FESTIVAL COULEUR CAFÉ 2003

Couleur café, le festival world music de Bruxelles, n'a jamais mieux mérité son nom que cette année. Un soleil de plomb, une petite poussière digne des meilleures pistes et une programmation éclectique, africaine, jamaïcaine ou française : Manu Dibango, Jimmy Cliff, Yuri Buenaventura, Zebda…
Focus sur deux talents : le Malien Salif Keïta et le Sénégalais Malick Pathé Sow.

Salif Keita et Malick Pathé Sow sur la scène bruxelloise.

Couleur café, le festival world music de Bruxelles, n'a jamais mieux mérité son nom que cette année. Un soleil de plomb, une petite poussière digne des meilleures pistes et une programmation éclectique, africaine, jamaïcaine ou française : Manu Dibango, Jimmy Cliff, Yuri Buenaventura, Zebda…
Focus sur deux talents : le Malien Salif Keïta et le Sénégalais Malick Pathé Sow.

Qu'il paraît loin le temps où Angélique Kidjo, Papa Wemba et Zap Mama rassemblaient aux Halles de Schaerbeek quelques milliers de spectateurs. Aujourd'hui, plus de 60.000 personnes peuvent laisser gambader leurs oreilles sur les quatre estrades de Couleur café ! Mais la soif de découvrir toutes les musiques qui font ce monde reste toujours vibrante et constitue l'élément central de ce rassemblement festif. Entre l'ode traditionnelle du griot africain et les rythmes électro reggae de Mad Professor, tous les genres étaient représentées pour cette quatorzième édition dont nous avons capté deux moments forts : Salif Keïta qui a bien voulu sortir de sa discrétion en nous accordant de longues minutes et la performance du Sénégalais, vivant en Belgique, Malick Pathé Sow, moins connu, mais non moins prometteur !

Quand Salif Keïta, tout de violet vêtu, apparaît sur scène, il n'y a point besoin de longue entrée en matière. La musique immédiatement. Le chant ensuite s'élève. La veille au Danemark, le lendemain à Dijon, le prince mandingue paraît à son aise sur les planches. Les trois lignes d'instruments - Salif et ses danseuses au premier rang, guitares électriques et clavier au milieu, batterie et percus traditionnelles en arrière - s'enchaînent et s'entremêlent telles des vagues successives. Elles reflètent bien la réalité musicale du Malien : mêler le traditionnel au moderne, allier la mélodie au rythme. Un archéologue des sons pourrait y déceler tout ce que la tradition orale africaine a su inspirer aux musiques actuelles : le reggae, le rock, voire la techno. Tour à tour lente ou rythmée, incantatoire ou expressive, la mélopée déploie peu à peu son effet. Les visages s'animent. Les sourires montent aux lèvres. Le public est ravi. "Tant mieux" nous confie-t-il quelques instants après. "Nous sommes là pour inciter les gens à faire la fête, leur apporter du bonheur."

Son répertoire ? Des contes optimistes tirés en grande partie de son dernier album Moffou, un CD 100 % acoustique qui symbolise aussi le retour de l'exilé au pays : "Je peux apporter davantage là-bas qu'en Europe qui compte tellement de gens qui ont de l'expérience". Et puis "ma mère se faisait vieille, il fallait que je rentre. Depuis 1978, en fait, je suis à l'aventure".

Sur scène, Salif Keita est plutôt avare de mots. Le premier "merci" ne tombe qu'au dernier quart du spectacle. Il préfère les mains pour dialoguer avec son public. Le griot de Djoliba délaisse parfois le micro pour laisser ses danseuses démontrer leurs talents - et leurs corps. Mais il ne quitte pas pour autant la scène, illustrant ses propos de gestes à résonance théâtrale. Que ces femmes le délaissent pour préférer son percussionniste ou son guitariste, aussitôt il simule l'étonnement, la douleur, tente d'attirer l'attention de tous, puis se roule par terre de désespoir pour finir par se relever et reprendre sa place, rétabli, reprenant espoir. La comédie le tenterait-il, après une première expérience du grand écran ? En attendant, tout l'été Salif Keïta continuera de nous ravir sur scène : "Je suis comme ces baleines qui suivent leurs traces au fil de saisons".

Samedi, un autre talent africain. Malick Pathé Sow (Psow) a la redoutable tâche d'ouvrir la soirée avant l'électro-dub des Indo-Britanniques d'Asian Dub Foundation. Une tâche dont ce Sénégalais, né à Niendane, au nord du Sénégal, il y a quelque 44 ans, se tire avec élégance. Joueur de hodu (instrument à cordes) - un des meilleurs de sa génération -, PSow aurait pu s'en tenir à cette virtuosité acquise très tôt, dès huit ans, de son père et de son frère. Il a préféré s'envoler de ses propres ailes. En 1995, il forme le groupe Welnere ("bonheur" en pulaar). Aujourd'hui, ils sont neuf sur scène, choristes et musiciens, de diverses origines - sénégalais, mauritanien, argentin, belge, congolais et français. Une multiculturalité que Malick revendique : "Je veux participer au rapprochement, l'unité, la paix l'amour, à un environnement plus spirituel". Les textes soulignent la nécessité de défendre la culture peule, les difficultés liées à l’exil hors d’Afrique, la nostalgie du pays, le sort des prisonniers politiques en Mauritanie… "Non à la discrimination" clame à plusieurs reprises celui qui vénère et écoute souvent Bob Marley et… Salif Keïta.

Certaines compositions sont plus "spirituelles" raconte-t-il également. Musulman, comme nombre de ses compatriotes du Nord, PSow refuse l'amalgame fait entre pratiquant et intégriste. "L'islam est une religion pacifiste, avant tout, ouverte sur les autres" explique-t-il. "Le Coran ne dit-il pas : "le musulman doit accepter toutes les religions" ?" Sa musique se veut à cette croisée des chemins. Batterie, guitares électriques, djembé, bougarabous illustrent une sonorité entre tradition peul du Fouta-Toro (du nom de ce fleuve sénégalais) et pop africaine d'aujourd'hui. Autour d'un phrasé musical, au départ simple et répétitif, se construit un univers plus élaboré faits de percussions, de cordes, électriques et acoustiques et de cuivres qui donnent un coté jazzy. Mais l'apport essentiel de Malick reste sa voix, claire, chaleureuse, qui transporte le spectateur. Fort de deux albums Danniyanke et Diaryata, Welnere devrait nous gratifier bientôt d'un troisième opus. Il sera dédié à Ousmane Djigo, l'ancien manager du groupe décédé en 1999. "Il a beaucoup lutté pour moi, beaucoup semé, précise Malick Pathé Sow. Mais on n'a pas pu récolté ensemble.".

Nicolas  Gros-Verheyde