Alain Souchon
Un album tous les six ans : Alain Souchon ne goûte aux joies du succès qu’avec retenue, sans empressement. Sur La Vie Théodore, son nouveau disque, il dévoile ses humeurs avec cette écriture douce-amère et cette attitude faussement détachée qui ont fait de lui un artiste singulier dans l’univers de la chanson française.
La Vie Théodore
Un album tous les six ans : Alain Souchon ne goûte aux joies du succès qu’avec retenue, sans empressement. Sur La Vie Théodore, son nouveau disque, il dévoile ses humeurs avec cette écriture douce-amère et cette attitude faussement détachée qui ont fait de lui un artiste singulier dans l’univers de la chanson française.
Régulier, sobre, Alain Souchon sort un nouvel album aux couleurs plus vives, plus optimistes, plus globalement heureuses que dans Au ras des pâquerettes, son précédent disque. La Vie Théodore, dans lequel sa collaboration avec son fils s’approfondit (Pierre Souchon cosigne trois chansons de l’album) a été précédé depuis quelques mois sur les radios françaises de la chanson Et si en plus y’a plus personne, ferme prise de position agnostique. Pourtant, dans la chanson qui donne son titre à l’album, Souchon avoue – à travers la personnalité du géographe et grand marcheur Théodore Monod – son attirance pour une vie dans laquelle “Il faut un minimum/Une Bible, un coeur d’homme/Un petit gobelet d’aluminium”.
RFI Musique : Est-ce toujours de vous qu’il s’agit, dans vos chansons à la première personne ?
Alain Souchon : Ça n’a aucune importance. Ce qui est important, c’est que la chanson soit vraie, même si ce n’est pas vrai. Les chansons ne sont pas censées refléter la réalité. Il faut qu’elles soient vraies dans l’émotion. J’ai fait une chanson qui s’appelle C’était mieux quand c’était toi : je ne regrette pas une fille que j’aurais laissée dans ma jeunesse et qui serait le regret de ma vie, pas du tout. Mais c’est une chanson sur le regret lui-même, et que j’illustre comme si je regrettais une femme. J’entends souvent dire, dans les interviews : “Je n’ai aucun regret”, comme si c’était une honte d’avoir des regrets. Mais on a tous des regrets : on s’est mal conduit à tel moment, on a été vache avec telle personne, on a laissé tomber un ami. J’aime le regret.
Vous aimez vous inspirer d’oeuvres d’autres artistes : ici, les livres de Françoise Sagan dans Bonjour tristesse ou le film Sue perdue dans Manhattan dans Le Mystère ...
Pour faire des chansons, on prend des sujets qui vous touchent un peu. Pourquoi pas un film ou une chanson ? L’exemple le plus célèbre c’est : “Ah je voudrais tant que tu te souviennes/Cette chanson était la tienne/C’était ta préférée je crois/Qu’elle est de Prévert et Kosma.” Dans Sue perdue dans Manhattan, j’ai trouvé fascinant cette possibilité d’être vraiment perdu dans la ville, comme Robinson Crusoé.
Il y a une très belle phrase, dans cette chanson : “Ce n’est pas tant ma vie qui me plait tant/C’est le mystère qui est dedans.”
Mais c’est vrai ! On ne se comprend pas, des fois. Dans la vie quotidienne, j’aime bien ne dire que des sottises. Et je trouve ça lassant, je me demande pourquoi je ne suis pas normal, sérieux. Mystère ...
On dit souvent, dans le métier, qu’il y a deux genres d’auteurs de chansons : ceux qui ont du mal à trouver des sujets, et ceux qui ont du mal à les traiter ...
Je suis des deux genres. J’ai du mal à trouver les sujets et du mal à en parler. Mais il suffit d’une phrase pour sentir qu’on a enclenché sur un truc, que ça va se développer. C’est un moment très agréable.
Beaucoup de vos cadets se réfèrent volontiers à vous quand on leur demande quelles sont leurs influences. Comment le vivez-vous ?
Je ne trouve pas que ce que je fais a beaucoup à voir avec ce que font les autres. Qu’ils aiment bien mon trajet, la façon dont j’ai fait mon métier, c’est sûr. Que ce soit Albin de la Simone, Gérald de Palmas ou Sandrine Kiberlain, c’est sûr qu’ils m’aiment bien mais je ne vois pas l’influence que j’ai pu avoir sur eux. Le problème, c’est dès qu’on est proche. Dès que mon fils dit un mot, on dit : “Ah ! le son de la voix, ça fait penser à ton père.” Par contre, même si Camille ou Mathieu Boogaerts m’aiment bien, je ne vois pas tellement de filiation, je ne vois pas de trace de moi dans leur travail.
Dans le communiqué accompagnant l’envoi de votre album à la presse, vous écrivez avoir pensé à “faire un album concept sur des personnes que j’aime (...) Puis j’ai trouvé que je serais moins bon pour cet exercice que Vincent Delerm. Alors j’ai fait un album normal.” C’est un bel hommage à Delerm.
J’entends dire que Vincent Delerm est le nouvel Alain Souchon. J’adore ce qu’il fait. On s’est écrit, d’ailleurs. Je lui ai dit : “Vous faites des choses très différentes de moi et pour vous c’est mieux.” J’avais entendu Fanny Ardant et moi et je trouvais la musique un peu basique. Et puis je suis allé le voir à l’Olympia, où j’ai été scié par le contact qu’il a avec les gens, par son spectacle qui est vraiment fort.
De manière générale, comment jugez-vous la génération des jeunes chanteurs actuels ?
Ils sont souvent obsédés par le son et par la malice de ce qu’ils disent. Or, il ne faut pas oublier le côté Au clair de la lune de la chanson. Pour moi, la chanson c’est quand même une musique qui doit rester dans la tête. J’ai entendu Ruby Tuesday quand j’avais vingt ans ; maintenant, j’en ai soixante et j’ai toujours cette musique dans la tête. Dans sa génération, Pierre écrit des chansons qui restent dans la tête – celles qu’il fait pour lui comme pour Sandrine. C’est pour ça que j’ai confiance en lui.
Referez-vous un jour du cinéma ?
J’ai aimé cette expérience formidable. C’est comme quand on essaye de faire du golf ; et puis on s’emmerde, alors on arrête. Moi, j’ai fait du cinéma comme ça. Ce que j’ai aimé dans le cinéma, c’est les rencontres, Claude Berri, Pierre Granier-Deferre, Jacques Doillon. Comme j’avais les premiers rôles, j’étais très proche d’eux et c’était très fort. J’ai beaucoup aimé aussi les rencontres avec Jane Birkin, avec Isabelle Adjani – de jolies femmes merveilleuses, intelligentes. Vous vous souvenez de ce que disait Bernard Shaw : “Les acteurs sont moins que des hommes, les actrices sont plus que des femmes.”
Vous n’êtes pas tenté par le théâtre ?
Non. Je ne saurais pas. On me l’a beaucoup proposé mais ce que j’aime bien, c’est écrire Ultramoderne solitude et qu’on me dise :“C’est super”. Comme j’ai l’opportunité de faire ça, c’est ce que je fais. Quand on est connu, on vous propose tout et n’importe quoi. Il faut savoir faire seulement ce qu’on sait faire.
Vous ne pourriez vraiment pas faire de politique ?
Je ne trouve rien de bien là-dedans. Moi j’aime être sur le côté, et puis regarder, et puis faire des chansons.
Alain Souchon La Vie Théodore (Virgin) 2005