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Paris, le 11 août 2000 - A l'heure où l'internet musical se décline en alainsouchon.net, franciscabrel.com ou autre jesuisunevedette.fr, de nombreux artistes, moins connus, débutants ou non, mais en quête de reconnaissance et de réussite, envahissent l'immense cyber vitrine qu'est Internet afin de gagner en visibilité au sein d'un écrasant marché musical. Sites personnels ou sites fédérateurs (Francemp3, Vitaminic,…), si le principe est idéal pour se lancer dans la danse sans attendre le bon vouloir d'une maison de disques, est-il suffisant pour percer ? Nous avons interrogé quatre chanteurs et deux groupes qui nous font vivre autant d'expériences du Net. Miroir aux alouettes ou plate-forme de lancement ?
Ou le Net au secours des artistes peu visibles
Paris, le 11 août 2000 - A l'heure où l'internet musical se décline en alainsouchon.net, franciscabrel.com ou autre jesuisunevedette.fr, de nombreux artistes, moins connus, débutants ou non, mais en quête de reconnaissance et de réussite, envahissent l'immense cyber vitrine qu'est Internet afin de gagner en visibilité au sein d'un écrasant marché musical. Sites personnels ou sites fédérateurs (Francemp3, Vitaminic,…), si le principe est idéal pour se lancer dans la danse sans attendre le bon vouloir d'une maison de disques, est-il suffisant pour percer ? Nous avons interrogé quatre chanteurs et deux groupes qui nous font vivre autant d'expériences du Net. Miroir aux alouettes ou plate-forme de lancement ?
Pourquoi Internet ?
"Ce fut bien sûr dans le but de faire découvrir mon travail", lance Pierre-Olivier Berthet, auteur-compositeur-interprète, qui vient de signer chez Barclay/Universal après un long parcours indépendant. "Etant convaincu de l'avenir universel de ce média, je me suis mis au travail." Le répertoire de ce Lorrain né en 68 - chanson française aux accents rock - avait du mal à sortir du cadre de la promo locale. Avec le web, il trouve donc un moyen de communiquer à plus grande échelle. En 1999, lauréat du Trophée Radio France, Berthet est sélectionné parmi les meilleures diffusions radio de novembre avec le titre A la terrasse d'un café. Une maison de disques, Barclay/Universal, se penche alors sur son berceau. Berthet signe. Banco !
Signer sur une major, c'est le parcours idéal, rêvé, fantasmé par nombre d'artistes en devenir. C'est en rêvant ce parcours que les hard-rockeux québécois d'Amok ont aussi créé leur site. Originaires de la région d'Ottawa, ils ont attendu plus de deux ans avant de le monter : "Il y en avait déjà un ouvert par d'autres. Puis nous avons créé le nôtre pour prendre les choses en main plus personnellement. Nos attentes étaient alors de se faire connaître ailleurs que chez nous. Montrer nos activités, nos objectifs, nous ! Comme une carte de visite virtuelle." Deux albums auto-produits, de nombreux concerts dans la région, le parcours classique d'un groupe qui piétine dans un décor sans horizon commercial et qui est séduit par le World Wide Web, le web à échelle mondiale, ticket virtuel vers les plus hautes marches du podium. "Nous avons été ainsi capables de contacter des gens du milieu et même des curieux, qui sans cela, n'auraient jamais connu notre existence. Mais dire qu'Amok est populaire grâce à cela…"
Dans le cas de Christian Braut, auteur d'un CD autoproduit, 24 heures à ses côtés, le site est d'abord né indépendamment de tout projet musical. Journaliste, passionné d'informatique, ce musicien crée des pages perso pour exposer son travail d'écriture. Puis à la sortie de son album, il le met en ligne "par plaisir et pour voir." Finalement, dans sa dernière version, toute récente, le site est entièrement dédié à sa carrière musicale. Mais l'artiste reconnaît "qu'Internet n'a joué aucun rôle dans ce parcours d'artiste autoproduit."
Parcours inverse avec le duo électro-pop, Lily Margot : "Après avoir passé deux ans dans une major où notre premier album est sorti (Insomnies en 1996, ndlr), nous avons décidé de retourner vers l'indépendance et prendre un peu plus les choses en main. Nous étions curieux par rapport au Net qui semblait correspondre à nos attentes. Nous pouvions développer notre image, notre son, notre indépendance et ceci, sans pression de résultats et surtout, sans aucun filtre." Déjà connus, les Lily Margot créent donc un site après coup pour faire savoir leurs "nouveaux choix". Mais plus encore, ils ont un projet bien précis : ouvrir leur site, en faire un lieu de création qui très vite, prend la forme d'un label en ligne, No-Copy : "En travaillant peu à peu avec ce self-média, nous nous sommes rendus compte qu'il y avait autour de nous plein de gens qui s'intéressaient à cela. Le collectif No-Copy est né au fur et à mesure. Nous avons appris à nous prendre en charge et à réagir beaucoup plus vite avec un minimum d'inertie. Nous n'avons jamais eu autant de contacts qu'avec le Net. Et tout ceci ne demeure pas virtuel parce que nous préparons des projets de concerts et de productions communes."
Besoin de résultats, ce fut aussi la motivation de la chanteuse Lou, dont la musique voluptueuse et élégante, bercée de guitare électrique et d'une fine rythmique, eut les honneurs du Net dès 1997, bien avant tout le monde : "J'avais déjà enregistré un album en auto-production mais je cherchais un distributeur. Les réponses tardaient. Je voulais que ces chansons existent. J'ai alors pensé ouvrir mon propre site et utiliser l'adresse comme titre de l'album. C'était il y a trois ans et demi, autour de moi le métier du disque jetait un œil amusé et condescendant sur ce nouveau médium "sans avenir"… J'avais l'impression de prendre le maquis et d'organiser ma propre résistance. A la fois chef de réseau et simple soldat !"
Internet, produit de substitution ?
Prendre le maquis contre les maisons de disques, retrousser ses manches et tout faire seul, est-ce efficace ? Pour ces artistes souvent invisibles dans le paysage, le Net, centralisateur d'outils, donne un implacable sentiment d'autogestion et d'indépendance. Leurs sites, sobres, vont dans l'ensemble à l'essentiel sans artifices techniques : bio, sons, textes, contacts, et un point-vente. Pour Berthet, il y a un intérêt fondamental au Net : "Faire écouter des extraits de sa musique. C'est primordial et aucun autre média ne nous le permet". Même avis chez Christian Braut qui considère le Net comme un atout qui donne "la possibilité de proposer ses morceaux en écoute et/ou en téléchargement, publier ses textes, vendre son album, recueillir des avis, etc." Pour Amok, l'intérêt est géographique : "Le fait d'être dans une région qui n'est pas sur les grands axes musicaux comme Montréal est un désavantage certain pour un groupe. Comment mettre rapidement les gens au courant que nous sortons un second CD par exemple ?" Lou résume la situation de tous par son expérience personnelle : "Internet est le lieu où le plus virtuel devient réel. Mes chansons ont d'abord existé là".
Mais dès qu'on évoque des effets à plus long terme, plus constructifs, les réserves apparaissent. "Outre une satisfaction personnelle, un certain nombre de visites, la joie de savoir qu'on vous écoute, mon site, professionnellement, ne m'a pas réellement apporté grand chose. Une poignée d'albums vendus en tout et pour tout", affirme Christian Braut. "Si j'ai réussi à être distribué par la Fnac, ce n'est qu'à force de rendez-vous et de coups de fil. En aucun cas grâce au web". Echo mitigé pour Berthet. "J'ai été surpris de la vitesse à laquelle les connexions augmentaient. Mais, je ne crois pas que cela ait apporté quelque chose au plan artistique si ce n'est les contacts par e-mails ou les chroniques sur des sites spécialisés. Quand mon album est sorti dans une version autoproduite, seul mon site permettait de savoir où le trouver mais maintenant, mon contrat avec Barclay m'oblige à supprimer la possibilité d'écouter l'intégralité de mes titres." Pour Lou, le Net n'a que des effets partiels et ne peut en avoir plus : "C'est toujours pareil, si mon titre est diffusé en radio, qu'on annonce l'adresse de mon site, j'ai des répercussions immédiates. Mais la force de frappe des majors du disque reste intacte. Je n'ai jamais eu l'intention de rivaliser avec ce commerce-là."
Tous confessent que, dans l'état actuel des choses, le Net ne peut pas remplacer les maillons de l'industrie. Pas encore. "Aucun artiste, même sur le Net, n'a de chance d'être repéré et de percer, sans une force promotionnelle - le poste budgétaire le plus important dans le lancement d'un album", assène Christian Braut. "Il ne faut donc pas se leurrer et considérer qu'Internet peut à lui seul contribuer au succès d'un artiste. Par contre, c'est un excellent thermomètre, une sorte de directeur artistique infaillible." Ayant touché de près cette "force promotionnelle", les Lily Margot ont un discours encore plus ouvert : "Les habitudes de consommation évoluent lentement. Il nous semble voir émerger une culture liée à ce "self-média" qui conditionnera sûrement la façon de penser la musique et de la commercialiser. Dans un avenir proche." D'ailleurs, les habitudes de consommation passent par le prix des CDs que le groupe a choisi de vendre 60FF : "Du fait de tout produire nous-mêmes et de ne pas avoir de marge du tout, il est possible pour nous de vendre cette production à ce prix-là. Tout le monde sait que les disques en France sont trop chers et ce n'est pas juste un problème de TVA." C'est ainsi que Lou le vend 80FF sur son site et Christian Braut 99FF.
Berthet prend le problème plus en amont : "La limite évidente du Net est la promo du site. La promo de la promo. C'est paradoxal mais si personne ne sait que vous avez un site, il ne sert à rien. Ce n'est qu'un outil de plus mais il ne remplace rien. On peut contacter plus de gens plus rapidement mais cela ne vaut pas les sempiternels cassettes ou CDs de démo, dossiers de presse et relances téléphoniques."
Les vertus des sites MP3
C'est là qu'entre en jeu Hervé Paul. Ce Savoyard, auteur d'une chanson française très mélodique et très teintée d'influences anglo-saxonnes, vient de sortir un troisième album, HP (XIIIBis/EMI). Comme les autres, il fait depuis quelques années un usage constant d'Internet pour son travail. Seul point de divergence, et non le moindre, il se refuse à avoir un site à son nom : "Je n'appuie pas ma promo sur un site personnel car qui s'y rendrait à part un noyau dur de fans ? Et comment sauraient-ils que j'ai un site ?" Hervé Paul met cependant beaucoup d'espoir dans le Net : "Pour moi, c'est un nouvel outil au service des artistes. Le fait d'être en contact direct avec les gens qui s'intéressent à mes chansons est un plus énorme. On va directement du créateur à l'auditeur." Mais sans site, comment est-ce possible ? Grâce aux sites mp3, hébergeurs d'artistes, vitrines sonores, dont Hervé Paul est un fervent adepte. "Je me sers de cet outil depuis le début de l'année. Les résultats sont au-delà de toutes mes espérances. J'ai passé le cap des 10.000 téléchargements tous sites confondus avec le titre Un Monde meilleur. Franchement, le mp3 a changé ma vie !" Un concert à Los Angeles, un site monté par un fan, tout cela grâce à sa présence sur des sites mp3. Hervé Paul, qui tourne dans le circuit depuis une dizaine d'années, voit dans le Net une manne professionnelle qui sied totalement à son tempérament pas forcément démonstratif: "Je suis un artiste confidentiel. Ce statut me plaît et le web me permet de développer et d'entretenir cette confidentialité."
En utilisant les services parallèles d'une maison de disques ("J'ai simplement un accord avec XIIIBis distribué par EMI qui se charge de mettre les disques en magasin") et de sites mp3 sur Internet, Hervé Paul réalise peut-être une opération intéressante, une solution d'avenir ou du moins intermédiaire. "Le système de promotion mis en place par les maisons de disques était étouffant pour beaucoup d'artistes. Et les grands réseaux ne diffusent plus que des artistes très populaires ou très soutenus par un budget marketing. Le net est un grand bol d'air frais. Ce n'est que le début d'une nouvelle ère. Les plus pessimistes considèrent que l'on vit un âge d'or. Alors profitons-en !" Mais pour l'instant, si le fait d'être un artiste "signé" offre un confort encore irremplaçable, les sites mp3 apportent un horizon inespéré pour beaucoup de chanteurs : "Ça donne une visibilité mais surtout une visibilité de qualité", insiste Hervé Paul. Là, on s'occupe de tout : une page nominative, une bio, des extraits sonores téléchargeables, la vente du disque, des contacts. Pourquoi s'embêter avec son propre site ? Et si l'artiste inconnu reste un peu perdu au sein de centaines de noms, le fait d'être répertorié sur un site très visité augmente ses chances d'être entendu.
Internet, une porte sur l'international ?
C'est ainsi que Christian Braut a également opté pour cette solution qui semble lui apporter plus de satisfactions que son site perso : "Ce sont deux actions qui ne vont pas l'une sans l'autre. Ces sites sont un embryon de promotion. Et ils renvoient vers les sites perso qui apportent un complément essentiel." Tellement emballé par ce système, Christian Braut s'est même inscrit sur des sites mp3 américains (comme Hervé Paul) : "Si je n'ai vendu qu'un seul album par ce biais, j'ai été agréablement surpris par le nombre de téléchargements et les e-mails d'encouragement. En plus, j'ai été contacté par un certain nombre de sites américains qui m'ont interviewé ou ont ouvert des pages sur moi."
International par essence, Internet offre enfin un champ d'action non négligeable pour ces artistes. "Pour anecdote, mon premier acheteur était un Japonais de Tokyo", raconte Lou. "Les Japonais sont très curieux et consomment beaucoup de musique occidentale. Sinon, des liens se créent aussi entre artistes. Internet universalise les affinités musicales d'une façon plus immédiate." Mêmes échanges pour Lily Margot : "Nous avons de plus en plus de retour de l'étranger (Belgique, Luxembourg, Suisse, Canada, Etats-Unis, Allemagne) et nous engageons des projets pour l'avenir via les médias ou des rencontres artistiques."
Outre un outil incontournable, Internet se révèle donc être une nouvelle façon de vivre son métier et de vivre de son métier. Par manque de succès et par besoin de reconnaissance, ces artistes se sont transformés en artisans et façonnent le Net en fonction de leurs attentes. Cette présence sur le Net qui ne fait que croître est désormais un facteur essentiel de l'industrie du disque qu'elle cherche à contourner ou peut-être à séduire. Autrement.
Catherine Pouplain
Suivez ces artistes sur leur site :
Lou/ Maudit Paradis (auto-produit)
Lily Margot/Après 22 heures (Mélodie)
Pierre-Olivier Berthet/Pudeurs (Barclay/Universal)
Christian Braut/24 heures à ses côtés (auto-produit)
Amok/SVP (auto-produit) sur une page récente ou sur leurs anciennes pages
Et écoutez aussi Christian Braut et Hervé Paul sur vitaminic.fr, Francemp3.com et
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