Big Red résiste
Nouvel opus de l'ancien mentor du groupe Raggasonic. Après la rédemption annoncée au premier album solo, l'ex-complice de Daddy Mory rêve d'une alternative possible avec Redsistance . Un opus surchauffé digne d’une ambiance de sound system.
Le lion dans la place
Nouvel opus de l'ancien mentor du groupe Raggasonic. Après la rédemption annoncée au premier album solo, l'ex-complice de Daddy Mory rêve d'une alternative possible avec Redsistance . Un opus surchauffé digne d’une ambiance de sound system.
Redsistance! Drôle de titre allez-vous dire. Comme si la facilité était devenue une marque de fabrique pour l'un des fils les plus hardcore du ragga hip hop français.
Pourtant non ! A en croire les inconditionnels, l'homme n’a jamais forcé sur le discours pour paraître plus rebelle ou plus conscient. C'est chose naturelle chez lui, dans la vie comme en musique.
Dans le duo Raggasonic déjà, les textes évitaient la phrase facile pour sonner plus engagés. Certains se souviennent encore des titres Aiguisé comme une lame et J'entends parler du Sida. Des tubes armés du bon sens, c’est le moins qu’on puisse dire.
En solo sur le circuit depuis deux ans, Big Red s'est révélé encore plus fin en la matière, en reprenant le goût des batailles "impossibles". Sur Redsistance, le message est on ne peut plus clair. "Un homme qui se respecte réfléchit sept fois avant d'agir". Ainsi commence le troisième titre de l'album qui en appelle à une alternative organisée. Penser. Raisonner avant d'agir. La dédicace s'adresse sans le dire aux enfants des cités. A ceux qui bouillonnent de désespoir face aux "bouffons" de tous bords. "Je ne suis pas là pour le divertissement" proclame Big Red. Il est là pour l’ultime bataille. Redvolution, titre ô combien sans équivoque, ouvre la marche : "Si t'as des couilles au cul fais la révolution/ Ton sort pour qu'il évolue faut faire la révolution/ Jeunes des foyers et femmes battues faites la révolution".
Au début d'un millénaire, où seules les désillusions semblent l'emporter, la position du toaster peut paraître illusoire. Surtout lorsqu'il se revendique des damnés de la terre, affichant les couleurs d'un passé militant, que l’on pensait révolu. Big Red souligne qu'il "n'est pas question de plier" et pique un slogan à Malcolm X au passage ("Par tous les moyens possibles").
Les mots
Dans une foulée verbale qui annonce "l'homme nouveau" dans les cités, l’artiste affûte ses armes de maître de cérémonie. Il s’agit de convaincre. Au citoyen désemparé, il murmure une dernière salve de mots : "Ils créent leur fortune sur ta ruine/ Tu dois réagir pour nourrir ta faim".
L'ex-Raggasonic semble au mieux de sa prose. Il taille dans le langage et aligne les trouvailles. Ainsi de la "race urbaine". Une communauté de gens condamnée à cavaler, tel "Gengis Khan bravant/ L'eau, la terre, le vent et puis les flammes", pour mener sa destinée au sommet. Une communauté urbaine qui a sa foi à retrouver et sa liberté à reconstruire face à un "monde déréglé".
L’homme est fait pour se surpasser, telle est la morale de cette chanson. Cours d'humanisme ou leçon de politique déguisée ? Big Red n'est pas du genre à prendre la pose. Il interprète juste un monde qui l'entoure, en stigmatisant sur ce qui le révolte. Dans Naïma, il sublime ces jeunes filles en fleurs, à qui un monde de brutes refuse le droit de vivre dans l'insouciance de leur âge, parce que responsabilisées trop tôt, obligées d'encaisser plus qu'il n'en faut, souvent mères avant l'âge. Big Red s'attaque ici à la misogynie et à l'indifférence : "Ce que tu supportes, nul ne peut l'encaisser […] Devant toit, je ne peux que m'incliner".
Le son
Naïma aurait pu sentir la rose fanée. C’est une belle chanson au final. Tout comme cet hommage à l'Afrique réussi ("Dispersée parmi les nations/ dispensée de libre expression"). On pourrait aussi parler d’un hymne à la réussite, s’agissant de Money. Un titre sur lequel il convie le son de Gamble & Huff, ainsi que la voix prophétique de Moïse N'tumba des Tribal Jam dans un prêche soul/ r'n'b à tendance disco : "Pour pouvoir exister aux yeux de ceux qui comptent/ tu devras diviser/ Pour pouvoir avancer aux yeux de ce qui est/ Tu devras t'immiscer dans ce monde de monnaie".
L'argent est le nerf de la guerre dans ce monde. Le titre est peut-être dédié à ceux qui pointent du doigt les écarts "commerciaux" de certains artistes de l'underground hip hop. Si ce n’est pas le cas, il aurait pu l’être. Avec son intro efficace et totalement bluesy.
Ce qui nous amène à parler de la musique. Car Big Red n'aligne pas que du discours. Big Red, c'est d'abord un univers sonore. Avec une dimension expérimentale inattendue sur quelques titres. Frenchie son acolyte est toujours présent dans la place, avec sa maîtrise inconsidérable du son jamaïcain. L'américain Dj Muggs (des Cypress Hill) lui a offert un son radical de rap west coast, dont la fascination sur l'artiste ne laisse plus de doute à personne depuis fort longtemps.
S'il n'en reste qu'un…
Effet dancehall sur nombre de titres, riddims hypnotiques à souhait, flirts assumés avec une énergie de rock fusion, rudes ballades des complices Fast Jay & Gusty (ex-Alliance Ethnik), l'artillerie sonore qu'offre Big Red à ses fans impressionne par son audace. Il n'y a pas que les lyrics qui prolongent sa rage des débuts.
Le maître de cérémonie veille à rester inventif, y compris sur les titres qu’il a lui-même réalisé musicalement. D'où l’impression qu'il donne de surnager au-delà des eaux instables du ragga rap francophone. D’où cette affirmation d’Olivier Cachin, critique le plus assermenté du mouvement hip hop de la vieille Europe : "Red not dead".
Artiste à convictions, aujourd’hui salué comme un habile old timer par la presse, a bien fomenté son coup. Redsistance sonne ainsi comme la lame aiguisée d'un rude boy habité par la grâce. La réputation est sauve. Faut-il pour finir citer des tubes en puissance, afin de convaincre les plus réticents à l’écoute de ce nouvel opus ? La fabuleuse Gent féminine interprétée en compagnie de Red Rat par exemple ? Toi et moi pour danse racaille sur piste de sound system ? Ou encore ce titre de début d'album qui clame haut et fort : "Vas-y kiffe sur le riff […] Ça n'arrive pas souvent de se lâcher".
Ce serait probablement réducteur pour l'ensemble. Il y a une telle diversité de ton sur cet opus que vouloir en extraire un titre phare ou deux reviendrait à passer à côté d'une red-sistance, qui vaut bien son pesant d'or. Big up, man ! Personne dans la place ne remet ton flow en cause ! Respect !
Big Red Redsistance (SKZ/ Source/ Virgin) 2002