Salif Keita
Fini les studios d’emprunt, au-delà des mers. Son nouvel album, Salif Keita l’a fait chez lui, en prise directe avec sa terre. Enregistré à Bamako, dans le même esprit acoustique que le précédent, M’Bemba a la saveur vraie des plats cuisinés à la maison. Rencontre avec un grand voyageur revenu à son port d’attache.
Salif Keita, comblé à domicile
Fini les studios d’emprunt, au-delà des mers. Son nouvel album, Salif Keita l’a fait chez lui, en prise directe avec sa terre. Enregistré à Bamako, dans le même esprit acoustique que le précédent, M’Bemba a la saveur vraie des plats cuisinés à la maison. Rencontre avec un grand voyageur revenu à son port d’attache.
RFI Musique : Ce n’est pas la première fois que vous enregistrez dans le studio que vous avez monté à Bamako ? En 1999, certaines prises de votre disque Papa y avaient déjà été faites...
Salif Keita : Oui, mais on n’avait pas pu les utiliser. Arrivés aux Etats-Unis, pour compléter l’album, nous nous sommes aperçus que la compatibilité technique des prises de son ne fonctionnait pas. Le matériel n’était pas suffisamment performant. Depuis, j’ai renouvelé l’équipement. C’est un très bon studio, avec des machines de haute technologie. Avant M’Bemba, nous y avons enregistrés des jeunes talents du Mali et de Guinée. Richard Bona est venu pour faire un duo avec moi (Kalabancoro) qu’il a mis sur Munia, son album précédent (2003).
Enregistrer à la maison, ça change tout ?
C’est essentiel, car on se retrouve dans l’environnement idéal. On a les musiciens traditionnels sous la main et tout est plus facile : pas de souci de demandes de visas, avec des contrôles, des vérifications à n’en plus finir, pas de problème de transport, d’hébergement, de nourriture... Et puis, on n’est pas limité par le temps. On a les clés. Si à deux heures du matin, soudain vient une inspiration, on rouvre le studio.
Après avoir vécu à Abidjan entre 1978 et 1983, vous vous êtes établi en région parisienne en 1984. Quand avez-vous décidé de revenir au Mali ?
En fait, j’essayais de revenir depuis 1991. Mais c’était compliqué. Quand tu t’es expatrié pendant tant d’années, que tu as acquis une expérience à l’extérieur, lorsque tu retournes chez toi, il y a quelques petites incompréhensions avec ceux qui sont restés. Et puis tu es aussi très sollicité. Il faut réapprendre à "communiquer".
Etre loin de chez vous, vous a davantage apporté qu’enlevé, ou bien c’est tout le contraire ? L’inspiration ne se dessèche pas quand les racines du pays natal cessent de la nourrir ?
Quels sont les atouts du Mali aujourd’hui ?
J’ai totalement confiance dans notre président actuel, le meilleur que l’on ait eu, un homme correct, un patriote qui a l’art de préparer le pays pour un avenir meilleur. C’est pourquoi je suis retourné vivre au Mali. Apolitique, affilié à aucun parti, il a mis en place un gouvernement d’union nationale. Le Mali est un exemple de démocratie, un pays très calme, et ça déjà, il faut le faire.
Le président vous a-t-il incité à revenir, fait une proposition quelconque d’aide et (ou) de collaboration ?
Non. De toute façon, les relations de ce type, je les mets à distance. Je ne me suis jamais mêlé de politique.
On ne verra donc pas un jour Salif Keita, conseiller ou Ministre de la culture ?
Je n’ai jamais eu ça en tête. Ce que j’aurais envie de faire, en revanche, c’est de retourner aux champs, comme Ali Farka Touré. Je vais peut-être acheter des tracteurs.
Laisser tomber la musique ?
Je prie Dieu de ne pas finir musicien car ce n’était pas le souhait de mes parents que je fasse cela. Par respect pour eux, j’aimerais terminer ma vie d’une manière en accord avec leur volonté, être un bon cultivateur. J’ai quelques champs et commencé aussi la pisciculture. J’aime la brousse. Je suis un broussard. Bamako, ce n’est pas mon univers. Trop pollué, invivable. Je ne déteste rien de plus que la ville. Un champ, c’est un paradis. Manger les poissons, les poules que tu élèves, cultiver ton champ, c’est suffisant. Qu’est-ce que je vais aller foutre en ville ? Moi j’aime la campagne. Les affaires que j’ai à Bamako, le studio, mon club, Le Moffou, mes grands enfants pourront les gérer.
Comment présenteriez-vous le Mali à quelqu’un qui en ignore tout ?
C’est un pays très ancien, d’une culture extrêmement riche, un pays démocratique, tranquille. Je l’inciterai à y aller car c’est une maison en train de se construire. Il vaut mieux aller dans une maison en train de se construire que dans une maison qui brûle.
Salif Keita M'Bemba (Universal Music France) 2005 / En tournée européenne à partir du 25 octobre
Retrouvez Salif Keita sur RFI, lundi 24 octobre à 14H40 TU dans l'émission de Joe Farmer L'épopée des Musiques Noires.