Nouveautés rap

Depuis le temps qu'on prédit la mort du rap français, on n'en finit pas de comptabiliser les derniers sursauts avant l'agonie finale. Il est important donc de remettre les pendules à l'heure des nouveautés : Joey Starr, Kery James, Rocé, et le 3ème Oeil. Un petit tour de ce qu'on entend de mieux (ou presque) en ce moment.

Joey Starr, Kery James, Rocé et le 3e œil

Depuis le temps qu'on prédit la mort du rap français, on n'en finit pas de comptabiliser les derniers sursauts avant l'agonie finale. Il est important donc de remettre les pendules à l'heure des nouveautés : Joey Starr, Kery James, Rocé, et le 3ème Oeil. Un petit tour de ce qu'on entend de mieux (ou presque) en ce moment.

Ces dernières années, on l'avait plutôt vu sous les feux de l'actualité judiciaire hexagonale. Heureusement, avec son acolyte Kool Shen, il avait réussi à remettre un pied dans le rap via Le Clash, projet discographique mettant face à face, les poulains de l'écurie IV My People (label de Kool Shen) et ceux de B.O.S.S. label dont il est... le boss.
Et oui, c'est évidemment de Joey Starr dont je veux parler qui revient gentiment avec un single intitulé G-Zel, figurant sur la bande originale de Astérix et Obélix : mission Cléopâtre d'Alain Chabat, dernier carton cinématographique en France (15 millions d'entrée en un mois…). Ce petit évènement vient démontrer que l'Affreux du rap français est en train de s'acheter une conduite. On le voit depuis un certain temps s'afficher avec la comédienne Béatrice Dalle, participer à un jeu télévisé sur une chaîne cryptée pour les beaux yeux d'Alain Chabat, son pote, producteur du jeu et metteur en scène du Asterix susnommé, et même faire l'objet d'un grand portrait dans le très sérieux quotidien Le Monde. Phénomène de mode, récupération médiatique, Joey Starr est finalement "tendance". On en oublierait presque qu'il vient de sortir un single !

En beaucoup moins médiatique, mais tout aussi efficace si ce n'est plus, on a su et pu apprécier le talent de Kery James. Il officiait jusque-là dans le groupe Ideal-J qui avait entre autres fait la première partie de NTM au Palais des Sports en 95. Avec Si c'était à refaire, il démarre une nouvelle aventure qui se veut beaucoup plus personnelle. D'origine haïtienne, le rappeur est avant tout converti à l'islam. Quelques mesures de prosélytisme et un doigt de moralisme rendent parfois le propos indigeste car comme il l'exprime lui-même dans les premiers instants de l'album, "Fini le temps où j'étais rieur". Pas de zoom sur les grosses bagnoles, pas de plan drague, pas de frime mais une remise en question sévère de ce qui fait le rap-variet : "Les gens pètent les plombs à cause de l'argent".
A 25 ans, Kery James œuvre pour la conscientisation des banlieues : respect des parents, lutte contre la spirale de la délinquance, de la violence ou du racisme. Et comme pour appuyer le propos, il a construit des morceaux dépouillés, presque sobres que des featurings intelligemment placés viennent aérer. C'est le cas dans les titres Parce que avec Roldan du groupe cubain Orishas, la Honte avec Salif Keïta ou Déséquilibre avec les Nubians. Du coup, même si les textes pouvaient laisser supposer un certain goût pour le hardcore, tel n'est finalement pas le cas et le résultat n'en est que plus intéressant et subtil.

Le trait d'union entre Kery James et Rocé s'appelle DJ Medhi. Producteur et membre d'Ideal-J, auteur aujourd'hui d'un premier album solo, celui-ci a permis de découvrir ce jeune Parisien d'origine russe et algérienne, José Kaminski dit Rocé. Sorti le 29 janvier dernier, cela faisait plusieurs mois que Top départ était attendu car on avait déjà entendu quelques duos et deux maxis sur le label Espionnage (celui de DJ Medhi justement) en attendant un opus complet. Son auteur a pris le temps qu'il lui fallait pour faire un album dont il soit satisfait de bout en bout. Et Top départ porte bien son nom : "Je pars sur les chapeaux de roue / Les pieds dans la grosse boue / Nerveux distant / Mais toujours prêt à aller au bout" (Changer le monde sur une basse funky).
Ce premier album essentiellement produit par Ismaël, son frère, permet ostensiblement au jeune rappeur de 24 ans de se jeter dans la bataille du hip hop. Il se la joue en solo, là où d'autres auraient ameuté leur crew, leur bande. Ses premières réussites, il ne les doit qu'à lui seul. Avec un flow percutant, bien balancé, Rocé montre son envie de bien faire, sa capacité de travail, son sens de l'efficacité. Ses textes sont parfois durs, toujours enlevés que ce soit quand il aborde le thème justice-prison-police (Qui nous protège) ou les dérives mercantiles de certains rappeurs : "Ma rime c'est mon butin / Et ma frime en guise de fusain / Me demande pas d'être réel / J'préfère sortir des phrases belles / Parc'que pour les gens de la masse / Ça fait les mêmes étincelles" (Plus d'feeling sur un instru piano solo, une vraie réussite). Réalisme et authenticité semblent être les points forts de ce Rocé, pas décidé à s'en laisser conter. Voici donc une des productions rap les plus intéressantes du moment, servie délibérément par une démarche old school bienvenue.

Après les débutants du rap, voici un groupe, le 3ème Oeil que l'on connaît depuis un certain temps déjà. Il y a trois ans, Boss One et Jo Popo (alias Mombi), tout droit sortis de la bouillante marmite marseillaise, nous avaient délivré un opus qui avait largement cartonné : 100.000 exemplaires vendus de Hier, aujourd'hui, demain. A leur actif aussi, une participation à la BO du film Taxi, phénomène ciné de l'année 1998, un titre sur la compil Chroniques de Mars concoctée par Imhotep d'IAM et première partie du "L'école du micro d'argent Tour" du même mastodonte marseillais.
Après ce glorieux tour d'horizon, voici le 3ème Oeil de nouveau dans les starting-blocks avec l'album Avec le cœur ou rien. Musicalement, les morceaux se veulent très variés. Pas étonnant vu la kyrielle d'intervenants, outre les deux lascars. A noter, un zeste de hardcore grâce à Sayd des Mureaux¹ sur notamment Si triste ou plus cool sur Pour l'amour de cette musique, la patte de la Fonky Family sur Faut qu'on s'accroche, les compositions de Joe Di Marco, ancien guitariste des Fugees sur plusieurs titres ou encore le featuring ragga de Ben.J sur Révolution. Mais tous sont là pour servir la cause et les propos du "Troiz" qui déclame dans Si triste, "Pourquoi perdre son temps à parler de paillettes et de strass / Alors que le malheur fauche, froisse, angoisse, blesse". Les thèmes abordés mettent en avant ce que Boss One et Mombi veulent dénoncer, les mariages arrangés, sur Des kilomètres de rimes ou l'injustice dans Révolution. En tout état de cause, le 3ème Oeil reste Opérationnel puisque cela semble être la devise du groupe : "Opérationnel / Conscient de c'que j'dis / Conscient de c'que j'suis". On n'en doute pas une seconde. ¹ Ville de la banlieue parisienne

Kery James / Si c'était à refaire (WEA 2002)
Rocé / Top départ (Chronowax 2002)
Le 3ème Œil / Avec le cœur ou rien (Sony/ Columbia 2002)