Konono n°1

Kinshasa ne vibre pas qu’au son du ndombolo ou du brûlant hip-hop congolais. Il existe une génération de musiciens qui ont quitté leur village et qui, pour se faire entendre au milieu du vacarme urbain, ont dû électrifier leurs instruments avec les moyens du bord. Konono n°1 : quand les rythmes traditionnels rencontrent la distorsion de l’électricité.

Congomania version électro

Kinshasa ne vibre pas qu’au son du ndombolo ou du brûlant hip-hop congolais. Il existe une génération de musiciens qui ont quitté leur village et qui, pour se faire entendre au milieu du vacarme urbain, ont dû électrifier leurs instruments avec les moyens du bord. Konono n°1 : quand les rythmes traditionnels rencontrent la distorsion de l’électricité.

     Pour les producteurs occidentaux successifs en quête de nouvelles sonorités africaines, il n’a pas toujours été facile de retrouver les musiciens de Konono, tantôt partis en Angola, tantôt à Kinshasa, tantôt de retour dans le Bas-Congo natal.

Aujourd’hui, pour rencontrer Konono, il faut rouler vers N’Gili, près de l’aéroport international. Ce matin, c’est celui que tous les musiciens appellent "Président", qui se charge du transport vers l’auberge où joue le "groupe folklorique Konono n°1".

Après une petite panne, la Peugeot file vers la sortie de Kinshasa, monstrueuse mégapole de quatre millions d’habitants. L’histoire du pays défile avec le paysage : d’abord l’église, le ministère aux faux airs de palais stalinien, l’usine de café Osacaf, autrefois trésor national et pourvoyeur d’emplois, aujourd’hui à l’abandon, puis la caserne des fonctionnaires de l’ONU et ses barbelés, et enfin la route de l’aéroport, bordée de petites échoppes et autres systèmes D made in RDC (République démocratique du Congo).

Avec le commissaire et le Président en co-pilote, la Peugeot passe partout, traverse les époques et les divers sons de la ville, comme Konono l’a fait depuis plusieurs décennies. "Dans les années soixante, heures de gloire du jazz et de la rumba, Konono représentait déjà un certain contrepoids, une musique de tradition pure originaire du Bas-Congo qui savait s’imposer", se souvient Maître Kalengay, directeur artistique du Centre des Recherches d’Arts du Spectacle Africain, venu écouter le groupe. chaque fois, il jouait un peu et disparaissait, ce qui en faisait un groupe un peu mystérieux. On le cherchait en Angola, au Congo. Ce qui a fait que Konono a survécu jusqu’à aujourd’hui, c’est qu’il a jalousement gardé sa tradition, au contraire de beaucoup d’artistes qui, eux, ont pris chez Konono pour progresser dans leur rumba ou leur ndombolo…"

Dans les années 60-70, Maître Kalengay et ses amis se pressaient au bar Opika, pour écouter une musique alors inouïe que l’on appelait "moderne". Konono venait révolutionner la musique urbaine. Empruntant largement aux musiques de transe bazombo, le groupe va pour la première fois se faire entendre des ancêtres à l’aide des micros faits maison avec des pièces mécaniques de voiture, s’aidant à l’occasion d’un lance voix (une sorte de mégaphone). Konono va aussi électrifier le likembe (piano à pouce, plus connu sous le nom de sanza) à l’aide d’aimants de récupération et de fils de cuivre. C’est là le secret de la "toute puissance", celle qui relie ces trois petits instruments (un aigu, un médium, un grave) aux six haut-parleurs de 175 watts connectés en série.

 

 Même si deux baffles sont en panne, cette toute puissance sonore a assez de fréquences pour remuer les hanches des spectateurs, "toute la nuit", précise le virtuose du likembe, le vieux Mingiedi. Au milieu des cloches, sifflets, batterie et autres tambours, le joueur de likembe solo, le plus aigu, actionne une pédale de distorsion du son, pour permettre aux chanteurs d’intervenir. "C’est Dieu qui m’a donné l’idée de relier les fils de cuivre, la calebasse et le likembe !", rappelle Mingiedi.

L’électrification de fortune a provoqué une mutation radicale du son, introduisant des distorsions peu à peu intégrées. Chaque chanson a sa propre danse et raconte une vie de village (les décès, la danse du chef, un mariage choisi, la vision du paradis, l’union qui fait la force d’une famille…). Malgré sa puissance dansante capable de conquérir le moindre dancefloor gavé de sonorités électroniques, Konono reste un groupe traditionnel, (son nom évoque d’ailleurs la position foetale de replis après un décès). Pour Mingiedi, la musique doit être jouée à des fins spirituelles.

 

   Un jour, cette étrange et puissante mixture sonore a dépassé les frontières de Kin la Belle, grâce à un enregistrement amateur diffusé à la radio zaïroise. Bernard Treuton, réalisateur à Radio France, l’entend. Cet amoureux du son décide d’enregistrer ce drôle d’orchestre. "J’avais l’impression de rencontrer des punks. Ils portaient des bracelets de force, jouaient des heures avec un son fou, totalement saturé."

Quelques années plus tard, un producteur belge passionné de musique congolaise, Vincent Kémis, entend son émission et décide de retrouver Konono N°1 pour les enregistrer à son tour. Après quelques rendez-vous manqués, quelques remaniements ministériels, le groupe est toujours là pour offrir la même fièvre, qui a depuis contaminé d’autres groupes à Kinshasa.

De la Porte Rouge "nouvelle formule" à l’Opika, plusieurs bars offrent encore une scène à des formations originaires du Bas-Congo ou du Kasaï qui ont aussi électrifiées leurs instruments. Ils se produisent chaque soir. Seules la pluie ou les coupures d'électricité de Kin la rebelle empêchent les musiciens de jouer jusqu'au bout de la nuit.

Konono n°1 Congotronics (Crammed Discs) 2005