de l'amour et de l'identité bantou. On y cause surtout de la mémoire du monde. Et la voix de Wes reste fidèle à la richesse de ses mélodies chantées en langue bafou.
Wes Sinami the memory (Sony/San Paolo)
Soeuf El Badawi
JAVA
Rap musette dans la chanson française, pleine de gouaille parisienne
Groupe fondé il y a trois ans environ, Java est une aventure exceptionnelle qui associe le piano du pauvre, soit l'accordéon, au rap. Ils sont quatre à jouer sur scène mais seuls deux d'entre eux construisent cet univers festif où s'enlacent expression contemporaine et traditions de chanson française. Le premier se prénomme Erwan, chante et se revendique entre autres de Gainsbourg et Ferré. Le second s'appelle Fixi, compose et arrange. L'un a la plume agile et aiguisée, l'autre l'accordéon passionné et habité. Leur challenge : inventer une French touch made in Paris, qui parle le langage actuel des bistrots sur un beat urbain, tout en revendiquant une ambiance de bals populaires reléguée dans les archives des années 30. Au fond, à les croire, ces bals ne sont pas si différents des sound systems jamaïcains. Ils sont habités par le même besoin de noyer le quotidien dans la musique. Rien à voir bien sûr avec une combine marketing qui servirait à revendre une sauce hip hop d'un genre nouveau. Les deux lascars puisent dans le patrimoine français mais en gardant à l'esprit la nécessité de fabriquer une musique vivante, fidèle à leur époque. Sans nostalgie aucune. Erwan sort du milieu rap et reggae, Fixi se réclame du funk et du jazz.
Hawaï, leur premier album swingue sur le pavé, tendance années 2000, avec une ouverture acoustique qui titille les autres genres musicaux dits en vogue. Ils empruntent un peu aux anciens du répertoire populaire, Jo Privat et autres monstres du musette notamment, mais évitent d'abuser avec les samples. Mieux : ils s'auto-samplent pour contourner peut-être les limites de la machine. Ils jouent dans les ternaires rythmiques, avant de noyer le tout dans un flow qui rappelle de loin Arletty et Brel. Réalistes, leurs textes sont hédonistes à souhait : ils nous font faire un tour en métro pour le plaisir, mélangent l'alcool au sexe et se paient Dieu en Invité très spécial (sur le titre Et Dieu créa la femme), "avec l'aimable autorisation du ciel". Jeux de mots, imagination débordante, humour sensible mais déconneur, légèreté de mise pour enrober le discours pas toujours politiquement correct (sur la pollution alimentaire, "Snif farine animale c'est du roots/C'est de la bonne défonce rurale, ça te booste"). Certains ont voulu voir en Java une école possible de rap blanc, Hawaï compte en fait treize titres qui sont tous à classer dans les étagères expérimentales de la nouvelle chanson française, y compris cet interlude qui nous convie en plein troquet. Il y a un côté titi parisien qui se dégage de l'ensemble. D'où cette impression de disque identitaire, non loin du projet abouti du Bisso Na Bisso (L'Afrique) ou du Métèque et Mat d'Akhenaton (Naples), avec ce besoin ressenti par les artistes d'aller chercher l'inspiration dans le répertoire que s'écoutaient hier les parents et les grands-parents. C'est une simple affaire de racines affirmées. Erwan et Fixi sont des parigots qui s'assument pleinement.
Java Hawaï (Sony/Small)
Soeuf El Badawi