Georges Moustaki

Nouvel album intitulé sobrement Moustaki, pour le plus Egyptien des chanteurs français, éternellement pâtre grec et brésilien de cœur, qui a fait sa vie et sa carrière de voyages et de rencontres.

Nouvel album

Nouvel album intitulé sobrement Moustaki, pour le plus Egyptien des chanteurs français, éternellement pâtre grec et brésilien de cœur, qui a fait sa vie et sa carrière de voyages et de rencontres.

L’album, paru il y a peu chez Virgin, s’appelle simplement Moustaki. Son précédent disque, Tout reste à dire, datait de 1996 et, avec ce nouvel album, le chanteur navigue entre une inspiration neuve et ses racines musicales. Ainsi, il a enfin enregistré en studio la première chanson qu’il a composée, il y a plus de quarante ans, et qu’il chantait depuis quelques années pendant ses concerts, Gardez vos rêves. De même, il a pour la première fois gravé la chanson qui l’a fait connaître, Milord, composé jadis pour Edith Piaf. Très discrètement, d’ailleurs, il en glisse sa version à la toute fin du disque, en «plage fantôme» qui n’est nulle part indiquée sur la pochette. Et la nouveauté est sa rencontre avec l’arrangeur et chef d’orchestre Jean-Claude Vannier, notamment compagnon de Gainsbourg à l’époque de Melody Nelson ou de Jonasz au temps de Super Nana.

RFI. – Comment s’est faite la rencontre avec Jean-Claude Vannier ?
Georges MOUSTAKI. –
Nous nous étions vus trois fois en trente ans. En fait, la troisième, c’est quand je lui ai proposé de faire ce disque avec moi. C’était mon choix. J’ai travaillé toute ma vie avec des gens que j’aimais beaucoup. Il se trouve qu’il y a quelques années, j’ai perdu mon chef d’orchestre préféré, Hubert Rostaing, qui avait fait beaucoup de disques avec moi. Puis, j’ai fait un disque avec François Rauber. Pour celui-ci, il était très occupé et j’avais envie d’une autre inspiration. Par déduction, il ne restait plus que Vannier avec son talent particulier.

Malgré la sophistication des arrangements, vous avez enregistré cet album en quelques semaines à peine…
Comme François Rauber, avec qui j’avais fait mon album précédent, Jean-Claude Vannier ne cherche rien pendant l’enregistrement. Quand on arrive en studio, tout est écrit, il ne reste plus qu’à dire «trois, quatre» et on enregistre. Il a tout cherché et tout trouvé avant, chez lui, avec un papier et un crayon. Il m’a donné des indications pour le chant - ni des conseils ni des ordres, mais des indications précises, fraternelles et très professionnelles.

Votre carrière est, entre autres, particulièrement impressionnante parce que vous avez travaillé avec Edith Piaf, Barbara, Serge Reggiani, Vinicius de Moraes, Antonio Carlos Jobim, Chico Buarque, Caetano Veloso, Astor Piazzola, Mikis Theodorakis, Manos Hadjidakis…
Ce n’est pas une démarche rationnelle. Simplement, les circonstances ont fait que j’ai rencontré des gens qui m’intéressaient. Un peu avant de partir en Amérique latine, j’avais découvert la musique de Piazzolla. Pendant toute ma tournée en Argentine, j’ai cherché des gens qui connaissaient Piazzolla, pour pouvoir le rencontrer. J’ai rencontré le père de Che Guevara mais pas d’ami de Piazzolla. Je pars à Rio de Janeiro et, à l’hôtel, au petit déjeuner, quelqu’un s’approche de moi et me dit: «Je serais ravi de vous connaître, je suis Astor Piazzolla».
J’ai eu une belle vie. J’ai écrit sur des choses qui m’intéressaient, j’ai rencontré les gens que je voulais rencontrer. Après, tout l’aspect industriel, professionnel, toutes les médailles, les distinctions, c’est un étonnement. Je me souviens qu’avec Le Métèque, mon premier 33-tours, j’ai eu le grand prix de l’Académie Charles-Cros et on m’a annoncé que j’allais serrer la main du ministre. J’étais presque indigné. J’ai dit que non, que je n’écrivais pas des chansons pour serrer la main à des ministres. Depuis, j’ai eu d’autres expériences, j’ai serré la main à des ministres.

Vous êtes devenu une personnalité majeure de la chanson française, vous vivez à Paris depuis des dizaines d’années: vous sentez-vous toujours égyptien ?
Oui. L’Egypte est profondément présente en moi. Je crois même que ça s’amplifie avec le temps. Je ne le fais pas exprès mais, par exemple, quand j’ouvre un journal je vais toujours d’abord à la page du Proche-Orient. Ma cuisinière, qui est du Cap-Vert, a appris de ma mère quelques recettes égyptiennes. Non seulement je n’ai pas oublié l’arabe, mais j’ai même fait quelques progrès - je suppose par affection.

Pourtant, avec le temps, on oublie en général de plus en plus de détails sur de sa jeunesse...
Je ne crois pas que ce soit possible, tout au moins en ce qui me concerne. Je me suis proposé un petit jeu, il y a quelques années: noter le nom de tous mes condisciples dans toutes mes classes à l’école. Eh bien je me souviens d’un nombre incroyable. Quand, après des dizaines d’années, je suis retourné à Alexandrie pour donner un récital au Centre culturel français, on m’a indiqué l’endroit où nous devions dîner et j’ai immédiatement retrouvé mon chemin dans les ruelles. Je n’avais rien oublié.
J’ai lu, adolescent, dans la librairie de mon père à Alexandrie, un livre de Roger Ikor qui s’intitulait Les Eaux mêlées (prix Goncourt 1955, NDLR). Ce livre m’avait impressionné: c’est l’histoire d’un immigrant venu d’un pays de l’Est qui s’intègre tout à fait à la France, devient français, fonde une famille, élève ses enfants dans la culture française. Avec le temps, il est de plus en plus nostalgique de son pays d’origine, au point de reprendre un accent qu’il avait tout fait pour perdre, des années plus tôt.

Cela vous semble-t-il une destinée plausible ?
C’est un événement qui me paraît normal. Evidemment, tout dépend du temps que l’on a passé dans son pays d’origine. Pour ma part, j’ai été égyptien pendant dix-huit ans, quand même. Et je dois dire que je cultive affectueusement cette relation à l’Egypte. C’est toujours une jubilation pour moi de me retremper dans une atmosphère moyen-orientale.

Contrairement au Brésil ou au Moyen-Orient, l’Afrique n’est pas très présente dans vos chansons, semble-t-il.
Pourtant, mon voyage en Afrique a été important. Ça a été, musicalement, un choc. Mais les chansons nées de mon voyage en Afrique, et qui portent ce rythme n’ont pas fait de grand succès. C’est pourquoi elles ne comptent pas parmi les plus mémorables. Mais je suis tellement allé dans tous les sens... Je ne le faisais pas exprès: c’était presque routinier pour moi, pendant longtemps, de changer de continent, de pays, de ville, de langue, d’instruments..