Mario Canonge et son piano

Avec cet album tissé de références, d’appartenances et de couleurs diverses, Mario Canonge donne sa version musicale de la créolité. Enregistré en public avec deux musiciens fraîchement rencontrés, Rhizome Tour a réveillé la passion du pianiste pour son instrument.

"Sur mes vieux jours, je joue carrément jazz." Mario Canonge vient de sortir Rhizome Tour, son nouvel album et il se plaît à un jeu qui dépayse sans doute une bonne partie de ses premiers fans. Avec ce disque, qui fait suite à Rhizome, paru en 2004, le pianiste martiniquais file toujours la métaphore végétale initiée par le poète Edouard Glissant évoquant ce qu’est la culture créole. Autrement dit, plutôt qu’une seule racine plongeant à la verticale dans un terreau unique, la créolité se nourrit d’un réseau de rhizomes : "De toutes les racines ici mélangées, aucune ne tue l’autre, pas une n’est trahie, et elles concourent toutes à une végétation hardie et renouvelée", comme l’a écrit Glissant. Sur l’album Rhizome, Mario Canonge avait invité ainsi, comme un manifeste de diversité, le trompettiste américain Roy Hargrove et le bassiste camerounais Richard Bona.

Dans ce nouveau disque enregistré en public à Thionville, dans l’Est de la France, il y a quelques mois, il emmêle les références, les appartenances, les couleurs, les humeurs de sa musique. Il est flanqué de Linley Marthe, contrebassiste mauricien vivant à Paris, et qu’il avait souvent croisé dans les clubs. Ces cinq dernières années, Marthe appartenait au Syndicate de Joe Zawinul. A la mort du claviériste autrichien, en septembre 2007, Canonge l’appelle. Marthe lui présente Chander Sardjoe, Néerlandais d’origine surinamienne et indienne, qui a notamment été batteur de Steve Coleman. "On a eu une seule répétition et ça a fonctionné tout de suite." Le nouveau trio part aussitôt aux antipodes et, après trois semaines de tournée en Nouvelle-Zélande et en Nouvelle-Calédonie, donne un concert à Thionville. C’est en écoutant l’enregistrement, quelques semaines plus tard, que Canonge réalise qu’"il y a quelque chose".

Clarté et foisonnement de la musique, ferveur et sérénité, grâce et chair : le trio de Mario Canonge fonctionne comme s’il tournait depuis des lustres. Et le pianiste exalte la musique antillaise comme personne, avec une faconde et une générosité enflammées. Mais il se souvient bien qu’après avoir découvert les biguines et les tangos sur le piano de sa grand-mère, il fut irradié par Bill Evans, par le pouvoir d’un langage harmonique d’une richesse inépuisable et par les ressorts émotionnels de la virtuosité. Plus que jamais, il aborde la musique par l’instrument, le plaisir par la libération des formes et des genres préétablis.

S’éloigner de la veine antillaise ?

S’il y a beaucoup de rythmiques caraïbes dans ce nouveau disque, il laisse volontiers s’évader les mains sur le clavier loin au-delà des territoires antillais. Il se dit ouvertement "heureux d’avoir recommencé à bosser le piano. Pendant des années, je jouais beaucoup, je faisais des concerts, je composais mais je ne travaillais plus sur le piano. Depuis trois ans, j’ai recommencé. Et ce qui est difficile, c’est de garder le cap, de s’y mettre non pas trois jours de suite mais tous les jours. Maintenant, je ne le lâcherai plus".

 

Son prochain album sera d’ailleurs dans une veine pianistique peut-être encore plus éloignée de la musique antillaise, en prolongement de son plaisir hebdomadaire en club, rue des Lombards aux Halles, à Paris : "Quand je suis à Paris, je joue tous les mercredis à 19h30 au Baiser Salé, en duo avec le contrebassiste Michel Zenino. Nous ne jouons que des standards de jazz". Il pense graver avec lui son prochain album, dans des couleurs plus universellement jazz. Mais il a aussi sorti, au printemps dernier ("sans aucune promo"), l’album Punch en musique vol. 2. Deux ans après un premier album consacré aux classiques antillais des années 1920 aux années 1960, il s’est intéressé, toujours en trio, à un répertoire plus contemporain. Avec le contrebassiste Alex Bernard et le batteur Gregory Louis, il traverse l’œuvre de Paulo Rosine et Malavoi tout en reprenant certains de ses propres thèmes, avec deux titres chantés par son ami et complice de toujours, Ralph Thamar. 

Il ne perd pas de vue non plus l’axe du jazz caraïbe, notamment en reprenant de loin le dialogue à deux pianos entrepris il y a deux ans avec Alain Jean-Marie. Récemment encore au 1er Gwadloup festival, dans l’île natale d’Alain Jean-Marie, les deux instrumentistes se sont retrouvés autour d’une quinzaine de titres d’inspiration plus ou moins antillaise (dont des thèmes de Wayne Shorter ou Dizzy Gilespie) ainsi que de leurs propres répertoires à l’un et l’autre. Et il n’oublie pas non plus, à l’occasion, l’amour qu’il partage avec – encore – Ralph Thamar pour le boléro cubain et qui a donné l’album Alma y Corazon.

Il tourne en alternant les formules et les formations, toujours agacé par le sort qui est fait aux musiciens antillais en France. "Beaucoup de programmateurs pensent qu’un musicien antillais est forcément là pour la fiesta. Même si on met l’adjectif "grand" devant, ils ne pensent pas autre chose." Donc, grand musicien antillais, Mario Canonge n’est pas très souvent dans les festivals de jazz en France. Depuis quelques années, il voyage beaucoup à travers le monde, notamment par le réseau des Centres culturels français et des Alliances françaises, qui l’a attiré d’Inde en Afrique, du Moyen-Orient à l’Extrême Orient ou, en mars prochain, en Amérique Latine.outez un extrait de

Mario Canonge Rhizome Tour (Rue Stendhal) 2008
En concert le 30 janvier 2009 à l’Olympia (festival Carib’In Jazz, avec Alain Jean-Marie puis avec son trio), le 4 avril 2009 à Praia au Cap vert et les 9+ et 10 avril en Arménie (Erevan et Spitak)