COMELADE TOUJOURS

Paris, le 1er octobre 2002 - Depuis quelques années déjà, de jolies tourneries signées Pascal Comelade viennent virevolter dans le ciel de la création musicale indépendante avec élégance et humour. La sortie de son nouvel album Psicótic Music'hall est un bon prétexte pour rencontrer ce musicien atypique, auteur d'une trentaine d'albums depuis 1975.

Le Catalan revient avec un nouvel album

Paris, le 1er octobre 2002 - Depuis quelques années déjà, de jolies tourneries signées Pascal Comelade viennent virevolter dans le ciel de la création musicale indépendante avec élégance et humour. La sortie de son nouvel album Psicótic Music'hall est un bon prétexte pour rencontrer ce musicien atypique, auteur d'une trentaine d'albums depuis 1975.

Catalan, Pascal Comelade navigue entre la France et l'Espagne quand il ne se produit pas sur les scènes du monde entier. Son œuvre semble poussée par une irréversible envie de s'éparpiller. Un flirt avec le cinéma, une incursion dans la chanson française ou un petit bout de chemin avec des artistes comme PJ Harvey, voila ce qui pourrait baliser une carrière autrement bien remplie. Ce serait en effet, extrêmement réducteur puisque le créneau déclaré de Comelade, c'est la musique instrumentale et que l'on peut considérer cela comme un genre en soi. Du coup, cela rend plus difficile tout étiquetage si cher aux journalistes et magasins de disques. Il confirme : "On ne peut mettre ma musique ni en world ni en jazz ni en musique contemporaine. Dans les grandes surfaces du disque, il reste le rayon new age ou musique de relaxation. Dans le même rayon vous allez trouver Brian Eno et d'autres. Quand on fait de la musique instrumentale, ça génère des problèmes de classification". Ceci n'a en réalité qu'une importance relative à moins que cela ne conditionne aussi l'accès plus général à sa musique. "Je suis méconnu du grand public. Comme des milliers de musiciens qui sont dans la réalité, on ne fait pas partie de la grosse cavalerie qui passe à la radio ou à la télé. Ça fait trente ans que je fais de la musique et partout dans le monde. Je ne suis pas quelqu'un de célèbre. Mais moi, je peux aller jouer sur une place de village n'importe où en Europe et ça fonctionne". Pas du tout amer, Comelade joue dans un autre registre que celui du show biz.

Pittoresque

Quand on lui parle des nombreux éloges lus ça et là à son propos, son discours prend vite le ton de la polémique, non sans humour : "Les articles parlent de moi. Je n'en ai pas lu un seul en France qui parle de ma musique et ça commence à me faire chier". Et le voila parti à égrener les propos caricaturaux relevés dans la presse à son sujet : "C'est un mec qui ressemble au personnage de BD de Margerin avec une calvitie naissante. Chez lui, on mange des anchois de la paella ou des olives. Il habite au pied du Canigou. C'est une sorte d'ermite qui accumule toute sorte d'objets inutiles chez lui. Il a plein de bouquins bizarres. C'est un mec bizarre. Il a plein de tics, etc. J'ai lu aussi que j'étais autiste, schizophrène. A force de se vautrer dans le pittoresque et l'exotique, pour qui je passe, moi ! Je suis une espèce d'objet folklorique. Tout ce que je lis sur moi, c'était comme si j'étais dans une espèce de zoo culturel : "venez voir le vieux reste"... C'est très énervant". A force de vouloir trouver et prouver l'originalité des uns ou des autres, on en serait venu à les réduire à leur particularisme.

Il faut quand même dire que Pascal Comelade s'ingénie à ne pas faire comme tout le monde. Depuis une vingtaine d'années, le musicien utilise dans ses compositions des instruments jouets. On peut s'étonner qu'aujourd'hui encore, dans son nouvel album Psicótic Music'hall, on retrouve ces sonorités si distinctives. "En 83, avec un ami, Pierre Bastien, qui fabrique des machines musicales, nous avons essayer de créér une réduction de big band de jazz entièrement constitué d'instruments jouets. A l'époque, on trouvait tous les instruments en réduction, sax piano, trombone, etc. On a embauché des musiciens. Aujourd'hui, je continue à utiliser le piano jouet parce que ça correspond à ma technique pianistique très limitée ! Je peux alors exprimer mon propre style, si tant est que j'en ai un ! Avec le temps, c'est devenu mes outils. Et à l'arrivée, on peut appeler ça ma marque de fabrique". Comme il reste fidèle à ce type d'instrumentation, Comelade reste aussi fidèle à ses inspirations.

Rock'n'roll attitude

Plutôt tourné du côté des musiques populaires méditerranéennes, le Catalan cultive depuis longtemps la nostalgie de ces airs qui rappellent les bals d'antan : "C'est ma culture musicale. La radio et la musique donnée dans la rue. Les fêtes populaires et les orchestres de bal. Les années 60. Dans le sud de l'Europe, ce qu'on appelle les musiques de salon. L'adjectif 'nostalgique' est très difficile à gérer. Il y a une énorme part de nostalgie. Plus on devient gâteux, plus on se raccroche à de bons moments du passé. Je ne mets rien en opposition. J'ai autre chose à faire que dire "Ah c'est bien mieux que la daube que l'on entend aujourd'hui !" Ce ne sont pas des références mais plutôt la culture que parfois même on a subie. Quand on est petit on a une mémoire d'éléphant. Inconsciemment, on enregistre certaines choses". On sait par ailleurs Comelade grand amateur de rock, celui des années 70 : Captain Beefheart, Creedance, Canned Heat and Co. Mais qu'on lui parle de ses références musicales un peu éloignées de ce qu'il fait lui-même, l'auteur de Psicótic Music'hall s'énerve encore : "Mon but n'est pas de faire de la musique qui parle des musiques que j'aime". Message reçu.

Comme il faut tout de même bien que cette affaire resurgisse quelque part, Comelade s'amuse au-delà du raisonnable avec l'intitulé de ses morceaux. Pour Psicótic Music'hall, il s'en est donné à cœur joie. "Les titres des morceaux sont à l'image de ma consommation culturelle. C'est un plaisir d'esthète. Je consomme de façon très bordélique, très fourre-tout. Tout petit, j'ai toujours aimé les dictionnaires et les encyclopédies. J'ai toujours aimé que ça parte de tous les côtés. Avec une très grande préférence pour les choses inutiles. Qui peuvent sembler inutiles. Dans mon cas, le titre du morceau n'est pas là pour appuyer quelque chose. Il ne veut rien dire. Je place dans mes titres mes propres références culturelles. La plage 5 par exemple, El zoot-horn rrotllo enmascarado. Zoot Horn Rollo était un des guitaristes de Captain Beeefheat dont je suis un grand fanatique. Enmascarado était un fanzine de BD underground barcelonais des années 70 qui est très important dans l'histoire de la culture urbaine espagnole".

La poésie sinon rien

Au-delà des références culturelles qu'il peut avoir, ce sont les mots eux-mêmes avec lesquels il aime jouer. Son intérêt pour la langue française conditionne sans doute un peu le choix de noms de morceaux : "J'ai un respect énorme pour la langue française ! Je suis réellement fasciné par l'argot, son histoire. Je suis fasciné par le nombre d'écrivains français qui ont joué avec les mots, avec la langue. C'est un des rares pays dans le monde où on trouve ça. Je suis fasciné par Perec, Oulipo et compagnie, Alfred Jarry aussi". De son aveu même, il écrit de temps en temps. Cela en tout cas ne concerne pas l'écriture de chansons, préférant contre vents et marées rester dans le domaine de la musique instrumentale. De toute façon, son opinion sur la chanson française est un peu à l'emporte-pièce même si on lui connaît quelques flirts artistiques avec certains de ses représentants. "Je n'ai aucun rapport, dans le sens connexion, avec la chanson française. Je connais Miossec parce qu'il est venu faire du camping à côté de chez moi ! Arno, parce que je l'ai croisé ici (ndlr : bureaux de leur maison de disques commune, Delabel) et nous avons eu une conversation sur Ostende, Dani parce qu'elle est de Perpignan. La chanson française ne m'intéresse pas. Autant en matière de poésie et de littérature, on a affaire à des choses monstrueuses au niveau de la récupération de la langue par des individus. Autant dans l'écriture des chansons, on tombe dans une niaiserie terrifiante. Un mec comme Gainsbourg, il y a un petit jeu de mot dans chaque chanson et moi, ça ne me suffit pas. Entre Desnos et MC Solaar, pssss... A la limite, j'aimais bien Caussimon, quand il écrivait pour Ferré. De toutes façons, je parle pour moi. Je ne fais pas de la morale".

Pascal Comelade fait partie de ces artistes qui en période de promo, ne resservent pas les mêmes propos à chaque interviewer. De ce fait, on aurait envie de poursuivre quelque temps encore l'entretien. Avec son accent du sud, ses manières de ronchonneur, ce musicien qui est quand même à l'origine de la création d'un groupe japonais, les Pascals, reprenant à leur sauce ses compositions, démontre au fur et à mesure de la sortie de ses albums, des concerts qu'il donne en solo ou des manifestations auxquelles il participe, que rien n'est moins important que son propre chemin. Et nous pourrions lui retourner ses propres paroles : "Ceux qui m'intéressent, ce sont ceux qui essaient d'inventer leur propre discours". Nous aussi.

Valérie Passelègue

Pascal Comelade Psicótic Music'hall (Delabel) 2002