MOUSKOURI INTÉGRALE

Un phénomène durable et géographiquement étendu: en trente-quatre CDs et un livret écrit par la chanteuse elle-même, l’énorme coffret Nana Mouskouri Collection revient sur quarante ans de carrière française et européenne..

673 chansons et 132 pages

Un phénomène durable et géographiquement étendu: en trente-quatre CDs et un livret écrit par la chanteuse elle-même, l’énorme coffret Nana Mouskouri Collection revient sur quarante ans de carrière française et européenne..

Il y a peu de chanteuses telles que Nana Mouskouri dans la chanson européenne. En France, on la considère comme une artiste française, en Allemagne comme une Allemande, en Grande-Bretagne comme une anglophone de la plus pure eau. Et, partout, on sait qu’elle est grecque. Aujourd’hui, elle est même devenue une des voix officielles du continent, puisqu’elle a enregistré l’hymne de l’Union européenne.

Il vient de sortir un monumental coffret, à la mesure de sa longue carrière polyglotte: Nana Mouskouri Collection regroupe, en trente-quatre CDs, une grosse trentaine d’albums parus en France, augmentés de deux cent trente titres bonus enregistrés en public ou dans une demi-douzaine d’autres langues - 673 chansons, environ la moitié de ses enregistrements.

Et les fans seront comblés: le gros livret de 132 pages au format 33-tours a été rédigé par la chanteuse elle-même, qui raconte sa vie et sa carrière. C’est en Crète qu’est née Joanna Mouskouri, mais ses parents se sont installés juste avant-guerre à Athènes, où son père travaille dans un cinéma. Gamine, elle passe son temps pendue à la radio, quand elle ne regarde pas les films projetés par son père. Assez naturellement, elle sera chanteuse, et dès le début en plusieurs langues: à l’époque, en Grèce, les films ne sont pas doublés et on peut capter la radio des bases américaines. Elève de conservatoire, elle en sera renvoyée parce qu’elle a osé chanter du jazz en public.

Nana Mouskouri raconte comment elle a aidé Manos Hadjidakis à "accouché" des Enfants du Pirée, la célébrissime chanson interprétée par Melina Mercouri dans le film Jamais le dimanche, ou le choc qu’elle a subi, quelques temps après ses débuts en France, en voyant pour la première fois Edith Piaf sur scène – "Je n’ai plus le droit de m’appeler chanteuse", dit-elle en sortant au patron des disques Philips et Fontana, Louis Hazan. En racontant sa vie, elle semble considérer sa carrière comme parfaitement évidente: la conquête de plusieurs pays en même temps, les enregistrements et les tournées qui se succèdent à un rythme effréné pendant des dizaines d’années, la pluie de récompenses et de disques d’or...

En écoutant son énorme coffret, on comprend beaucoup mieux l’étendue de son succès, dans le temps comme dans l’espace. Il y a une sorte d’obsession de la médiane dans sa carrière, qui la fait se tenir autant à l’écart des exagérations des variétés (en ce sens, ses arrangements ont beaucoup moins vieilli que ceux d’autres chanteuses à voix de son époque, comme une Mireille Mathieu) que de cette éthique mi-folk mi-janséniste qui traverse la chanson française avec un constant souci de mise à nu de la forme et de l’émotion. La pureté, chez Nana Mouskouri, est rarement dans l’instrumentation ou la mise en place de l’émotion: la seule quête de limpidité est dans le chant et sa prise de son. Ainsi, lorsqu’elle aborde Répondez-moi de Francis Cabrel, en 1985, sa vision est moins charnelle, moins terrienne, que l’original, semble planer quelques pas au-dessus du sol. A contrario, en 1967, sa version de 59th Street Bridge Song-Feeling Groovy, intitulée C’est bon la vie, est nettement moins extatique, ouvertement plus raisonnable que chez Simon & Garfunkel. Elle s’est inventé un domaine du sentiment sage, de l’enjouement serein, qui tranche avec l’expression clinquante de beaucoup de ses collègues et facilite son assimilation par tous les publics de Berlin à Palerme.

Et il semble que l’on trouve tout dans ce coffret: Le Temps des cerises avec des échos de bouzouki, Les Feuilles mortes chanté en anglais façon Hollywood, Dans les prisons de Nantes avec violon folk, After the Gold Rush de Neil Young en version originale, Aranjuez en allemand, des adaptations de Woody Guthrie et Bob Dylan, des brassées de chansons avec le mot "soleil" dans le titre, La Paloma en portugais... Du romantisme sans exaltation exagérée, des élégances de lounge destinées au grand public, la passion des mélodies généreuses.

Rien d’étonnant qu’au début des années 70, elle se tourne de plus en plus vers les grands airs du répertoire classique. En 1974, elle reprend un air de La Norma de Bellini pour en faire une chanson de variétés, dans le texte comme dans les intentions, Toi qui t’en vas. Puis c’est avec la Habanera du Carmen de Bizet enregistrée en 1977 en duo avec Serge Lama, ou son adaptation française du chœur des esclaves de Nabucco de Verdi, Je chante avec toi liberté, en 1981, succès radiophoniques qui préludent à ses deux albums Classic en 1988 et Classique en 1999...

Nana Mouskouri Collection, coffret de trente-quatre CD (Mercury-Universal).