Toups Bebey signe un pact
Toups Bebey fuit les carcans. L'année dernière, le fils du poète et chanteur camerounais Francis Bebey avait déjà surpris ceux qui attendaient un second album de sa formation Paris Africans (qui l'a fait connaître en 1996) en menant à la baguette une étonnante fanfare africaine, le Spirit Pan-African Brass Company. Comble de sa boulimie musicale et culturelle : avant de se concentrer à temps plein sur le retour imminent de Paris Africans, il prend le temps de caser dans un emploi du temps surchargé son P. African Cosmic Tones (PACT), un projet plus personnel, où flûtes pygmées, sanzas, arc-en-bouches, likembés et chants traditionnels se croisent sur des créations orchestrales électroniques. Distribué en France par l'indépendant Média 7, le CD "Cosmic tones" sortira bientôt en Europe et en Amérique du Nord. Ecoutez, car ceci est son son. En interview ici même.
Nouvel album
Toups Bebey fuit les carcans. L'année dernière, le fils du poète et chanteur camerounais Francis Bebey avait déjà surpris ceux qui attendaient un second album de sa formation Paris Africans (qui l'a fait connaître en 1996) en menant à la baguette une étonnante fanfare africaine, le Spirit Pan-African Brass Company. Comble de sa boulimie musicale et culturelle : avant de se concentrer à temps plein sur le retour imminent de Paris Africans, il prend le temps de caser dans un emploi du temps surchargé son P. African Cosmic Tones (PACT), un projet plus personnel, où flûtes pygmées, sanzas, arc-en-bouches, likembés et chants traditionnels se croisent sur des créations orchestrales électroniques. Distribué en France par l'indépendant Média 7, le CD "Cosmic tones" sortira bientôt en Europe et en Amérique du Nord. Ecoutez, car ceci est son son. En interview ici même.
Avant d'aborder ce projet "PACT", pouvez-vous nous retracer votre itinéraire dans la musique ?
J'ai commencé à apprendre le piano à l'âge de 6 ans, le saxophone à 14 ans et les percussions autour de 20 ans. J'ai fait dix ans de piano classique, quatre ans de saxophone au Conservatoire classique - à l'époque, il n'y avait pas d'option jazz comme maintenant. Puis, je me suis enfui parce que ça me fatiguait de jouer des retranscriptions de Jean-Sébastien Bach pour le saxophone. Il n'a jamais écrit pour ça !
Face à ce genre de bizarreries, on comprend que les Français aient si peu l'oreille musicale !
C'est vrai que l'éducation ne prend pas au sérieux la musique, en France. Si on regarde aux Etats-Unis, les écoles prêtent des instruments. Les gamins choisissent l'instrument qu'ils veulent jouer et peuvent le ramener chez eux pour pratiquer tous les jours si ça leur plaît.
Sinon, en dehors de votre éducation musicale, à quand remontent vos premières expériences de groupe ?
Je devais avoir 17-18 ans. Les premiers concerts, c'était au lycée avec un groupe de blues auquel appartenait Frank Ash qui a aujourd'hui son propre groupe de blues, les Blue Devils. A l'époque, nous étions dans le même lycée. Il m'avait dit : "Allez ! Je sais que tu joues super bien du sax. Viens jouer sur un concert". En fait, je ne savais pas jouer du tout. Ca faisait trois ans que je faisais du saxophone classique, mais j'ignorais ce qu'était le blues. Je me suis briefé à toute vitesse car je ne voulais pas décevoir mon copain. De toutes façons, il ne voulait pas me croire… Mais j'ai fait plein d'autres choses avant de décider de ne faire que de la musique. J'ai enseigné un peu aux Etats-Unis le français, l'anglais. Je ne voulais pas enseigner la musique car j'aime vraiment ça ! Puis, j'ai commencé à faire le musicien en 1986. En 1988, j'ai joué avec Salif Keita. Après, ça s'est enchaîné avec plein de gens : Charlélie Couture, Hubert-Félix Thiéfaine, Les Quatre Etoiles du Zaïre… Et puis, une espèce de ras-le-bol en 1994…
Un ras-le-bol ou une frustration de ne pas pouvoir faire sa propre musique, de ne toujours jouer que celle des autres ?
Oui, mais pas seulement. Au début, j'arrivais avec mon innocence de fan. Quand ça se passait vraiment différemment de ce que j'attendais, c'était décevant. Donc, j'ai monté Paris Africans pendant l'été 1995. Nous sommes montés sur scène pour la première fois en janvier 1996, et nous avons tracé à toute vitesse : dans les six premiers mois, nous avons fait l'Institut du Monde Arabe, les festivals de Montreux et de Cayenne, l'Italie… Beaucoup de choses se sont passées. Quand j'ai fondé Paris Africans, j'avais déjà commencé à faire des brouillons pour PACT, mais qui restaient dans les tiroirs sous forme de disquettes. J'étais toujours avec des gens qui me disaient tout le temps : "Je veux bien tout faire, sauf de la techno". Pour le Midem 1998, où Paris Africans était programmé en Talents Jazz, Véronique (sa compagne et manager - ndlr) et moi avons décidé de faire d'une pierre deux coups, en amenant des cassettes de l'autre projet, PACT. Donc, avec François Jourry, nous nous sommes enfermés pendant quinze jours et nous avons pondu quatre premiers titres, d'après les idées que j'avais en réserve. Du temps a passé, les cassettes ont circulé et ça a fait un peu boule de neige, jusqu'à ce qu'il y ait une demande forte puisque le programmateur du salon Mixmove était déjà intéressé pour nous programmer. Nous nous sommes dit que s'il nous programmait en octobre au Mixmove, il valait mieux avoir un disque. Nous étions au mois de mai et, en mai, j'étais en train de monter la fanfare. Je n'ai pu commencer à y penser que vers le mois de juillet, parce que les arrangements de la fanfare ont été un travail beaucoup plus colossal que je ne l'imaginais.
Parmi les artistes avec qui vous avez collaboré, on trouve un certain Jean-Michel Jarre. Est-ce lui qui vous a incité à franchir le pas en direction des musiques électroniques ?
Non, pas du tout. Quand deux mondes sont en apparence éloignés mais qu'on voit des ponts, il y a deux types de personnes : celles qui préfèrent rester de leur côté car elles ne savent pas ce qu'il y a de l'autre, et celles qui veulent saisir l'occasion d'aller de l'autre côté. Moi, j'y suis allé sans aucun problème, d'autant que Jean-Michel Jarre, ça faisait quand même un moment qu'on le connaissait. Avant de collaborer avec lui, j'avais eu droit à "Oxygène" comme tout le monde, quand j'étais môme. "Oxygène", c'était aussi la période où Pierre Henry faisait "Messe pour le temps présent". La découverte des musiques électroniques s'est donc faite vers l'âge de 10-11 ans : les synthés, ce qu'on peut faire avec, ce que ça développe dans l'imaginaire au niveau du potentiel de création musicale, juste avec des sons. J'ai toujours suivi de loin les musiques électroniques : Vangelis, Brian Eno, Philip Glass, Terry Reiley, les musiques dites répétitives occidentales… Et aussi des expériences comme celle de Gavin Bryars. Ce gars-là avait enregistré un clochard bourré qui chantait dans la rue. Il a mis un passage en boucle sur quarante minutes, avec une orchestration somptueuse, avec des cordes et tout un orchestre !
Pour revenir à nos moutons, PACT a été mûri pendant cinq ans. En somme, il ne vous restait plus qu'à trouver les bonnes personnes ?
Non, ce n'est pas ça, parce que la personne, François Jourry, je la connaissais. A un moment donné, il a eu un problème de local. Je lui ai dit d'amener son matériel chez moi, puis nous avons bossé. Ça s'est passé comme ça, naturellement. Je préfère rester dans la musique et avoir quelqu'un pour s'occuper de la technique. Faire les deux en même temps, pour moi, c'est une perte de temps. Il y a des musiciens qui y arrivent. Je les admire.
Sur cet album, il y a une complémentarité entre les sons traditionnels et les musiques nouvelles. Pouvez-vous nous décrire quelques instruments traditionnels que l'on peut trouver sur ce disque ?
Par exemple, il y a une flûte pygmée, qui est une flûte à une seule note, celle que tu choisis. Après, il faut inventer la musique qui va avec. Sur ce morceau, "ndehou@bebey.com", le musicien chante et la flûte répond toujours la même note. Autrement, on trouve de l'arc-en-bouches dans "Da Fulani". Il y a aussi une bouteille de Coca Cola, sur laquelle nous tapons avec des fourchettes.
Outre les instruments traditionnels, on entend aussi des chants.
Sur "Pact fever", c'est du douala, une langue du Cameroun, et non pas un dialecte. La différence entre langue et dialecte est politique. La plupart des dialectes sont des langues, dans la mesure où ils fonctionnent comme une langue fonctionne, c'est-à-dire avec une grammaire, une syntaxe et un vocabulaire. Si ça ne marche pas comme ça, en effet, ça peut être un dialecte. Mais, souvent, ce qu'on appelle des dialectes africains, ce sont des langues. Seulement, on dit qu'il y a une langue officielle, et que toutes les autres sont des dialectes. Pendant longtemps, le breton a été considéré comme un dialecte. Maintenant, on peut passer une épreuve de Breton au baccalauréat. Au Cameroun, il y a deux langues officielles : le français et l'anglais ! Au Sénégal, ils ont réussi à mélanger plusieurs langues de chez eux pour en faire une langue nationale, le wolof, à égalité avec l'autre langue nationale, qui est le français. Les deux langues sont enseignées de la même manière à l'école. Pas assez de pays africains sont parvenus à faire ça. Au Cameroun, les gens se tapent dessus. Il y a énormément d'ethnies et chacune se croit plus importante que l'autre. Nous n'avons pas été capables de faire ce que les Sénégalais ont fait. Avoir une langue nationale venant du cru aurait été bien pour le pays. Quand je dis que différencier une langue d'un dialecte est politique, c'est par rapport au fait qu'on donne de l'importance à une langue, alors qu'un dialecte, on le néglige. Quand on dit que les Africains parlent des dialectes, on les rabaisse. Sinon, sur "Da Fulani", j'ai échantillonné un chant traditionnel des Fulani, un peuple qu'on trouve au Nigéria, au Nord du Cameroun, des Peuls. Il y a aussi un muezzin qui fait l'appel à la prière en arabe dans le titre "Autruche international".
Croyez-vous que ce genre de métissage puisse attirer un public plus jeune vers les musiques traditionnelles ?
C'est vrai que c'est un des buts avoués de l'opération. Un des titres s'appelle même "ndehou@bebey.com", car j'ai envie qu'ils aillent voir ce qui se passe sur le site de Francis Bebey. Maintenant, je n'ai pas du tout pensé que les gens devaient spécialement se mettre à écouter des musiques plus traditionnelles. J'ai fait ce disque parce que j'en avais envie, de la manière que je voulais. Il y a une bonne réponse de la part du public, précisément du fait que j'ai mélangé l'acoustique avec l'électronique. Dans la démarche, beaucoup de choses sont jouées en vrai puis mélangées après avec des programmations qui sont, elles, entièrement fausses ou qui sont échantillonnées et remises dans la programmation. Nous avons joué avec cette ambivalence et ces oppositions pour conclure, en fait, un mariage de raison.
Ce n'est donc pas un mariage d'amour ?
On ne peut pas. La machine c'est l'outil, de l'autre côté il y a l'être vivant. Les vivants ne sont attirés que par les vivants. Enfin, j'espère ! Je crois qu'il y a un léger ras-le-bol des gens pour une musique qui n'est faite que de programmations. Au départ, les synthétiseurs ne faisaient que de la synthèse pure, à savoir des sons qui ne ressemblaient à rien d'autre qu'à des sons de synthétiseurs. Puis, au fil des années, les synthés ont permis de retrouver des sons d'instruments préexistants. Les premiers synthés violon, tout le monde en riait parce que ça ne ressemblait pas du tout au violon. Mais maintenant, ils arrivent à mettre des violons qui ressemblent de plus en plus au vrai instrument. Donc, ce mariage de raison entre la musique jouée et la programmation vient à point nommé, il me semble.
Propos recueillis par Gilles Rio.