VU D’AILLEURS Octobre 2003

L’esprit de Gainsbourg a visité New York, puis la Floride et le Canada. Dans le cadre de sa tournée Arabesque, Jane Birkin, qui fut sa muse, sa compagne et qui transcende inlassablement son œuvre s’est payée le mois dernier une petite virée américaine. Revue de presse.

Birkin en Amérique du Nord

L’esprit de Gainsbourg a visité New York, puis la Floride et le Canada. Dans le cadre de sa tournée Arabesque, Jane Birkin, qui fut sa muse, sa compagne et qui transcende inlassablement son œuvre s’est payée le mois dernier une petite virée américaine. Revue de presse.

Aux States, Gainsbourg est in. Ignoré de l’Amérique profonde, Serge Gainsbourg jouit d’un respect de la part de nombreux artistes, d’une partie de la presse et de la jeunesse estudiantine. Les concerts donnés par Jane Birkin le mois dernier l’ont à nouveau montré. Né sur scène, Arabesque, devenu un disque à succès en France (plus de 100.000 acheteurs) et dans d’autres pays (comme la Grèce), est un projet qui, dans le contexte politique actuel, aurait pu soulever quelques sarcasmes outre-Atlantique. Pensez donc : une œuvre musicale française réorchestrée à la manière orientale ! Fort heureusement, la musique adoucit les mœurs, même celles des journalistes les plus récalcitrants.


"Avec ses cheveux frisés de petite fille à peine attachés, son corps de danseuse gainé de rouge, on ne dirait pas que trois décennies et demie ont passé" depuis Je t’aime… moi non plus, s’attendrit le Miami Herald (24/9). En 1969, ce tube international, interprété en duo avec Serge Gainsbourg et vendu à 4 millions d’exemplaires dans le monde, avait lancé en trombe la carrière de la jeune Anglaise – le disque s’était même hissé au 58ème rang du Hot 100 américain. Le retour de Jane Birkin en Amérique a été salué unanimement par la critique, tant aux Etats-Unis qu’au Canada, ce qui est plutôt rare et a permis en tout cas de battre le rappel des initiés plus que des curieux. Le critique du Miami Herald, qui a compté "beaucoup de francophones parmi les 550 spectateurs " du Lincoln Theater, s’est laissé séduire par l’émotion dégagée sur scène par l’actrice-chanteuse. "Quand elle chante des titres comme Haine pour aime ou Couleur café, (...) elle est tout sourire, comme si elle portait un patch qui lui distribuait de l’extasy en permanence".

Plus généralement, selon le New York Times (24/9), "le concert consistait en une reprise de l’album", qui vient à peine de sortir aux Etats-Unis (label Narada World/EMI), "précédé de deux autres chansons de Gainsbourg et d’un hommage signé Zazie, C’est comme ça". "Bien que la pop en France ait découvert sur le tard les musiques de ses minorités arabes et nord-africaines, les arrangements spacieux de Djamel Benyelles versent rarement dans l’exotisme gratuit", estime le quotidien new-yorkais qui en conclue que ces chansons retravaillées "aident un répertoire typiquement français à toucher un monde plus grand". Dans un article qui revient largement sur la personnalité de Gainsbourg et sa relation avec Birkin, le journaliste du New York Times (24/9) salue "les adieux d’une chanteuse vulnérable à un regretté fauteur de troubles". "Sa petite voix semblait perpétuellement vulnérable, emplie d’une tendre résignation", écrit-il. Présent lui aussi aux concerts donnés à l’Alliance Française de New York, Piotr Orlov, de l’hebdomadaire culturel The Village Voice, croit même déceler dans la voix de Jane Birkin "un parfait instrument de cabaret".

Itinérante, la caravane Arabesque a ensuite taillé sa route jusqu’au Canada voisin, où là aussi les hommages ont abondé dans une presse aux anges. "Pour l’amour de Jane B.", titre Le Devoir (20-21/9), quelques heures avant son concert à Québec, tandis que Le Soleil (25/9) s’attend à recevoir en grandes pompes "Jane d’Arabie". "Madame et son fantôme" sont annoncés, ironise pour sa part le chroniqueur de Voir (25/9), le magazine de l’actualité culturelle au Québec, qui s’interroge en filigrane : "En revisitant (pour la dernière fois ?) le répertoire du grand Serge sur des airs arabisants, Jane Birkin cherchait à rendre un ultime hommage à son légendaire Pygmalion. Et à se faire plaisir, bien sûr…"

Nombre de journalistes ont vu dans cette tournée la fin d’un cycle, "à la fois des débuts et des adieux", douze ans après la mort du maître. "Pendant presque trente ans, Jane Birkin n’a chanté que du Serge Gainsbourg, à la fois par fidélité, par reconnaissance et pour calmer sa jalousie. Mais, après une tournée qui l’aura conduite aux quatre coins du monde, (...) elle tirera un trait définitif", croit savoir le journal La Presse (28/9). Dans le flot des nombreuses interviews accordées par cette incorrigible bavarde, l’idée d’arrêter la chanson, professionnellement parlant (disques, promo, tournées…) revient parfois, préférant "réserver ses récitals à d’autres publics, moins familiers". "Si on m’appelle pour chanter dans un pays dévasté par la guerre, la famine ou un cataclysme naturel, je ne pourrai jamais dire non", avouait-elle notamment en habituée des combats humanitaires. Elle chantera ainsi en Israël et en Palestine, du 4 au 9 décembre prochain. Quoiqu’il en soit, avec ou sans Serge Gainsbourg, " à 56 ans, Jane Birkin ne semble pas prête à abandonner sa carrière artistique pour se consacrer au jardinage ou à l’astrologie ". En attendant, elle prépare un album de duos à paraître en 2004, avec la participation d’artistes comme Alain Bashung, Miossec, Manu Chao ou Paolo Conte, et poursuit sa tournée Arabesque, qui s’achèvera en mars 2003 à Paris (Théâtre du Châtelet) et passera notamment d’ici là par Lisbonne (16 et 17 janvier), Tokyo (12 février) et Hong Kong (14 février).

Gilles  Rio